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Présentation de la
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Les
littératures de l'ere coloniale
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Paul Morand , l' Exote ( 1888 - 1976 ) :
un voyage dans l'œuvre ; une œuvre sur le voyage
Gilbert Soubigou
/ Université Rennes 2
En préambule
L' échappée belle ... Toujours Morand échappe. Partir . Etre
ailleurs. Aller voir . Découvrir . Même le regard sur les photographies échappe
à l' objectif. Il est ailleurs. Et l' Ailleurs est central dans l'œuvre . C'est
ce que nous voulons montrer ici : Morand ou le désir d' Ailleurs , de départs
et de voyages .
Essai
thématique sur le voyage dans l'œuvre mais aussi essai biographique , voyage
dans la vie et l'œuvre de Morand, de 1888 à 1976.
Morand a été longtemps oublié. De son vivant déjà , au
sortir des années noires de la Guerre , et du fait d'actes de Collaboration ,
il va passer à la trappe , peiner à retrouver des lecteurs, lui qui a été ,
chacun s'accorde là-dessus , l'un des grands stylistes du début du XXe siècle
et l'un des grands " Best sellers " de l' Entre-deux guerres. Après
sa mort, en 1976 , également , l'oubli peu à peu s'installe , le fameux
"Purgatoire des écrivains". Et puis, il est progressivement
redécouvert, par le groupe des écrivains des " Hussards" d'abord ,
Nimier, Nourissier , Déon , entre autres , puis par les critiques,
Ginette-Guitard Auviste, Jean-François Fogel, Manuel Burrus, Michel Collomb,
Christian Petr , parmi d'autres, et la fidèle amitié de Marcel Schneider.
Cet essai ,
qui vient d'une longue fréquentation de l'œuvre de Morand, veut faire le point , 30 ans après sa mort , sur l'
homme et sur l'œuvre , aussi bien pour
les chercheurs que pour les étudiants et le lecteur curieux. Le lecteur curieux
et attentif dira si nous y avons réussi.
Les débuts : Paris , Londres , Venise
Paul Morand
est l'enfant du Paris 1900 et, pour être plus précis, le jumeau de la tour
Eiffel, construite pour l' Exposition Universelle. De 1888, de la naissance rue
Marboeuf, au décès brusque, à 88 ans, l'été 1976 de grande canicule, après la
séance rituelle de gymnastique, dans la salle de sport du toit de
l'Automobile-Club de France, place de la Concorde, Paul Morand n'a pas cessé de
tourner autour de la tour Eiffel, axe central de ses voyages. Il n'oubliera
jamais Paris, y reviendra toujours, du Siam, d' Afrique noire, du Maroc ou de
Suisse, quand les cercles concentriques avec l'âge se rétréciront, et c'est
d'ailleurs Lausanne qui rééditera en 1997 dans "la bibliothèque des
arts" l'un de ses plus beaux portraits de villes : Paris .
En 1900, le petit Parisien va aux Tuileries,
passe sous l' Arc du Carrousel, va voir Guignol et les bassins, les chaises de
fer et les chevaux de bois, les fleurs des marronniers en confettis de plâtre,
en pétales de neige. Puis c'est le Parc Monceau traversé pour aller au collège Sainte
- Marie et au lycée Carnot. C'est le Paris des chanteurs de rue, des petits
métiers, des baignoires hissées par les bonnes aux étages, le Paris des
fiacres, de l'omnibus à chevaux Madeleine-Bastille, des Champs-Elysées bruyants
des sabots où l'on couvrait le pavé de paille pour limiter le vacarme, le Paris
des premières automobiles. C'est aussi l'envers du décor, les façades sculptées
des beaux quartiers et les arrière-cours délabrées, les façades de théâtre et
de réception d'un côté, les vieux plâtras de l'autre. Ce sera aussi l'envers du
décor de la vie, quand rentrant à pied du collège avec sa grand-mère, il verra
le brasier de l'incendie du Bazar de la Charité, rue Jean-Goujon, où tout une
bonne société a plus ou moins grillé, les corps carbonisés alignés dans ce qui
est aujourd'hui le hall du Grand-Palais. Pour exorciser, il en fera plus tard
le thème d'une nouvelle.
Le collège et
le lycée ne le passionneront guère. C'est, pour le jeune Morand, un long ennui.
Un professeur se détachera peut-être un peu du lot et lui apportera, à l'entrée
de la vie, quelques éléments de solide et de durable : Maurice Rémon , le père
de celle qui restera l'amie fidèle, Denise, qui deviendra l'épouse d'Edouard
Bourdet. Sa véritable éducation, c'est à son père qu'il la doit. Discret, racé,
l'allure d'un Valois mâtiné de Joseph Conrad, Eugène Morand est un esthète qui
doute de ses dons, un pessimiste gai qui fait cadeau à l'enfant de salutaires
aphorismes : " Souviens-toi de te méfier " ou bien " Traite tes
amis comme s'ils devaient un jour devenir tes ennemis" ou encore " Ce
monde-ci est raté ; il n'y a aucune raison pour que l'autre soit plus réussi.
Dieu est un malfaiteur ". Commencer
comme cela dans la vie peut aider. Eugène Morand fréquente Mallarmé,
Sarah Bernhardt, Rodin, Massenet, Lalique, Gallé, Houdard, Marcel Schwob.
N'oublions pas d'ajouter qu' Eugène Morand écrit des pièces qui seront des
succès pour Sarah Bernhardt, l'amie de la famille. Conservateur du Dépôt des
Marbres, rue de l'université, Eugène Morand passe rue de l' Ecole-de-Médecine,
comme Directeur de l'Ecole des Arts Décoratifs. Dans la famille, seul compte le
Beau ( "Le Beau c'est le Vrai bien habillé " ) , l' Art, la musique,
la littérature. Dans la bibliothèque paternelle, le petit Paul découvre Zola,
Huysmans, Maupassant, les Naturalistes, leur côté grinçant, leur rire amer. La
lecture de Schopenhauer le marque définitivement, celle de Nietzsche aussi,
pour faire bon poids. Parallèlement, Marcel Schwob lui lit ses Vies
Imaginaires, lui conseille des romans d'aventures, le Robinson Crusoe de Defoe,
les Voyages Extraordinaires de Jules Verne, mais aussi Shakespeare et les
pré-Shakespeariens dont il approfondira la connaissance dans les librairies et
les bibliothèques de Londres.
