L’Exploration de l’Afrique, une entreprise très littéraire [2/6]
Jean de la Guérivière
La confrontation
de ces deux fortes personnalités inspire encore les auteurs anglo-saxons de nos
jours. À preuve le « roman » Burton et Speke aux sources du Nil de
l’écrivain et scénariste américain William Harrison et le film Aux sources du
Nil que Bob Rafelson en tira l’année même de sa traduction en français(1990).
Ce faisant Rafelson renouait avec un genre dans lequel l’Américain Henry King
s’était déjà illustré en 1939 avec Stanley et Livingstone dont Spencer Tracy
fut un des acteurs.
C’est aussi un
ressort romanesque, celui de la quête d’un grand homme disparu, qu’utilisa
Henry Morton Stanley dans son récit Comment j’ai retrouvé Livingstone, avec la
question fameuse - « Le docteur Livingstone, je présume ? » - sobrement
posée par l’Américain alors qu’il retrouve le Britannique au bord du lac
Tanganyika en novembre 1871, après des mois de recherche. La traduction
française de cette épopée parut en 1874 chez Hachette, l’éditeur habituel des
principaux récits d’exploration. Signées par Émile Bayard et quelques autres,
des illustrations très réussies accompagnaient le texte et contribuèrent à
installer ces ouvrages dans beaucoup de bibliothèques familiales, à côté des Jules
Verne, auteur qui fréquenta lui-même les explorateurs à la Société de
Géographie de Paris.
Brazza et
Stanley avancèrent vers le cœur du continent mais pas par n’importe où : par la
forêt équatoriale, archétype de l’hostilité de la nature pour l’homme. En 1887,
quand il s’extirpe enfin de « la grande forêt qui nous avait si longtemps
ensevelis », Stanley s’écrit : « C’était la délivrance tant attendue,
c’était notre sortie des ténèbres ». Douze ans plus tard, justement, un
véritable écrivain, Joseph Conrad, intitule Cœur des ténèbres le roman qui
enfonce le lecteur dans un pays où « l’énorme fleuve coule comme un immense
serpent déroulé » en lui donnant le sentiment de « pénétrer dans le
cercle hostile de je ne sais quel enfer ».