Jean-Marie Seillan
La situation change dans les années 1880 avec l’adoption d’une
politique coloniale officielle. Que les romanciers aient séjourné
personnellement en Afrique (officiers en poste en Algérie, le plus souvent) ou
qu’ils n’aient voyagé, cas le plus fréquent, qu’en bibliothèque, ils
scénarisent désormais les matériaux géographiques, botaniques, zoologiques, ethnologiques,
etc. mis à leur disposition par les récits de voyage et d’exploration
(Schweinfurth, Binger, Monteil, etc.). Nombre d’entre eux s’inspirent
étroitement des récentes opérations militaires liées à la conquête, au point
que l’on voit se succéder entre 1890 et 1900, par vagues de cinq ans, des
séries de romans sur la conquête du Dahomey (H. Monet, A. Badin, Rossi et
Méaulle), celle de Madagascar (L. Dex, J. Drault, P. d’Ivoi) et sur la
résistance, chère à l’anglophobie française, des Boers en Afrique du Sud (A.
Laurie, L. Ville, P. de Sémant). On pourrait donc distinguer dans cette
abondante littérature des sous-genres historiques (romans inspirés par le
Mahdi, par Béhanzin) et géographiques (romans sahariens, romans des Grands
Lacs, romans de l’Afrique australe, etc.) dont chacun mériterait l’étude
particulière qui fait aujourd’hui défaut.
Mais c’est surtout en fonction du type de héros mis
en scène que cette littérature se diversifie. Sans vouloir dresser une
typologie systématique, on peut distinguer des héros explorateurs pour qui
l’Afrique est un objet de connaissance désintéressée et ne se prête à aucun
projet d’implantation ou d’exploitation économique (ex. La Vénus noire, d’A.
Belot) ; des héros prédateurs (ex. Les Coupeurs de tête, de L. Noir) qui,
chassant les trésors pour leur propre compte, voient en elle l’occasion de
faire une fortune rapide qui sera dépensée en Europe ; des héros conquérants
mandatés par une puissance coloniale dont la mission est de s’assurer par la
négociation ou la force militaire la possession de territoires (ex. Les
Cavaliers de Lakhdar, de F. Hue) ; des héros fondateurs qui, préfigurant ce que
sera le roman colonial, s’implantent durablement en Afrique pour mettre en
œuvre, avec des méthodes et des fortunes diverses, des projets de développement
économiques et de ‘civilisation’ (ex. Au pays des nègres blancs, de
Deschaumes).