Car, outre
Paris , il y a Londres l'hiver et Venise l'été. Le jeune garçon va
régulièrement à Londres, à partir de l'âge de quinze ans, travailler son
anglais. Ce monde le dépayse. Londres
est "une mousse" , une petite ville très cosy aux autobus rouges à
réclames et aux longs alignements de livres reliés de l'imposante "
Foyle's Bookshop " . Londres sera sa
"mascotte" . Et l' Angleterre si exotique le deviendra
d'autant plus avec les séjours à Oxford à partir de 1909 come auditeur libre :
" L' Angleterre était une puissance impériale et mondiale ; elle ouvrait
les portes sur l' univers ; on en était ivre de joie et de bonheur. Je ne sais
pourquoi, mais j'ai toujours eu l'envie d'aller ailleurs " écrit Morand en
1971 . Il fréquente à Londres la bibliothèque du British Museum, à Oxford la Bodléienne, découvre le
cosmopolitisme littéraire. C'est lors de ses séjours qu'il lit avec passion
deux auteurs qui vont beaucoup l'influencer : Rudyard Kipling et Joseph Conrad.
C'est à dix-huit ans qu'il s'essaie à
l'écriture :
" C'est vers cette époque que j'écrivis mon premier roman, Les
Extravagants , qui retrace des scènes de la vie de bohème internationale.
Je cite au hasard :
" Ils s'accoudèrent à la balustrade.
Mrs Hyde regardait devant elle, de ses grands yeux noirs immobiles.
" Elle est très sphinx, pensa Simon.
" Cette odeur d' éther répandue...
Il y avait du mystère en elle."
J'espère que cela vous suffit et que vous serez assez
contents que je ne cite pas davantage ".
Ce n'est pas
moi qui parle, c'est Morand.
L'autre pôle de sa vie à l'époque, l'autre dépaysement,
l'autre exotisme ,c'est l’Italie. Chaque été, ses parents louent une maison à
Venise et la famille s'y rend comme vers la Terre Promise . Le lac Majeur, les
îles Borromées, le lac de Garde, Tremezzo: " Lors de ma première évasion,
je me jetai sur l' Italie comme sur un corps de femme, n'ayant pas vingt
ans." " Toute existence est une lettre postée anonymement ; la mienne
porte trois cachets : Paris, londres, Venise ; le sort m'y fixa, souvent à mon
insu, mais certes pas à la légère ".
Ce sont les
premières lignes de Venises (1971), Venises evec un "s", pour
les différentes Venises de tout une vie, ou l'autobiographie camouflée de Paul
Morand. Il y en a d'autres. Nous y reviendrons.
Paris, Londres , Venises, trois villes
pour ses débuts.
Paris, Londres, Venise : l'exotisme
proche, le cosmopolitisme et la religion de la beauté.
Le
Dandy ou l' Ailleurs
diplomatique
La raison
d'être d'un diplomate est d'aller ailleurs représenter le centre. Et le centre,
ici, c'est toujours Paris : on en revient encore à la tour Eiffel. " Cette
envie d'être ailleurs, tenace comme une lésion " , comment mieux faire
pour la satisfaire que de faire de l' Ailleurs son métier, donc travailler pour
les Affaires Etrangères. Morand sera diplomate mais dans la lignée des Chateaubriand, Stendhal,
Claudel, Saint-John-Perse et Giraudoux.
Bon génie
penché sur la jeunesse de Morand , Giraudoux sera son ami et son mentor, au
moins jusqu'au mariage de Giraudoux, moment connu d'éclipse des amitiés. En
1905, le jeune Morand rate son oral de philosophie. Alors qu'il passe l'été à
Munich où son père a été nommé commissaire pour la France à l' Exposition
internationale de peinture, le ministre de France, M. Dumaine, lui présente un
jeune universitaire, alors correspondant munichois du Figaro, qui pourrait
l'aider à améliorer son allemand et à réussir à l'examen de philo : Jean
Giraudoux. Qui lui apprend à travailler seul, à suivre une méthode, à faire des
fiches ou encore à utiliser un
catalogue-matières en bibliothèque. Il lui apprend aussi à s'amuser, à boire de
la bière, à plonger en piscine, à courir le 800 mètres, à prendre des bains de
soleil, toutes choses utiles. Grâce à Giraudoux, la pratique régulière du sport
ne quittera plus Paul Morand.
A l'automne 1905 , il s'inscrit en fac
de droit. En 1906, il entre à Sciences Po. Là, enfin,
l'enseignement
l'intéresse. Il découvre des professeurs aussi érudits qu'originaux qui le
marqueront durablement : Albert Sorel, Albert Vandal, Anatole Leroy-Beaulieu.
Il fréquente assidûment les grandes bibliothèques, montre des goûts littéraires
très éclectiques. Il découvre, entre autres, les nouvelles de Gobineau qui
affûtent son désir d' Ailleurs :
" J'ai
lu les Nouvelles asiatiques et comme j'avais toujours eu envie de voyager, lire
les Nouvelles asiatiques , La Guerre des Turcomans, fut un voyage comme on n'en
faisait déjà plus , un voyage sous le Second Empire, comme les voyages de
Gautier et de Flaubert, infiniment plus amusants que tout ce qu'on peut faire
maintenant ".
Morand parlera plus tard de
sa "jeune ferveur pour le
Gobineau des Nouvelles asiatiques, cette révélation pour tout amant de la
route". En attendant, ces
années-là il se partage toujours entre Paris, Londres, Oxford, Venise, va d'une
capitale culturelle de l'Europe à une autre à un rythme plus que soutenu.
" Je n'ai fait que sauter d'un endroit à un autre, sans arrêt "
écrit-il à son amie Lisette Haas, le 6 juillet 1909. Déjà, littéralement, il ne
tient pas en place. Il aura ainsi la bougeotte toute sa vie, dans une
impatience baudelairienne d'être toujours ailleurs, une fuite quasi
perpétuelle. Une remarque d'ami, à la fin de sa vie, vaut d'être citée. Pascal
Jardin note :
" Toujours cette crainte de s'attarder. Je l'ai vu conduire
plus de cinq cents kilomètres pour aller revoir le détail d'un tableau du
Gréco. Arrivé dans le musée, il ne s'est même pas arrêté devant le tableau ; il
l'a regardé du coin de l'œil en traversant la salle. Il tenait la vie pour un
parfum, quelque chose qui s'évapore inévitablement ."
Ce qui
pourrait peut-être alors freiner cette fringale de découverte c'est le service
militaire.
