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Fortunes de la littérature coloniale dans l’avant-garde française (1914-39)  (3/6)
Jean-Claude Blachère

Annexe n° 1 :  « Ah ! Si les nègres étaient encore là ! »

    Nous avons erré de pays en pays, examinant avec ennui ces cartonnages de bookmakers ; on ne voit pas une seule femme, des hommes vendent au rabais des animaux empaillés : un petit tatou pour vingt francs, des martins-pêcheurs pour quinze francs. André Breton achète un tatou. Comme il ferait d’un chien, il le met sous son bras, le caresse, le réchauffe sous sa somptueuse pelisse ; et voici le seul miracle depuis le commencement du monde : le tatou revient à la vie, saute à terre, va flairer les pieds d’un gardien indigène en grand costume rouge, vert, bleu, jaune, violet et noir. Un monsieur qui assistait à cette scène, prodigieusement intéressé, offre à  Breton de lui acheter son tatou pour  500 francs,  celui-ci hésite  mais sa femme  le  presse d’ accepter, n’aimant, dit-elle, les animaux que lorsqu’ils sont « naturalisés » ! Le Monsieur s’empare du tatou docile et nous sommes alors consternés de voir que celui-ci est toujours empaillé ! Le Monsieur est furieux, il s’arme d’un couteau et brutalement ouvre le ventre de l’animal, il s’en échappe des centaines de dollars et de petits papillons blancs sur les ailes desquels on peut lire imprimé en guise de réclame : Banque Mills et Cie . Jugez de notre effarement.
  Madame Mills qui nous accompagne nous explique le phénomène par le fait que son mari se nomme Gascon ! Remis assez rapidement de cette première émotion, nous continuons à parcourir ce cimetière écœurant dont nous sommes les cadavres.
    Des lanternes indochinoises nous éclairent sous un parapluie. Bientôt, à la suite d’une averse formidable, nous voyons disparaître sous le sable les palais de Conakry et de Ziguinchore, les souks marocains, les boutiques annamites et le marchand de rahat-loucoum, il ne reste plus devant nous qu’un immense vélodrome au centre duquel, un peu à droite, se dresse un petit restaurant d’où s’échappe la musique sonore d’un jazz-band.   
   Quatre maîtres d’hôtel nous font des offres de service et nous décident à dîner en nous affirmant que là seulement nous pourrons goûter aux spécialités du pays. 
     Nous sommes intrigués par un va-et-vient de cyclistes en habit noir ; ce sont, paraît-il, les garçons qui font le service à bicyclette en tournant à toute vitesse.   
    Nous sommes les hôtes de notre ami le banquier américain ; pendant le dîner, il nous raconte sa vie, son œuvre et son avenir. Il dit aussi à sa voisine : « Comme vous êtes jeune ! » à moi : « Je suis français ! », à Breton : « Je connais le monde entier ». Et chacun de nous pense à part soi : le monde est comme l’exposition de Marseille, il n’est beau que vu dans L’Illustration.
   Un ami m’avait dit : « Puisque tu vas partir pour La Havane, j’aimerais que tu me rapportes un de ces oiseaux qu’on nomme perroquets ; je vis seul, ce serait pour moi une compagnie."
   A Cuba, j’oubliais l’oiseau et voulus réparer cette étourderie en arrivant à Barcelone, mais je fus stupéfait du prix qu’on demandait des « loritos » et je renonçai à l’acquisition.
  Mon ami n’ayant jamais vu de perroquet j’eus alors l’idée d’acheter une chouette pour un prix modique et je lui en fis cadeau. Il fut enchanté et me demanda tout de suite si cet oiseau parlait : « Pas encore, lui dis-je, mais il écoute, il écoute admirablement… »
Francis Picabia   
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