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Islam et occidentalisation dans l'autofiction d'Isabelle Eberhardt
                                                                                                                 [5/ 17]

   Quant à Eberhardt, elle semble trouver avec Ehnni plus de paix et de bonheur qu'avant. Mais cette paix n'est pas durable. Le couple est vite soupçonné d'activités anti-françaises. Danger plus imminent : en 1901, un musulman se croyant inspiré par Dieu essaie d'assassiner Eberhardt. La même année, après un séjour à l'hôpital, suivi du procès de l'agresseur (Eberhardt ne veut pas qu'il soit puni), elle est expulsée de l'Algérie.
   Après quelques mois d'un exil torturant à Marseille, Eberhardt épouse Ehnni, ce qui lui confère la nationalité française et le droit de retourner en Algérie. De retour dans ce pays, elle collabore avec Victor Barrucand à une revue bilingue et arabophile, Akhbar, et elle écrit également pour La Dépêche Algérienne. Mais depuis l'agression, sa santé est affaiblie ; elle retourne à l'hôpital. À 27 ans, le lendemain de sa sortie, elle se noie lors d'une inondation, chez elle à Ain Sefra.
   Selon Randau, la mort d'Eberhardt est plus proche d'un suicide que d'un simple accident : « Après une pipe de kif, une certaine ivresse nihiliste, mise ou non sur le compte du mektoub, a pu emporter ses dernières forces. »[1]. Elle avait déjà rêvé de s'abandon­ner à l'eau, influencée peut-être par l'image soufie de dissolution dans l'unité. Dans un état fiévreux quelques années avant, elle visualisait : « Une eau fraîche coulait le long de mon corps et je m'abandonnais voluptueusement à la caresse humide. »[2]. Et dans le paragraphe suivant : « Je m'abandonnais aux visions nombreuses, aux extases lentes du Paradis des Eaux... »[3]. Étrange coïncidence ? D'autant plus que cette vision s'ajoute aux prédictions récurrentes de mort [4]. La mort d'Eberhardt, est-elle un accident avec de drôles de coïncidences, ou un véritable suicide qui profite de l'inondation comme d'un moyen ? Les preuves ne sont pas concluantes. Bien que l'hypothèse du suicide soit favorisée, il faut reconnaître que sa santé était déjà affaiblie, lors de cette inondation qui a fait plus qu'un mort. Et aussi qu'elle n'a jamais tenté le suicide auparavant, même dans les périodes les plus désespérées de sa vie. Cette mort romanesque est emblématique de toute sa vie, dans laquelle elle fait disparaître les limites entre fiction et réalité. Elle raconte souvent deux versions d'un même événement, l'une étant autobiogra­phique, l'autre présentée comme de la fiction ; c'est de l'autofiction.  

Notes

[1] Ibid., p. 24.
[2] Sud Oranais, op. cit., p. 242.
[3]Ibid.
[4] Voir, entre autres, « Rachel », dans Rakhil, influencé par la visite d'Eberhardt chez un sorcier (Écrits sur le sable 1, p. 442). En outre, Eberhardt se demande souvent si dans un an, elle sera encore en vie.     
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