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Islam et occidentalisation dans l'autofiction d'Isabelle Eberhardt
                                                                                                                 [7/ 17]

DEVENIR L'AUTRE

   Eberhardt ne se contente pas d'observer ni de frôler l'exotisme de l'Orient ; elle s'en imprègne. Pourtant, elle ne peut pas se laisser fondre complètement dans l'islam. Elle doit revenir, écrire, partager son expérience, faire connaître en Occident les mérites de l'islam. La tentation est toujours là, pourtant, de se dissoudre dans sa culture d'adoption, coupant à tout jamais ses liens avec l'Occident profane. Mais elle se contente d'explorer la transformation absolue à travers certains de ses personnages. Ainsi, elle montre une autre possibilité de rapport avec l'Orient que celle de la domination coloniale.
   Le récit « M'Tourni »[1], par exemple, raconte brièvement et sim­plement la vie d'un ouvrier italien qui vient, par hasard, travailler en Algérie. Sans résistance ni questionnement, il est amené à se transformer, au fil des années, en musulman indissociable de ses voisins autochtones. Il finit par oublier entièrement son identité antérieure. Il finit ses jours heureux parmi le peuple qui ne lui est plus étranger. Il est absorbé par le pays : « Roberto Fraugi devint Mohammed Kasdallah. »[2]. Le verbe « devenir » indique plus qu'un changement de nom ; c'est une métamorphose.
   Robert Fraugi n'est pas venu en tant que colon. Il travaille pour les musulmans, qui le traitent décemment et l'aident à s'intégrer à un style de vie paisible et chaleureux. Eberhardt veut-elle suggérer que les musulmans au pouvoir n'iraient pas jusqu'à exploiter les Européens, comme ils sont exploités par eux c'est-à-dire qu'il y a chez quelque chose de foncièrement plus humains ? Ce récit est, certes, un plaidoyer pour l'islam. « M'Tourni » suggère aussi la capa-cité de l'islam à absorber ce qui lui est étranger, et ainsi de vaincre tout conquérant.
   En outre, l'expression « M'Tourni » fut tin terme péjoratif chez les musulmans pour désigner quelqu'un qui accepte d'envoyer son enfant à l'école coloniale, et qui trahit ainsi sa race [3]. L'ouvrier italien « trahit sa race » aussi, en devenant musulman. Ainsi, le terme péjoratif est renversé, et acquiert ici un sens positif. C'est la « mission civilisatrice » de l'Europe qu'il trahit, en trouvant une vie plus civile chez les musulmans. Par ce récit, Eberhardt suggère que l'Européen est capable d'avoir une autre relation avec l'Orient que celle de la conquête, et que l'islam est ouvert à tous ceux qui ont le coeur pur et simple. Le jeune lieutenant Jacques, dans la nouvelle Yasmina », possède cette pureté.


Notes
[1] Dans Écrits sur le sable, vol. II, op. cit., p. 342.
[2] Ibid., p. 345.
[3] L'Algérie des Français, présenté par Charles-Robert Ageron, éditions du Seuil, 1993, p. 93-94.    
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