L’Exploration de l’Afrique, une entreprise très littéraire [1/6]
Jean de la Guérivière
À consulter les catalogues d’éditeurs au
XIXe siècle, on est frappé par la grande place qu’y occupent les récits
d’exploration de l’Afrique. S’aventurer en terre inconnue au sud du Sahara,
c’était presque automatiquement se ménager la possibilité d’être publié par les
maisons nationales les plus prestigieuses, voire traduit rapidement dans
d’autres langues européennes. Si les Caillié, les Park, les Barth, les Grant,
les Speke, les Livingstone , les Stanley n’avaient pas tous du talent
littéraire, tous furent des auteurs à succès, à l’aune des tirages de l’époque.
C’est que, avec une grande intuition de l’attente du public, ils se fixaient
des objectifs qui n’étaient pas seulement remarquables par leur intérêt
géographique mais aussi par leur caractère mythique. Les grandes explorations
africaines avaient beau être patronnées par des sociétés de géographie, elles
étaient à maints égards des entreprises littéraires.
Les Britanniques remontèrent vers la
source des grands fleuves, mais pas n’importe lesquels. Ils eurent une
prédilection pour le Nil, celui qui combinait magiquement l’inconnu africain et
les réminiscences égyptiennes. À la fois explorateur et écrivain, traducteur des
Mille et Une Nuits en anglais, Richard Burton a attaché son nom à la recherche
de la source du Grand Fleuve. Grâce à lui, toutes les contrées nilotiques sont
entrées durablement dans l’imaginaire britannique. Pour l’avoir oublié, les
Français devront subir l’affront de Fachoda, en 1898 quand le « Général Sir
» Herbert Kitchener mettra un coup d’arrêt à la progression de la colonne
Marchand, partie du Congo pour « prouver » que le Soudan égyptien était
une « extension logique » de l’Afrique centrale française et rappeler
que, depuis l’expédition de Bonaparte en Égypte, Paris revendiquait aussi la
zone. Comme si la « magie des lieux » ne suffisait pas, Burton a donné
un tour encore plus romanesque à son expédition par une rivalité personnelle
avec John Speke, son « associé ».