Il n'en est
rien. Car la littérature étanchera son désir d' Ailleurs. En effet, si Morand est "bloqué" à la caserne
de Caen, pendant deux ans, c'est comme secrétaire archiviste, attaché à la
bibliothèque :
"Mon nouvel emploi de secrétaire archiviste me donne de
nombreux loisirs. Vous pensez qu'en m'enfermant dans une bibliothèque on a
déchaîné en moi le démon de la lecture, qui m'est un démon familier.
" Avez-vous lu La Vieille Maîtresse de
Barbey d' Aurevilly, mon voisin de Normandie ? Si non lisez-la, c'est d'un
français admirable et d'une étude d'âme et de moeurs parfaite, quoi qu'en dise
Doderet qui trouve cela long et fastidieux. J'ai lu tout ce qui m'est tombé
sous les yeux , du Balzac, du Huysmans, du Wells, du Péladan, du Renan ; je
commence Le Voyage en Orient de Gérard de Nerval ."
Ce passage
d'une lettre de février 1910 atteste que les centres d'intérêt du lecteur et du
jeune écrivain se précisent. Après les moralistes français du XVIIe, après les
grands classiques du XIXe, Stendhal, Mérimée, Dumas, après les Naturalistes -
surtout Maupassant - après Baudelaire, il y a
" toute cette imprégnation de la littérature de la fin du XIXe
siècle, mélange de réalisme et de décadentisme, de feuilleton bourgeois et
d'exotisme colonial (M. Collomb ) ". C'est par ces lectures précises,
attentives que Morand prépare l'écriture à venir. Il y a aussi les influences
nées des amitiés littéraires qui, à la suite de Giraudoux, se forment à partir
des années dix : Proust, Cocteau,
Valéry Larbaud, TS Eliot et le groupe de Bloomsbury, Ramon Gomez de la Serna ou
encore Ezra Pound. Il y a aussi celui qui sera son condisciple aux concours des
Affaires Etrangères, Alexis Léger Léger , qui a publié en 1910 sous le nom de
Saint-John Perse, Eloges , avec
l'appui de Gide. De cet ouvrage, Morand écrit :
"J'emportai Eloges hors de
France, plutôt satisfait de ce romantisme nouveau qui nous était proposé, art
aussi exigeant, aussi concis que le plus pur classique ."
En 1913,
Morand est reçu premier au grand concours des Ambassades et nommé attaché à
Londres. Son travail - et ce sera souvent le cas dans sa carrière - l'ennuie un
peu.
C'est son âge
dandy , son " âge snob ", qu'il passe en réceptions, fréquentant la
gentry londonienne, Lady Cunard , la protectrice des ballets russes, ou Lady
Brooke, Maharanee de Sarawak, titre royal qu'elle doit à son oncle, James
Brooke, Rajah de Sarawak, aventurier-roi , qui a conquis seul un royaume à
Bornéo, modèle des célèbres aventuriers-rois en littérature, le Dravot de
L'Homme qui voulut être roi de Kipling ou encore le Kurtz de Coeur des ténèbres
de Conrad. Avec l'autre grand modèle, T.E. Lawrence, roi sans couronne d'
Arabie, Malraux va créer plus tard le Perken de La Voie Royale. Morand ne sera pas en reste dans le
traîtement littéraire du thème puisqu'il publiera en 1947 Montociel Rajah aux
Grandes-Indes, se souvenant de ses conversations avec Lady Brooke.
En attendant,
à la déclaration de guerre, Morand est affecté à Paris, à la section du chiffre
du cabinet du Ministre de la Guerre. Il ira de nouveau à Londres comme attaché
puis reviendra en 1916 à Paris auprès de Philipe Berthelot. A l'époque, outre
ses fonctions de premier plan aux ministère des Affaires Etrangères, Berthelot
est un véritable protecteur des Lettres. Morand en dresse le portrait dans ses
Entretiens : " C'était une espèce de contestataire élégant et un peu
effrayant. Il aimait la littérature, il a fait la carrière de Claudel, qui sans
lui aurait fini comme obscur ministre ou conseiller d' ambassade au fin fond de
l' Amérique du Sud. Il a fait la carrière de Léger dans ses débuts (...). Il a
fait la carrière de Giraudoux au début aussi ." Son influence sur Morand
sera essentielle. De ces années à Paris pendant la Première Guerre, Morand
laisse le témoignage de son Journal d'un attaché d' ambassade (1916-1917).
Chacun le sait, la fin de la Première Guerre mondiale
ouvre réellement le XXe siècle.
Parce que c'est la dernière des batailles rangées ou des
guerres de position du XIXe siècle ? Parce que c'est la première guerre moderne
de destruction massive ? Toujours est-il qu'elle sonne, au sens propre, le glas
du XIXe , avec aussi le tournant essentiel que fut 1917 et la Révolution d'
Octobre, qui change l'ordre du monde et marque l'irruption des masses dans l'
Histoire. Tout est changé en 1919-1920 , aussi, dans la logique de ce qui
précède, sur le plan des mœurs , des idées, de l'écriture et de l’Art. En
littérature, les grands écrivains et les grands stylistes, c'est-à-dire les
vieilles lunes, Anatole France, Barrès ou Loti, commencent à passer de mode, et
une jeune génération débarque, comme toujours, insolemment .Les chefs de file
ont nom Radiguet, Cocteau, Gide , Breton. Avant que n'arrivent , un peu plus
tard, Céline et Malraux. C'est à cette époque que Morand commence à donner des
poèmes à la maison d'édition du Sans Pareil , comme Lampes à arc en 1919 ainsi
que des nouvelles à la toute jeune NRF. Les textes sont très influencés par les
Vorticistes anglais comme Gaudier-Bredzka ou les Espagnols comme La Serna, déjà
cité. L'écriture de Morand est alors marquée par le Surréalisme, le Cubisme
,avec un rythme syncopé, très jazzé, et des raccourcis étonnants. Morand sera
toujours l'orfèvre du style court, très travaillé, très ciselé, aux fulgurances
surprenantes , fruits d'un vrai travail. C'est aussi vers 1919 qu'il rencontre
une amie de Jean Cocteau, Misia Sert, qui l'introduit dans le Paris le plus
branché. Le même rôle est dévolu à la Princesse Soutzo, amie de Proust, l'une
des égéries du Paris mondain, qui deviendra Madame Hélène Morand, sa bonne et
sa mauvaise fée. Bonne fée, car elle le soutiendra toute sa vie. Mauvaise fée,
car ses idées plutôt réactionnaires contribueront à faire basculer Morand dans
le mauvais camp, vingt ans plus tard.
