Nous avons erré de
pays en pays, examinant avec ennui ces cartonnages de bookmakers ; on
ne voit pas une seule femme, des hommes vendent au rabais des animaux
empaillés : un petit tatou pour vingt francs, des
martins-pêcheurs pour quinze francs. André Breton
achète un tatou. Comme il ferait d’un chien, il le
met sous son bras, le caresse, le réchauffe sous sa
somptueuse pelisse ; et voici le seul miracle depuis le commencement du
monde : le tatou revient à la vie, saute à terre,
va flairer les pieds d’un gardien indigène en
grand costume rouge, vert, bleu, jaune, violet et noir. Un monsieur qui
assistait à cette scène, prodigieusement
intéressé, offre à Breton de
lui acheter son tatou pour 500 francs, celui-ci
hésite mais sa femme le presse
d’ accepter, n’aimant, dit-elle, les animaux que
lorsqu’ils sont « naturalisés » ! Le Monsieur s’empare
du tatou docile et nous sommes alors consternés de voir que
celui-ci est toujours empaillé ! Le Monsieur est furieux, il
s’arme d’un couteau et brutalement ouvre le ventre
de l’animal, il s’en échappe des
centaines de dollars et de petits papillons blancs sur les ailes
desquels on peut lire imprimé en guise de réclame
: Banque Mills et Cie . Jugez de notre effarement.
Madame Mills qui nous accompagne nous explique le
phénomène par le fait que son mari se nomme
Gascon ! Remis assez rapidement de cette première
émotion, nous continuons à parcourir ce
cimetière écœurant dont nous sommes les
cadavres.
Des lanternes
indochinoises nous éclairent sous un parapluie.
Bientôt, à la suite d’une averse
formidable, nous voyons disparaître sous le sable les palais
de Conakry et de Ziguinchore, les souks marocains, les boutiques
annamites et le marchand de rahat-loucoum, il ne reste plus devant nous
qu’un immense vélodrome au centre duquel, un peu
à droite, se dresse un petit restaurant
d’où s’échappe la musique
sonore d’un jazz-band.
Quatre maîtres
d’hôtel nous font des offres de service et nous
décident à dîner en nous affirmant que
là seulement nous pourrons goûter aux
spécialités du pays.
Nous
sommes intrigués par un va-et-vient de cyclistes en habit
noir ; ce sont, paraît-il, les garçons qui font le
service à bicyclette en tournant à toute
vitesse.
Nous sommes
les hôtes de notre ami le banquier américain ;
pendant le dîner, il nous raconte sa vie, son œuvre
et son avenir. Il dit aussi à sa voisine : « Comme
vous êtes jeune ! » à moi : «
Je suis français ! », à Breton :
« Je connais le monde entier ». Et chacun de nous
pense à part soi : le monde est comme l’exposition
de Marseille, il n’est beau que vu dans
L’Illustration.
Un ami m’avait dit :
« Puisque tu vas partir pour La Havane, j’aimerais
que tu me rapportes un de ces oiseaux qu’on nomme perroquets
; je vis seul, ce serait pour moi une compagnie."
A Cuba, j’oubliais
l’oiseau et voulus réparer cette
étourderie en arrivant à Barcelone, mais je fus
stupéfait du prix qu’on demandait des «
loritos » et je renonçai à
l’acquisition.
Mon ami n’ayant jamais vu de perroquet j’eus alors
l’idée d’acheter une chouette pour un
prix modique et je lui en fis cadeau. Il fut enchanté et me
demanda tout de suite si cet oiseau parlait : « Pas encore,
lui dis-je, mais il écoute, il écoute
admirablement… »