Claude WAUTHIER , Sectes et prophètes d’Afrique
noire
Paris, Le Seuil, 2007
279p. ISBN 9 7802020 621816
Ceux et celles
qui connaissent Claude Wauthier ne sont pas près d’oublier sa cordialité, son
enthousiasme et son efficacité.. Il vient de publier une nouvelle étude après
bien d’autres (Les cinquante Afrique
(1979), Quatre présidents et l’Afrique
(1995). Ce livre est très fouillé, et il prend appui sur des classiques du
genre (R.Bastide, V.Lanternari, G. Balandier, etc..) ainsi que sur de
nombreuses incursions dans des sites Internet. Tout cela est mené rondement et
chaleureusement, à la manière d’une enquête. Les questions soulevées ici sont
essentielles si l’on veut mieux comprendre ce qui se passe encore en Afrique, à
moins que l’on préfère se cantonner dans le préjugé tenace d’un continent
entiché de superstitions. Pour l’essentiel, il s’agit de savoir quelle est la
place qu’on accorde à ces sectes, ou celle qu’elles entendent occuper dans des
sociétés en pleine mutation, qu’il s’agisse de la période coloniale, ou de
celle des « indépendances ». Les réponses à ces questions sont d’une
étrange complexité, ce que l’auteur nous démontre. En quinze chapitres, il nous
propose donc un vaste panorama qui nous emmène du Congo au Malawi, de l’Ouganda
à l’Afrique australe, ou en Côte d’Ivoire. Nous nous déplaçons également dans
le temps, puisque le martyre de D.Béatrice se situe en 1706, la prophétie
malheureuse de Nongqawuse en 1857, alors que l’Eglise du Christianisme Céleste
nous amène à 2003. Ces cultes syncrétiques se ressentent à l’occasion de la
Black American Theology, ils élaborent un code moral (des commandements), des
rituels d’initiation, rejettent le fétichisme, accordent une place
prépondérante à la guérison (par des voies volontiers miraculeuses), aux tâches
éducatives, à l’entraide sociale, ce qui explique comment ils ont fini par
exercer une influence considérable. Ils font feu de tout bois, ainsi en
instaurant un culte de De Gaulle ((Matsona, au Congo). L’on s’inspire de
données tirées du christianisme pour les « convertir » à des traits
culturels africains. Dans la phase coloniale, les métropoles ont tenu sectes et
prophètes en méfiance, à moins qu’elles ne les aient férocement réprimées
(massacre de Bulhoek en Afrique du Sud) parce qu’elles alimentaient des formes
de nationalisme et de résistance à l’impôt, même si « les Eglises
séparatistes africaines n’ont pris qu’assez rarement une part active à la lutte
contre le colonialisme » (p 244). Elles sont généralement d’obédience
protestante, car le catholicisme romain est hostile à ces manifestations du
sacré. Dans la phase post-coloniale, l’on voit se mettre en place des scénarios
très variés entre les sectes et le pouvoir en place. Dans certains cas, des
représentants de ces mouvements finissent par intégrer l’institution (Fulbert
Youlou, un Lari, en 1958), à moins que celle-ci ne les courtise (Kasavubu et
les Kimbanguistes). Dans d’autres situations, elles sont les victimes de
persécutions, ce qui fut le cas du Kitalawa, au Malawi, de la part du président
Banda « parce qu’ils défiaient le pouvoir » (p 80). Quant à Kenneth
Kaunda, en Zambie, après avoir tenté de les récupérer, il les fera massacrer en
1963. Enfin, elles sont capables d’entraîner leurs fidèles dans d’horribles
suicides collectifs, ainsi en Ouganda, en 2.000. Comme on le voit, les enjeux
sont aussi redoutables que troubles. L’auteur n’en perd pas pour autant son
amour pour les littératures africaines (L’Afrique
des Africains, Inventaire de la négritude, 1977), ce qui nous vaut des aperçus
sur les réactions d’écrivains que la question préoccupe (B.Dadié, G.Menga,
T.Pringle, H.I.E.Dhlomo, Z.Mda, M.Nicol ou W.Soyinka). On s’aperçoit alors que
ce regard peut varier à l’infini, puisqu’il va d’un certain mépris (Soyinka) )à
des tentatives de réhabilitation (Nicol).
Ce livre se
lit aisément, et il abonde en documents de première main. On pourra peut-être
regretter que son auteur ne s’attarde pas davantage sur les origines de ces
syncrétismes. Ne faudrait-il pas y voir la conséquence d’un traumatisme
colonial autant qu’un désir d’adaptation, une reprise d’initiative, la
recherche de nouvelles logiques sociales de la part d’un sacré qui entend
répondre tout autant à l’agression que représente le christianisme, qu’à la
relative défaite des systèmes animistes ? ou s’agit-il enfin d’une
revanche aventureuse, voire obscurantiste qui se situerait dans un au-delà où
tout devient alors possible, jusqu’à l’abus de confiance, en profitant d’un
indéniable désarroi ?
J.S., Montpellier.
|
forum
|