Dans le fond
plutôt pessimiste, Morand relate dans ses poèmes et ses nouvelles d'alors le
déclin de l' Europe dont la Première
Guerre Mondiale est l'illustration parlante, et croque la décadence annoncée
dans Tendres Stocks (1921), Ouvert la nuit (1922), Fermé la
nuit (1923) et surtout L' Europe Galante (1925), au titre ironique.
Michel Collomb écrit : " Avec leur papillottement d'images, les premières
nouvelles imposaient l'éclat d'un regard neuf, qui par sa netteté et sa
brutalité semblait capable de synthétiser la vraie vie. Le rythme syncopé des
phrases, le langage dru, les métaphores hurlantes arrachaient le lecteur à sa
routine et démodaient d'emblée les placides explications des romanciers
psychologues. Dans le monde chamboulé de l'après-guerre, voici qu'un écrivain
faisait humer l'air de l'époque, entendre les pulsations de la nouvelle
civilisation du mouvement qui s'amorçait. Concentrées et lumineuses, les
nouvelles de Tendres Stocks et des Nuits
furent comme des coups de projecteurs lancés dans les coulisses de
l'actualité. Tous les critiques de l'époque célébrèrent le coup d'œil de
Morand, son intensité qui lui permettait d'analyser l'événement." Avec
Lampes à arc, déjà cité, Feuilles de température (1920) , Poèmes (1914-1924)
Morand "frappe un grand coup dans le siècle" . A la suite du Sans
Pareil, les deux grandes maisons d'édition concurrentes que sont Grasset et
Gallimard vont se disputer cet écrivain curieux et novateur qui deviendra l'un
des best-sellers des "Roaring Twenties". Son sens de l'image, de la
surprise, du choc, des rapprochements inhabituels, passera de la poésie dans la
prose du roman et de la nouvelle mais
aussi des récits de voyage. Car Morand, qui voit bien le déclin de l' Occident
,continue à vouloir aller voir ailleurs ,et participe au "footing des
intellectuels" qui partent faire le tour du monde en quête de renouveau :
"Du
plus loin qu'il m'en souvienne, toujours cette envie d'être ailleurs,
implacable, tenace comme une lésion, et les atlas toujours grands ouverts
".
L'exotisme du premier faux Tour du Monde
Retour en arrière...Retour à Paris. Tout commence avec l' Exposition
Universelle de 1900 . Paul Morand évoquera souvent avec humour son tout premier grand voyage : il prend le
premier métro, le premier jour, pour aller de la rue Marboeuf aux Tuileries
visiter l' Exposition Universelle. Il découvre à douze ans les fameux
Panoramas. Dans son Paris 1900, Robert Burnand écrit : " Panoramas de la
Ville d' Alger, du Club alpin, du Tour du Monde, pour gens pressés, panorama du Transsibérien , Maréorama où ,
pendant une heure, toutes les affres d'une traversée en Méditerranée sont
présentées au public. Rien ne manque, pas même les rudes effluves marines, ni
la mélopée des Kasbahs , ni les rahatloukoums de Constantinople ." En
parallèle, le passage où, dans son 1900, Morand relate sa découverte de l'
Exposition Universelle vaut d'être cité ici :
" En remontant jusque sous les murs du Trocadéro, je découvris l' Asie russe ; rien n'était
plus neuf à l'oeil que ces monastères fortifiés blancs et verts, surmontés de
clochers bulbeux, dorés, et d'une croix orthodoxe d'où pendaient des chaînes .
Le vrai clou de l' Exposition , pour moi , c'était , derrière ce décor, le
Wagon du Transsibérien. Dans ce wagon-lit-salon, on pénétrait par une porte qui
était encore la Russie (...) . On s'asseyait ; aussitôt le train partait. Je
veux dire que devant la glace du wagon immobile, le paysage peint se déroulait
; on traversait les grands fleuves parsemés de bois flottés, les forêts de pins
et de mélèzes, les déserts d'où émergeaient les tombeaux mongols. Le gouvernement
russe avait reproduit sur cete toile beaucoup de mines d'or et de métaux
précieux, pour donner confiance aux capitalistes français. On mangeait toutes
sortes de zakouski, tandis que se succédaient ces plaines désespérées,
traversées jadis par les guerriers tartares et les Novgorodiens marchands de
zibelines. Soudain ( il me suffit de fermer les yeux un instant pour retrouver
toute ma surprise ) le moujick de service disparaissait, et c'était un boy
chinois, en robe de soie bleue, qui apportait du thé parfumé au jasmin, dans
une petite tasse de porcelaine.
" Pékin , tout le monde descend !
L'on sortait alors du wagon, pour se
retrouver transporté magiquement à l'autre bout du monde, au pied d'une des
portes de Pékin, à toit cornu ."
Comment voulez-vous que cet épisode de
mémoire affective n'ait pas marqué Morand ? Que ce souvenir précis soit le vrai
début d'une fringale d' Ailleurs n'aurait rien de surprenant, si l'on suit
l'avis de l'historien Robert Burnand , selon lequel la découverte de l'
Exposition Universelle, en 1900, à Paris, aura été, pour ses 50 859 955
visiteurs " le grand moment de leur vie". Alors, pour un petit
Parisien de douze ans...D'ailleurs ce souvenir a été souvent relaté par Morand.
Manuel Burrus, dans son ouvrage Paul Morand, voyageur du XXe siècle , écrit :
" Mon
vrai royaume ce sera le Trocadéro " Paul passe ses journées dans cette
" ville arabe, nègre, polynésienne " où règnent l' Afrique et l'
Asie, nourrissant déjà ses rêves d'évasion : "Plus tard , je préparerai l'
Ecole Navale ! " Il déambule de l' Aquarium peuplé de poissons tropicaux
au bazar tunisien , goûte au " thé
de Ceylan " où se produisent les terrifiants danseurs du Diable, il court
du village tonkinois au théâtre indochinois où danse Cléo de Mérode, sous
l'oeil concupiscent d' Anatole France . Dans cet Orient fabuleux voué à la
colonisation, tout n'est que musique, essences et parfums (...) . A l'automne,
la fête finie, Paul gardera un souvenir ébloui de ce monde coloré où "
jamais Paris n'avait été plus beau " et de ces " voyages immobiles
" anonciateurs de tant de "raids" autour de la planète.
Désormais "sa
patrie c'est l'univers ".
A la caserne de Caen, il écrira :
" J'ai la nostalgie de l'univers. J'ai le mal de tous les pays!"
C'est une profession de foi d'exote . Il faudra attendre 1925 pour qu'il se
lance dans un vrai Tour du Monde.
