Jean Arrouye
Or tout roman colonial est aussi, pour les lecteurs
métropolitains auxquels il est inévitablement
destiné (car il n'y a pas dans le pays où il se situe de
lecteurs en nombre suffisant pour assurer la rentabilité de son
édition — et de toute façon les coloniaux ont
toujours marqué peu de goût pour la
littérature-miroir, quand elle représente des situations
qui contreviennent aux principes de convenance locaux —), un
roman exotique dont un des intérêts majeurs est pour ce
public le dépaysement, la découverte de
sociétés aux moeurs différentes des siennes et de
paysages inconcevables à qui n'a pas, comme Ulysse, ou les
coloniaux en retraite, fait un long voyage avant de s'en revenir dans
son petit village. Aussi la description tient-elle, de
nécessité, une grande place dans ce type de roman et les
« parenthèses » y sont la source essentielle de
l'« effet » et du succès qu'il peut remporter.
Cependant une description est toujours
partielle. C'est ce que rappelle avec force, par exemple, l'abbé
Mallet dans L'Encyclopédie méthodique de Panckoucke, pour
qui une description est une « définition imparfaite et peu
exacte, dans laquelle on tâche de faire connaître une chose
par quelques propriétés et circonstances
particulières, suffisantes pour en donner une idée et la
faire distinguer des autres, mais qui ne développe point sa
nature et son essence /…/ elle ne la fait pas connaître
à fond, parce qu'elle n'en renferme pas ou n'en expose pas les
attributs essentiels"[3]. En cela une description est une trace,
puisque la trace aussi est caractérisée par son
incomplétude, si l'on en croit les définitions
premières du terme dans le petit Larousse : « vestige
marquant le passage d'un homme ou d'un animal /…/, marque qui
reste d'une chose » (c'est nous qui soulignons). La
réalité du pays où se situe l'histoire
racontée dans un roman colonial n'y est donc présente
qu'à l'état de traces.