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Présentation de la société
Les littératures de l'ere coloniale
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Islam et occidentalisation dans l'autofiction d'Isabelle Eberhardt
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Chez les peuples du
désert, Eberhardt trouve une certain tolérance,
même pour sa double identité. À
propos des relation entre Eberhardt et les paysans musulmans, Robert
Randau,
son an et biographe, écrit : « Très abordable, elle
voulait qu'ils
la considérassent comme un simple ratel), comme un
lettré de zaouïa. Nul parmi eux n'ignorait cependant que ce
svelte
cavalier au burnous d'un blanc immaculé et au mesure
écarlate fût une femme » [1]. Mais par politesse, ils
ne font
jamais mention de cela. Ses confrères n'accordent, eux non
plus,
pas d'importance au fait que Si Mahmoud Saadi soit une femme.
Se
peut-il que sa
double identité fût plus acceptée au Maghreb qu'en
Europe [2]? Le travestisme n'est certainement pas étranger aux
traditions algériennes, comme le montre la parodie rituelle du
Rekeb dans laquelle les femmes se déguisent en
autorités religieuses masculines [3]. En outre,
serait-il possible d'établir un lien avec le soufisme, qui croit
en
l'abolition de toute dualité ? Déjà au
treizième siècle, des maîtres soufis
tels qu'Ibn Arabi écrivent sur la dissolution des concepts de
mâle
et de femelle. Si seule existe l'Unité divine, quelle
importance accorder aux distinctions de sexe ? En outre,
bien avant les écrits d'Eberhardt, Ibn Arabi mentionne
l'utilité
de l'acte sexuel pour sentir cette dissolution [4].
En 1900,
Eberhardt est initiée à une confrérie soufie, la Qadriya, sur laquelle elle
écrira très peu. La même année, elle rencontre son confrère Slimène Ehnni,
musulman de nationalité française, avec qui elle décide de partager sa vie.
Avec Ehnni, ils sont deux alliés face à un monde souvent hostile. Eberhardt se
dit capable d'être « envers lui seul d'une douceur et d'une
soumission absolues »[5], et quant à lui, «
Slimène me suivra où je voudrai »[6], évoquant leur
dévotion quasi-religieuse l'un pour l'autre, dévotion qui
accentue, peut-être, leurs quêtes respectives de Dieu. La tradition de la
poésie soufie compare Dieu à une personne aimée. Autre tradition de la poésie
arabe : le poète parle de sa maîtresse (par pudeur) comme si elle était un
garçon. Cette tradition influence, selon Randau, le mari d'Eberhardt
: « Le travestissement d'Isabelle en jeune garçon attisait la fougue
du beau cavalier ; il connut à la fois l'amour de coeur et l'amour
de tête ; il vécut littéralement un des grands poèmes de sa race [...] [7]
Notes
[1] Robert Randau, Notes et
souvenirs, La Boite à Documents, 1989, p. 86.
[2 ] Elle se sent certainement plus "chez elle" au Maghreb qu'en
Europe. Elle me fait penser à Malcolm X, qui écrit dans Roots que l'islam
peut rapprocher les hommes, quelle que soit la couleur de leur peau. Les
distinctions de sexe, perdent-elles aussi leur sens, dans l'islam tel qu'Eberhardt l'interprète ? Est-ce en partie cela qui l'attire ?
[3] Sosie Andezian,'xpériences
du divin dans l'Algérie contemporaine, CNRS éditions, 2001, p. 153.
[4] Valérie J. Hoffman, « I.e
soufisme, la femme et la sexualité , dans Les Voies d'Allah : Les ordres mystiques dans le monde
musulman des origines à aujourd’hui » , sous la direction d'Alexandre
Popovic et Gilles Veinstein, Fayard, 1996.
[5] Écrits sur le sable, vol. II, op. cit., p. 389.
[6] Ibid., p. 407.
[7] Notes et souvenirs, op. cit., p. 173.
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