L' exotisme du premier vrai Tour du monde
Morand écrit, dans L'Eau sous les
ponts : " Pour nous, 1925
fut le signal
de la dispersion et du départ : Cocteau avait fui dans l'opium, Radiguet dans
l'autre monde, Milhaud rentrait chez lui à Aix, Jean Hugo, avec Valentine, à
Fourques ; moi, je courais rejoindre un poste en faisant le tour du monde
."
Les
" Roaring Twenties " de Morand sont celles du voyage d'évasion
et de découverte. Il s'agit surtout d'échapper au vieux monde, de quitter la
vieille Europe. Pour lui, " le feu d'artifice était tiré " , il était
plus que temps d'élargir l'horizon pour " faire son salut en art " en
transcrivant, en transfigurant la matière des voyages en récits exotiques puis
en romans coloniaux.
Nommé gérant de la Légation de la
République à Bangkok, Morand saute sur l'occasion pour rejoindre le Siam par
des chemins détournés, la route buissonnière. Cela donne son premier vrai Tour
du monde : Etats-Unis, Canada, Japon, Chine, Siam enfin. Cela donne le récit de
Rien que la terre. Le livre s'ouvre sur un constat désabusé : " Nos pères
furent sédentaires. Nos fils le seront davantage car ils n'auront, pour se
déplacer, que la terre. Aller prendre la mesure du globe a encore pour nous de
l'intérêt, mais après nous ? Là où nous nous réjouissons d'un périple, on ne
verra plus qu' un "galimatias de voyages" . Le tour de la cage sera
vite fait. Hugo , en 1930 , écrirait :
" L' enfant demandera : - Puis-je courir aux Indes ? Et la mère répondra :
Emporte ton goûter." Nous allons vers le tour du monde à quatre-vingt
francs. Tout ce qu'on a dit de la misère de l'homme n'apparaîtra vraiment que
le jour où ce tarif sera atteint ." Le livre se ferme sur un constat tout
aussi désabusé , qui l'inscrit d'ailleurs bien dans le contexte colonial de
l'époque. La dernière page décrit le retour en France à bord du paquebot des
Messageries Maritimes : " Ici, ce soir de novembre, sur ce bateau triste,
pas chauffé, rentrent des coloniaux fatigués et grelottants, des prostituées modestes et
parfumées au guignon, des fonctionnaires mal payés et aigris, des pères de
famille inquiets et ennemis du risque, des gens qui ont vu leur fortune
diminuée de moitié depuis qu'ils ont quitté la France, des fumeurs d'opium à la
langue amère ; ils sont muets, tendent le dos. Après un mois de traversée,
d'amitiés vives et trop de paroles échangées, tout le monde se déteste.
Sommes-nous devenus les fils les plus âcres de cete race d' Europe que le tigre
n'aime pas, à cause de sa chair acide ?"
Vu l'incipit et l'épilogue, le titre de
l'ouvrage, volontairement réducteur, et paradoxal pour le grand voyageur que va
devenir Morand, se justifie bien. Entre les deux, dans ce récit intitulé
"voyage", comme s'il s'agissait d'un genre littéraire nouveau, on
trouve une suite de portaits exotiques, variés et inégaux en qualité, des
régions traversées , avec une mention
spéciale pour les passages consacrés au Siam. Morand découvre alors un pays
charmant d'autant qu'on y jouit du temps qui passe , agrément s'il en est pour
qui " le vrai luxe est de perdre son temps "."On ne peut qu'
aimer ce pays , isolé , intact , petit mais dernier échantillon des monarchies
asiatiques absolues, cette terre de bonheur assoupi et de foi vive ."Morand ne va pas rester longtemps au Siam.
Arrivé début septembre, il part fin octobre soigner une dysenterie à Saïgon où
il rencontrera d'ailleurs Malraux. Il a eu le temps d'écire, pour Rien que la terre, quelques lignes sur sa
pittoresque légation :
"Comme il faudra regretter alors notre vieille
Légation, d'un style colonial désuet, si modeste enclave de terre française, au
milieu du coassement des grenouilles et des crapauds-buffles, les banyans de
son jardin, les bougainvilliers, le grand mât blanc de trente-cinq mêtres, où
flottent nos couleurs : pendant la saison des pluies, les orages l'entourent
d'ozone et la foudre crépite."
Morand rentre en France avec le manuscrit
de Bouddha vivant dans ses bagages.
Son premier roman exotique : Bouddha vivant.
Bouddha vivant est le grand roman
asiatique de Morand.
On a vu qu'il
avait commencé à l'écrire à son arrivée au Siam en septembre 1925; il le
publiera en 1927 chez Grasset dans la collection des "Cahiers verts".
Le roman, dont l'action se déroule partiellement en Asie, raconte un
affrontement Orient-Occident. Les débat est important chez quelques intellectuels
de l'époque comme en témoigne la polémique entre Défense de l'Occident de
Massis et La Tentation de l' Occident qu' André Malraux publie en 1925 où un
Asiatique et un Occidental dialoguent sur les valeurs de leurs civilisations
respectives. Nul doute que, lors de
leur première rencontre à Saïgon, Morand et Malraux, qui sont tous deux
des auteurs de Grasset, aient évoqué leurs travaux littéraires et leur commune
expérience de l' Asie. Au demeurant assez brève ; surtout celle de Morand. Ce
dernier a bien sûr lu La Tentation de l'Occident et en fera son miel pour
Bouddha vivant.
Rappelons
rapidement l'argument du roman de Morand.
Jâli, le jeune prince d'un état de la
péninsule indochinoise, le Karastra, au nom imaginaire mais qui doit beaucoup
au Siam, au Cambodge et surtout au Laos, rencontre un jeune aventurier
français, Renaud d' Ecouen, qui, à travers leur passion commune pour
l'automobile, va lui transmettre l'envie de découvrir l' Occident. Le roman
relate le départ de Jâli, accompagné de Renaud, de son royaume du Karastra, son
voyage en bateau, sa découverte des capitales d' Occident qui le déçoivent,
puis son retour au Karastra, àprès le décès de son père, pour lui succéder sur
le trône. La trame romanesque est sans doute ténue - on pense un peu aux romans
de Pierre Benoit - mais l'écriture est très riche sur la forme comme sur le
fond. Le titre est limpide : il s'agit de la transposition du voyage de Bouddha
à la découverte de la réalité du monde matériel des hommes. Le prince Jâli
découvre la mort, et d'abord celle de son ami Renaud, au milieu de son
itinéraire initiatique. Cet événement marque, pour Jâli, un
"passage". Il s'agit aussi de la découverte du matérialisme dur de l'
Occident , du côté sombre de ses villes dont le prince s'échappe pour retrouver
la paix et la sérénité dans les forêts plus hospitalières. On voit l'évidente
ressemblance des personnages avec l'auteur ; la quête de voyage, de découverte
et d'action qui est une quête de soi, et l'importance du dialogue
Orient-Occident :
"- C'est aux humbles que, dans
l'histoire,-répondit son ami, il appartient de montrer la voie. Il s'agit ,
aujourd'hui , moins de faire triompher l'esprit que de faire reculer la
matière. Or, chez vous, elle compte pour rien : votre antique sagesse, votre vie
toujours ouverte sur l'invisible, votre paix morale, votre grandeur, viennent
de là. Grâce à elles, vous avez reçu sans broncher les premiers bienfaits des
Blancs, leurs machines, leurs armes, leurs alcools, leurs personnels
d'exportation. Et vous n'avez pas succombé là où le reste de l' Asie, perverti,
n'a le désir de nous chasser que pour mieux adopter nos erreurs.
