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Islam et occidentalisation dans l'autofiction d'Isabelle Eberhardt
                                                                                                                 [4/ 17]

   Chez les peuples du désert, Eberhardt trouve une certain tolérance, même pour sa double identité. À propos des relation entre Eberhardt et les paysans musulmans, Robert Randau, son an et biographe, écrit : « Très abordable, elle voulait qu'ils la considérassent comme un simple ratel), comme un lettré de zaouïa. Nul parmi eux n'ignorait cependant que ce svelte cavalier au burnous d'un blanc immaculé et au mesure écarlate fût une femme » [1]. Mais par politesse, ils ne font jamais mention de cela. Ses confrères n'ac­cordent, eux non plus, pas d'importance au fait que Si Mahmoud Saadi soit une femme.
   Se peut-il que sa double identité fût plus acceptée au Maghreb qu'en Europe [2]? Le travestisme n'est certainement pas étranger aux traditions algériennes, comme le montre la parodie rituelle du Rekeb dans laquelle les femmes se déguisent en autorités religieuses masculines [3]. En outre, serait-il possible d'établir un lien avec le soufisme, qui croit en l'abolition de toute dualité ? Déjà au treizième siècle, des maîtres soufis tels qu'Ibn Arabi écrivent sur la dissolution des concepts de mâle et de femelle. Si seule existe l'Unité divine, quelle importance accorder aux distinctions de sexe ? En outre, bien avant les écrits d'Eberhardt, Ibn Arabi mentionne l'utilité de l'acte sexuel pour sentir cette dissolution [4].
   En 1900, Eberhardt est initiée à une confrérie soufie, la Qadriya, sur laquelle elle écrira très peu. La même année, elle rencontre son confrère Slimène Ehnni, musulman de nationalité française, avec qui elle décide de partager sa vie. Avec Ehnni, ils sont deux alliés face à un monde souvent hostile. Eberhardt se dit capable d'être « envers lui seul d'une douceur et d'une soumission absolues »[5], et quant à lui, « Slimène me suivra où je voudrai »[6], évoquant leur dévotion quasi-religieuse l'un pour l'autre, dévotion qui accentue, peut-être, leurs quêtes respectives de Dieu. La tradition de la poésie soufie compare Dieu à une personne aimée. Autre tradition de la poésie arabe : le poète parle de sa maîtresse (par pudeur) comme si elle était un garçon. Cette tradition influence, selon Randau, le mari d'Eberhardt : « Le travestissement d'Isabelle en jeune garçon attisait la fougue du beau cavalier ; il connut à la fois l'amour de coeur et l'amour de tête ; il vécut littéralement un des grands poèmes de sa race [...] [7]

Notes

[1] Robert Randau, Notes et souvenirs, La Boite à Documents, 1989, p. 86.
[2 ] Elle se sent certainement plus "chez elle" au Maghreb qu'en Europe. Elle me fait penser à Malcolm X, qui écrit dans Roots que l'islam peut rapprocher les hommes, quelle que soit la couleur de leur peau. Les distinctions de sexe, perdent-elles aussi leur sens, dans l'islam tel qu'Eberhardt l'interprète ? Est-ce en partie cela qui l'attire ?
[3] Sosie Andezian,'xpériences du divin dans l'Algérie contemporaine, CNRS édi­tions, 2001, p. 153.
[4] Valérie J. Hoffman, «  I.e soufisme, la femme et la sexualité , dans Les Voies d'Al­lah : Les ordres mystiques dans le monde musulman des origines à aujourd’hui » , sous la direction d'Alexandre Popovic et Gilles Veinstein, Fayard, 1996.
[5] Écrits sur le sable, vol. II, op. cit., p. 389.
[6] Ibid., p. 407.
[7] Notes et souvenirs, op. cit., p. 173.     
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