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René Euloge entre tradition berbère et modernité coloniale  [5/8] 
Gérard Chalaye


VI - LE  MYTHE  DES  ORIGINES


  Le concept de primitivisme trouve sa correspondance, fortement connotée, positivement, dans le mythe romantique des origines défini par Mircea Eliade mais remarquablement traduit, pour le monde berbère, par Jean Servier[1] : les Berbères détiennent un secret originel que leur civilisation, trop avancée, à fait perdre aux Européens et qui pourrait bien être celui du bonheur et de l’enchantement de la vie… C’est d’abord l’isolement géographique qui expliquerait la conservation de ce secret et Euloge se prend à rêver, comme Rousseau, de peuples vierges restés à l’état de Nature et non corrompus par la civilisation puisque « les antiques clans retranchés à l’abri de défenses naturelles inexpugnables ont survécu, depuis la nuit des temps, fidèles à leurs repaires, sans se fondre l’un dans l’autre, bien que voisins, par la raison que le relief violent du sol les a parqués chacun dans sa vallée »[2]. Aux confins du monde civilisé, le Berbère enraciné, depuis les origines, dans une terre ancestrale, serait, donc, le gardien d’une authenticité disparue qu’il lui revient de préserver dans toute sa pureté. C’est pourquoi « le Chleuh mérite qu’on l’admire pour son attachement à un sol ingrat, pour la conquête qu’il réalise, chaque jour, sur le roc en établissant, au prix de quelles peines, de minuscules champs disputés aux flancs abrupts et pelés »[3].

       Le berbère est, selon Euloge, une langue tellement ancienne qu’elle véhicule uniquement une tradition entièrement orale : « Le tachelaït ne s’écrit pas »[4]. Là encore, comme nous avons pu le constater avec le concept de primitivisme, les sous-entendus politiques, économiques et idéologiques ne sont pas absents. Ainsi que le fait remarquer Abdallah Laroui, « ce n’est pas un hasard si l’on fait volontiers appel, dans la littérature du temps, à la mentalité primitive »[5]. Quelle était la sensibilité véritable de René Euloge, instituteur, en 1920, à l’école des fils de notables de Marrakech puis, en 1926, à l’école d’indigènes de Demnat, dans le Sud marocain, lorsqu’il évoque, à propos du pays berbère, les mondes de la plus haute antiquité ? L’écrivain prend, en effet, pour sujet les « Aït ou Malou, ces "fils de l’ombre", comme ils se désignent eux-mêmes, qui sont, peut-être, si l’on s’en tient à de nombreux noms de tribus, de villages, de montagnes, de rivières et à la survivance de certains rites, les descendants d’antiques populations pré-chaldéennes émigrées ici il y a 6000 ans »[6]. C’est l’évocation de l’Ancien Testament qui vient, tout naturellement, sous sa plume :" Comment ne pas songer aux temps bibliques devant la paysanne berbère occupée à secouer cette baratte des Chaldéens : une outre faite d’une peau de bouc suspendue à une branche. Et l’on se plait à regarder passer une théorie de jeunes filles qui, drapées, comme devaient l’être les bergères du vallon de Tempé, l’amphore sur l’épaule, reviennent de la source blottie sous les peupliers au feuillage argenté. Tableaux rustiques d’un autre âge »[7], écrit-il.

   Cette quête de l’Origine est, bien entendu, aussi, pour des hommes, comme Euloge, en rupture de modernité industrielle, la recherche d’un espace « d’autant plus tentateur qu’on l’oppose à une civilisation de masse, destructrice de l’individualité libre, hostile à tout héroïsme et à toute grandeur »[8], comme le note Jean-François Durand[9].

NOTES


[1] Jean Servier, Les Portes de l’année, Robert Lafont, Paris, 1962  et  L’Homme et l’Invisible, Imago, petite bibliothèque Payot, Paris, 1980

[2] René Euloge, Ciimes et hautes vallées du grand Atlas, éditions de la Tighermt, Bellegarde, imp. SADAG, Marrakech, 1949,  p. 15

[3] Des horizons d’hier aux horizons d’aujourd’hui, p. 12

[4] ibid., p. 33

[5] Abdallah Laroui, op. cit, p. 115

[6] Des horizons d’hier aux horizons d’aujourd’hui, p. 11

[7] Cimes et hautes vallées du grand Atlas, p. 56

[8] Jean-François Durand, Regards sahariens, in  Regards sur les littératures coloniales II,  p. 143
[9] ibid., p. 144 
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