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Présentation de la société
Les littératures de l'ere coloniale
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René Euloge entre tradition berbère et modernité coloniale [6/8]
Gérard Chalaye
VII -
"BERBERISME" ET ISLAM
A ce niveau de notre
analyse, arrêtons-nous un instant, pour faire cette remarque très simple, que nous
avons pu commencer à vérifier, mais dont nous allons, maintenant, percevoir
toute l’ampleur : généralement, lorsqu’il s’agit d’idéologie politique,
Euloge parle des Marocains mais lorsqu’il s’agit d’évoquer la réalité
vécue quotidiennement, il parle des Chleuhs. Cette simple remarque
lexicale, en nous situant, au cœur de notre sujet, ne nous donne-t-elle pas,
d’un seul coup, des éléments de réponse aux questions que nous posions plus
haut ? Notre écrivain est un homme à la conscience déchirée entre son
appartenance à une administration coloniale et sa tentative passionnée
d’inculturation. Dans ce sens, il n’aura de cesse, et c’est ce qu’on lui a, à
maintes reprises reproché, d’opposer arabité et berbérisme pour
se créer un monde intérieur, littéraire et esthétique, autonome, qui est le
pays berbère, le haut-pays chleuh qu’il appelle la "Montagne".
L’urgence politique et
culturelle était, en 1930, brûlante. En effet les problèmes étaient tellement
inextricables que diviser Berbères et Arabes revenait, pour lui, à séparer
paganisme chleuh et Islam arabe. Mieux encore, et poussé dans ses
retranchements, face aux résistances du réel, il est obligé de distinguer
berbères ruraux et païens – c’est-à-dire authentiques – et berbères urbains et
islamisés – c’est-à-dire dénaturés[1].
Le Berbère païen, ou
peu islamisé, est donc considéré comme
supérieur à l’autre. L’une des
tentations néfastes d’Euloge, en confortant la tendance
coloniale à la
destruction de tous les éléments de résistance
autochtone, serait de désigner,
ici, nettement l’Islam comme l’adversaire absolu car
« au point de vue religieux, il y a deux Chleuhs : le
rustre, le primitif qui ignore tout ou presque tout du Coran et le
Chleuh
arabisé et lettré, musulman d’un fanatisme
intransigeant, irréductible et
redoutable. Dans les montagnes, celui qui sait lire est
écouté. S’il a quelque
prestige personnel, quelque influence dans la tribu, c’est
l’homme qui prêchera
le mépris du Roumi et, un jour, la guerre sainte »[2].
Comment ne pas se souvenir que le Dahir,
visant à favoriser les Berbères après les juifs, date de mai 1930[3], comme nous le
rappelle Abdallah Laroui[4]. On a classé Euloge,
comme Le Glay, parmi les écrivains du mouvement du "Berbérisme" dont
on n’a voulu voir que les implications politiques. N’y eut-il, en cela, que
stratagème idéologique et religieux, bas calcul machiavélique – diviser pour
mieux régner - ? La politique du Protectorat fut une chose mais, là
encore, nous renvoyons l’écrivain à sa propre complexité et nous sommes heureux
de rencontrer l’aide de Michel Lafon qui affirme à propos de Le Glay, et cela
correspond aussi à Euloge dont il était l’ami, que « ce n’est pas parce qu’un
écrivain met en valeur la "berbéritude" d’une population qu’il faut
le taxer de "berbérisme"»[5]. En effet la lucidité
l’emporte sur la passion et c’est l’une des qualités notables d’Euloge qui
reconnaît que « ce serait une erreur profonde de penser que l’on peut
opposer à l’Arabe conquérant le Berbère autochtone en donnant, à celui-ci, une
éducation européenne le détournant du Coran et en voulant faire, de lui, une
force anti-islamique »[6].
Venons en, enfin, à ce qui a été, peut-être, le plus mal compris, chez un
Euloge, instituteur de métier, et lui a valu les plus violentes accusations[7]: sa réticence à
intégrer, en 1928, les berbères du Haut-Atlas dans le système scolaire
français, ainsi qu’il l’affirme lui-même : « C’est un jeu, bien
innocent en apparence, que celui de distribuer, à pleines mains, des
certificats d’études primaires et aussi voudrez-vous tirer dans un bref avenir
des équipes de bacheliers de tous ces petits paysans ou citadins »[8],
dit-il.
Réfléchissons un moment à ces phrases.
Sous l’apparence réactionnaire des propos, nous pouvons cependant suivre une
réflexion extrêmement logique par rapport à ce qui a déjà été dit. En effet ce
n’est pas au nom d’un sentiment de supériorité mais pour sauvegarder la pureté
de cette berbéritude dont nous avons parlé et éviter ainsi de la
dégrader que l’écrivain répugne à la scolarisation massive. Dans cette optique
particulière, l’école de la République n’est pas considérée comme une
promotion, une élévation, un progrès mais bel et bien comme un abaissement, une
dégradation ou un reniement. Il s’agit d’une véritable acculturation, d’un
"obscurcissement", d’un désenchantement du monde berbère des origines[9].
NOTES
[1] Le Serment, p. 125
[2] Des horizons d’hier aux horizons d’aujourd’hui, p. 14
[3]
Abdeljlil Lahjomri, Le
Maroc des heures françaises, Editions Marsam Stouky, Rabat,
1999, p. 396 : « Le dahir du 16 mai 1930, sur
l’organisation
de la justice en milieu berbère est le couronnement de cette
politique de
division du peuple marocain. Soustrayant les tribus cataloguées
comme berbères
au droit coranique, le dahir donne aux jemaâs une
compétence judiciaire en
matière civile. En matière pénale, par contre, il
prévoit l’application de la juridiction
française enlevant ainsi au Sultan une des rares
prérogatives qui lui soient
restées. Le but est clair ».
[4] Abdallah
Laroui, op. cit., p. 114
[5] Michel Lafon, Un écrivain oublié :
Maurice Le Glay, in Regards sur les littératures coloniales II,
p. 221
[6] Des horizons d’hier aux horizons d’aujourd’hui, p. 14
[7] Maroc, Littérature et peintures coloniales, actes du colloque, Faculté des Lettres,
Rabat, 1996
[8] Des horizons d’hier aux horizons d’aujourd’hui, p. 20
[9] ibid., p. 21
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