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Présentation de la société
Les littératures de l'ere coloniale
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Islam et occidentalisation dans l'autofiction d'Isabelle Eberhardt
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En outre, certains protagonistes
reviennent dans plusieurs récits, changeant légèrement d'identité.
Par exemple : Jacques, l'occidental sympathique qui tombe amoureux d'une
femme du pays, est lieutenant dans « Yasmina » ; dans « Tessaadith » il est
médecin. Eberhardt utilise même son propre pseudonyme Mahmoud, dans son premier
roman Rakhil.
Bien que certains de ses biographes
suggèrent qu'Eberhardt joue avec les dénominations du fait qu'elle
est privée du nom de son père, son jeu sur les identités paraît plutôt ludique
que désespéré [1]. Exemple typique de sa façon de jouer : après son
mariage, Eberhardt garde son pseudonyme Mahmoud Saadi, en ajoutant parfois,
pour sa correspondance officielle, le titre « Madame » ; elle devient, en
quelque sorte, sa propre épouse. Se moque-t-elle ainsi d'une coutume
qui fait désigner la femme par le nom de son mari, et qui est en décalage avec
son style de vie indépendante ? Élevée anarchiste, et n'ayant pas de
respect pour les institutions intrinsèquement cruelles ou indifférentes,
Eberhardt s'amuse à embrouiller les autorités avec ses inventions de
noms. Qui est-elle ? Impossible de la classer. Quand un groupe de colons écrit
à l'administration pour se plaindre des activités « pro-indigènes »
d'Isabelle, ils l'appellent « Mme Mahmoud Saadi
Eberhardt » !
Son mari, en tout cas, ne paraît pas
vexé par ces inventions de noms. Lui-même, lors d'une première
rencontre avec Randau, présente Si Mahmoud Saadi, en ajoutant : « C'est là son
nom de guerre ; en réalité il s'agit de Mme Ehnni, ma femme. »[2]. Mais
Isabelle Eberhardt, est-elle moins Mahmoud Saadi qu'elle n'est Madame Ehnni ?
Elle est certainement plus connue sous le nom de Mahmoud Saadi. Eberhardt et
Ehnni vivent aux yeux du public comme deux confrères.
Notes
[1] A noter qu’ « Eberhardt » est
le nom de jeune fille de la grand-mère d’Isabelle. La mère d’Isabelle,
a-t-elle souffert d’être privée du nom du père ? Est-ce pour ça qu’Isabelle donne
à sa mère déjà morte le nom du père, nom qu’elle n’a jamais eu de son vivant ? Ou est-ce plutôt pour
brouiller les pistes en affirmant son refus de coopérer avec une administration
rigide et déshumanisante ?
[2] Notes et souvenirs, op. cit., p. 64.
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