- Il n'est
que trop facile de vaincre où il n'y a point de combat.
- Les vrais
héros de l'Orient ne sont pas cachés dans la jungle ésotérique du savoir
indien,-ajouta Renaud,- dans le leiss de la Chine, égoiste et centrale (...) ,
ils sont ici, Monseigneur. C'est ici que l' Europe devrait apprendre à se
dégager de l'impureté. Aidez-la.
Cet appel à la solidarité était trop
occidental pour toucher le Prince. Il esquissa un geste fataliste :
- Le monde
n'a pas été fait que pour la race blanche,- répondit-il .
- Si celle-ci
périt de ses propres mains, après une domination aussi courte que brillante,
c'est sans doute son heure et c'est peut-être la nôtre de vivre. En tout cas,
même s'il ne s'agit pour moi que d'une expérience individuelle, personne ne me
retiendra dans l'ignorance. Je passerai outre à la volonté de mon père,
puisqu'il le faut. Déjà tout tombe, tout se détache de moi qui n'est pas mon
dessein."
Jâli est , partiellement, le double de
Morand fasciné par le Bouddhisme, et Renaud tient de Morand pour la passion des
automobiles, ce qui est superficiel, et le dandysme, ce qui est plus profond.
Renaud, comme Morand, a fui l' Occident sans avenir de l' après Première Guerre
mondiale et vient chercher en Asie des valeurs nouvelles. Paradoxalement
-puisque sa soif de paix de l'esprit, ou de paix de l'âme, a amené Renaud vers
ce Karastra si semblable au Laos et au Siam - c'est Renaud qui va conduire Jâli
en Europe. Renaud mourra, et sa mort, nous l'avons dit, sera un
"passage" pour Jâli, nouveau Sakyamouni, "Bouddha vivant".
Il quitte son père et son palais pour découvrir ce qu'on a tenté de lui cacher
: la maladie, la souffrance, la mort, le mal. Devant ce spectacle souvent
repoussant, il fuit les villes pour retrouver l'ascèse dans les forêts. Dans
Bouddha vivant, l' Orient est le monde de l'harmonie face à l' Occident
sauvage, malade de son matérialisme. La description des Coloniaux occidentaux
sur le bateau qui les conduit en Europe est un raccourci saisissant qui fait
écho à la description donnée dans Rien que la terre : " Le Félix-Faure mouilla en rade. Ils prirent possession des
rares cabines qui n'avaient pas été retenues par la "colonie". Renaud
montrait à Jâli ce monde nouveau : les fonctionnaires secs et maigres, comme
des oiseaux qui doivent se nourrir grain par grain ; les mercantis , qui , eux,
sont gras, sans cou, la chemise ouverte, avec des têtes de crocodile ; les jeunes
planteurs, style Far-West, qui ont remplacé les vieux colons alcooliques et
cafardeux, chers aux écrivains naturalistes. Tous avec l'effroyable teint de
Cochinchine, couleur de pus."
De son Tour du monde vers le Siam, et son
court séjour en péninsule indochinoise, Morand aura ramené les instantanés de
Rien que la terre retravaillés pour enrichir la matière de son Bouddha vivant.
Ecriture exotique, suite : Paris- Tombouctou
et sa traduction romanesque, Magie Noire
Si
Morand et Malraux se sont rencontrés en Péninsule indochinoise, à Saïgon, c'est
qu'ils participent à leur manière à ce " footing des intellectuels"
autour de la planète , qui vont voir ce qui se passe un peu partout, alimentent
ainsi leur oeuvre, et témoignent. C'est le cas, entre autres , de Jérôme et
Jean Tharaud, de Dorgelès, d' André Gide ou encore du célèbre journaliste
Albert Londres.Certains d'entre eux sont très critiques. Ainsi, Albert Londres
parle de l' Indochine comme de "
la colonie en bigoudis " parce que
les fonctionnaires
y arrivent avec femme, enfants et belle-mère. Nous ne sommes pas loin des
descriptions que donnent des colons français d' Indochine Morand dans Bouddha
vivant et Malraux dans La Voie Royale. Dorgelès dénonce les abus des grandes
sociétés capitalistes du Tonkin dans Sur la route mandarine (1925) et Gide
donne, en 1927 et 1928, Voyage au Congo et Retour du Tchad qui sont autant de
portraits-charges des colons et des grandes compagnies concessionnaires.
Portrait-charge toujours, le réquisitoire anti-colonial d' Albert Londres dans
Terre d' ébène ( La traite des Noirs ) publié en 1929. Bien décidé, comme à son
habitude , à " aller porter la
plume dans la plaie " , Albert londres fait tout un périple en Afrique
Occidentale Française. Morand aussi, au même moment, accompagné de son épouse
et d'une amie. Morand relate sa rencontre avec Albert Londres dans une page de
Paris-Tombouctou qu'il publie la même année, en 1928 :
"Visite d' Albert Londres, qui,
lui, est pour quatre mois en Afrique. Ce grand coureur de globe ( qui ressemble
si étonnamment à Shakespeare ) , ce grand mangeur, ce héros de tant de raids
journalistiques, apporte à mon chevet (Morand souffre d'un lumbago) un surplus
de vitalité, une précision d' informations, une intelligence rapide qui me
stimulent. Demain, je me lèverai. Londres se rend à Tombouctou, puis
redescendra par le Congo et le Dahomey. (...)
Adieux à
Albert Londres et au peintre Roucayrol, qui descendront dans quelques jours
vers le Dahomey. Je quitte à regret ces agréables compagnons. Je me croyais
imbattable en matière de voyages, en connaissance des lignes de paquebots, de
voies ferrées, etc... J'ai rencontré Londres, et je m'avoue vaincu."
Il est amusant de comparer ces lignes à
celles qu'écrit Albert londres dans Terre d' Ebène
(1929), et
qui font une bonne partie du chapitre XIII intitulé " Un soir sur le
Niger", et qu'il est nécessaire de citer quasi intégralement, malgré la
longueur :
"Par Mercure ! Par ses
ailerons battant à son casque et à ses chevilles, si j'avais une chienne je lui
commanderais trois petits chiens, les plus méchants, bien entendu ! L'un pour
Mme Edouard Herriot, le second pour Mme Paul Morand et le troisième pour Morand
Paul.
Ces agréables voyageurs se trouvaient à
Niafounké. J'avais même eu le plaisir, auparavant, de les rencontrer à Bamako
(...). A Niafounké nous prenions le Niger. Deux chalands nous attendaient. Ici,
donnez-moi toute votre attention, le drame commence. On mit dans un chaland la
nourriture, la boisson et les ustensiles dont les blancs, d'ordinaire, se
servent pour manger.
Tout alla très bien.Mme Herriot, malgré
notre avis, se baignait dans le Niger, alors on était en armes pour surveiller
les caïmans. (...) Henri Béraud, en souvenir d'un tumultueux passé, m'ayant, à
mon départ, fait don d'un phonographe, les soirs on écoutait le phonographe.
C'était l'entente. Tout juste si l'on ne s'embrassait pas avant d'aller au lit.
Les chalands restèrent à Kabara. La caravane
Herriot-Morand monta à Tombouctou. Puis elle en redescendit tandis que j'y
demeurais . Elle emmènerait son chaland. Le mien m'attendrait. Au revoir ! Au
revoir ! Bonne route de retour ! Bonjour à Paris criai-je à ces parfaits
compagnons de huit jours, jusqu'à ce qu'ils eussent disparu derrière les arbres
cure-dents. (...) J' arrive à Kabara. Le chaland est là. (...) Le chaland
glisse. La nuit se prépare. Evidemment, je serais mieux sur les boulevards à
regarder passer les Parisiennes. Il est vrai qu'alors je ne me rendrais pas
compte de mon bonheur ! Consolons-nous dans la nourriture et le pinard.
Où sont les caisses ? Où donc ma langue de
boeuf à la sauce tomate? Où donc mon thon mariné dans son huile bouillante ,
(...) Tout s'est envolé. La voilà bien la Magie Noire !
Incompréhensible ! Mme Herriot ne buvait que
du thé. Mme Paul Morand ne buvait que du thé. Morand buvait comme ces dames.
Qu'ont-ils fait de ma boustifaille ?
Et les cuillers, et les fourchettes, et les
assiettes ?
Ils ne mangeaient pourtant ni le fer ni la
porcelaine. Et le verre ? Quel estomac sans en avoir l'air !
Pas même une canne à pêche qui me
permettrait de fouiller le Niger pour y chercher ma nourriture!
Ils m'ont laissé un couteau, le plus
pointu, sans doute pour me permetre d'en finir avec mon désespoir.
Eminentes dames, illustre ami, je ne vous
avais cependant rien fait ! "
Au-delà de l'anecdote de Morand en
voleur des petites cuillers d' Albert Londres, l'intéressante comparaison des
deux témoignages de leur rencontre africaine vaut aussi par les détails
matériels donnés sur les expéditions en Afrique, à l'époque. L' Occidental y
transporte bien son confort "parisien" du phonographe aux petites
cuillers...
En visitant les colonies, les grands
reporters comme Albert Londres, Andrée Viollis, Joseph Kessel, et les
écrivains-voyageurs, André Gide, Roland Dorgelès, André Malraux, Paul Morand,
vivifient l'écriture immédiate mais aussi l'écriture de fictions sur le domaine
colonial. Si Morand done à lire son journal de voyage en Afrique avec Paris- Tombouctou,
et une version abrégée intitulée AOF, de Paris à Tombouctou, il va réutiliser
aussitôt le matériau pour son recueil de nouvelles Magie Noire.
Comme exemple de trace claire du
réinvestissement dans l'écriture de fiction du récit de voyage, on peut
comparer deux passages, l'un d' AOF, l'autre de Magie Noire.
Au début d' AOF , lors d'une panne de
voiture, la nuit, dans le Fouta-Djalon, Morand découvre un village désert :
"Enfin nous arrivons à quelques
paillottes. Derrière une clôture, on entrevoit une sorte de grande ruche. Pas
de fenêtre. La paille s'arrête à deux mêtres du sol et le toit se prolonge
jusqu'à terre par des branchages. En dessous, maçonnerie circulaire autour de
laquelle je tourne, essayant en vain de trouver l'entrée. Enfin une ouverture ;
je pénètre à quatre pattes. La fumée de bois m'aveugle, me fait pleurer. Un
foyer. Deux ou trois calebasses à oreilles, deux bidons à pétrole. Un lit en
maçonnerie recouvert d'une vieille natte. Personne. Si, un négrillon nu, qui me
regarde et ne dit rien. Touffe au sommet de la tête rasée. Petit ventre gonflé,
on dirait d'air. Nombril saillant qu'il tripote. Abandonné seul ainsi dans la
nuit, il ne rit ni ne pleure, il n'a pas peur, ne fait aucun gestte. Impossible
de le comprendre, d'imaginer ce qu'il sent."
Dans le texte de Magie noire, une jeune
femme occidentale se perd, la nuit, dans la forêt africaine. Voilà la scène
revisitée pour le personnage qui s'appelle Pamela Freedman :
"Un peu plus tard, chancelante, en
sueur, sa robe légère en lambeaux, l'Américaine s'arrêta dans une clairière.
Ses oreilles bourdonnaient, ses tempes étaient martelées. La lune, qui s'était
levée, enveloppée par l'humidité d'un halo huileux, la regardait avec son rire
de nègre...Paix méchante, comme si ces arbres n'étaient nés que pour
l'étouffer. Autour d'elle, elle aperçut une dizaine d'énormes chapeaux de
paille coniques...des huttes! Aucune lumière. Elle appela : personne. De sa
voix cassée, elle miaula. Le village semblait abandonné. Paméla s'approcha au
hasard d'une case, décidée à la partager, s'il le fallait, avec le bétail, mais
à y attendre le jour : prolongé par des branchages, un toit de palmes sèches,
circulaire, descendait au sol, ne laissant pas d'ouverture. Elle en fit le tour
avec soin, trouva enfin une porte fermée d'une natte. A quatre pattes, elle s'y
glissa...
Une âcre fumée de bois la prit à la gorge
et aux yeux. Des braises, effondrées entre trois pierres, rougoyaient. L'
intérieur de cette case ronde, peu à peu, apparut vide. Du dehors, Paméla ne
l'eût pas cru si vaste...Elle y trouva deux bidons à pétrole et une calebasse
charbonneuse, avec des restes de riz. Elle les gratta avidement, à l'aide d'une
cuiller de bois...Maintenant elle s'habituait à l'obscurité; elle put distinguer
une carcasse de lit, faite d'un gril de branchages, s'y laissa choir.
Alors, face à elle, elle aperçut, debout,
collé au mur, immobile, plus abandonné qu'une chèvre, un négrillon qui la
regardait avec une indifférence stupide."
Les topoï de l'écriture exorique et
coloniale y apparaissent nettement et quasi-caricaturaux: la nuit noire de l'
Afrique noire, hostile ; l' Occidental désemparé qui découvre un décor sauvage,
primitif où sa solitude désorientée, son abandon, affronte l'abandon de l'enfant
sauvage. On remarque l'animalisation de l' Occidental ("à quatre
pattes") et la transformation romanesque du matériau brut, mais déjà
sensiblement travaillé, du second extrait où l'héroïne du récit, qui se rend,
littéralement, dans tous les sens du terme, à la vie sauvage ("en sueur,
sa robe légère en lambeaux"), affronte une nuit et une lune africaines
(donc maléfiques), la faim, l'extrème pauvreté et, enfin, le négrillon
"stupide" . Avec "la lune (et) son rire de nègre", on
conviendra aisément qu'il ne s'agit pas ici du meilleur Morand mais il y a des
éléments qui annoncent l'écriture plus suggestive encore, et plus réussie,
d'Hécate et ses chiens, aux variations conradiennes sur le thème de la
sauvagerie. On aura compris que, dans ce passage de Magie noire, nous ne sommes
qu'au bébut de l'histoire et que Paméla va affronter d'autres réalités
sauvages.
Car c'est bien de construction du Sauvage
qu'il s'agit toujours ici et, plus encore, du monde sauvage et de la sauvagerie
au sens fort, celle qu'évoque Joseph Conrad dans son oeuvre, celle, explicite,
du monde que l'Occidental affronte, et celle, implicite, qu'il porte en lui,
dont il n'a pas d'abord conscience et qui se révèle peu à peu jusqu'à le
détruire totalement.Si l'écrivain voyageur Morand a rencontré, en touriste, la
vie sauvage, par contre, son personnage de Paméla, jeune Américaine richissime,
s'anéantit, à la fin du récit, dans la sauvagerie, à l'instar du personnage de
Kurtz dans Coeur des ténèbres de Joseph Conrad. L'influence de Conrad sur le
roman français a été déterminante, et ce à partir de la traduction par André
Gide en 1923 de Typhon : Magie noire l'illustre bien..
Ces deux extraits pris dans l'oeuvre de
Morand, représentatifs d'une écriture datée des années trente, valent pour la
mise en relief des topoî de l'exotisme colonial, leur visualisation en paralèle
et presque stéréoscopique. En cela, à l'époque, Morand n'est guère éloigné des
représentations de l'Autre et de l'Ailleurs que l'on trouve chez d'autres
auteurs voyageurs du moment, comme Maurice Dekobra ou Pierre Benoit, par
exemple.
Autres topoî
de l'écriture exotique et coloniale dans le texte que Morand donne en exergue
de Magie noire :
" 1895. - Charles, notre jardinier
de Ris-Orangis, me montre le supplément illustré du Petit Journal sur lequel un
soldat, coiffé d'un casque en pain de sucre, tue des Malgaches. Entrée des
Français à Tananarive. Premiers souvenirs d'enfance.
" 1902. - On me conduit au Nouveau
Cirque. Cake-walk. Un couple de nègres américains endimanchés, tenant à la main
le bouquet de l' Olympia, cabrés, font irruption dans le XXe siècle.
" 1914. - Septembre, 9 heures du
soir. Les tirailleurs sénégalais descendent le boulevard Saint-Michel.
Direction : la Marne.
" 1916. - Septembre. Toute une
soirée, un homme à l'accent créole, à la voix sourde comme celle d'un récitant
de Conrad, me révèle la poésie des Antilles, la noblesse du rhum : c'est saint
Léger Léger.
" 1919. - Darius Milhaud arrive du
Brésil. Il décrit Bahia, la Rome noire, me joue de ces sambas nègres qui serviront bientôt à la
musique de son Boeuf sur le toit.
" 1920. - Je rentre en France. Dans
les bars d'après l'armistice. Le jazz a des accents si sublimes, si déchirants
que, tous, nous comprenons qu'à notre manière de sentir il faut une forme
nouvelle. Mais le fond ? Tôt ou tard, me disais-je, nous devrons répondre à cet
appel des ténèbres, aller voir ce qu'il y a derrière cette impérieuse
mélancolie qui sort des saxophones. Comment rester sur place , tandis que le
temps glacé fond entre nos mains chaudes ?
En route.
1925. - Djibouti.
1927. - La Havane, la Nouvelle-Orléans, la
Floride, la Géorgie, la Louisiane, la Virginie, les Carolines, Charleston,
Harlem.
1927. - La Guadeloupe, la Martinique,
Trinidad, Curaçao, Haïti, la Jamaïque, Cuba, Alabama, Mississipi.
1928.- Dakar, la Guinée, le Fouta-Djalon,
le Soudan, le sud du Sahara, le Niger, Tombouctou, le pays Mossi, la Côte
d'Ivoire.
50.000
kilomètres. 28 pays nègres."
Ce texte est important à plusieurs
titres.D'abord, les topoï exotiques et coloniaux sont bien là ( la conquête
coloniale, les tirailleurs sénégalais, "l'appel des ténèbres" et le
mot "nègre" alors banalisé, d'usage courant ).Ensuite, l'énumération
des dates éclaire l'importance de l'exotique et du colonial dans la vie de
Morand, de 1895 (il a sept ans) à 1928, et ce texte fait une sorte de point
fixe sur l'évolution du thème de l'Ailleurs et de l'Autre dans sa vie et son
oeuvre, comme autant de tableaux exotiques, aujourd'hui très datés, mais très
révélateurs aussi.Enfin, si l'expérience réelle des voyages justifie la traduction en fiction des romans
ou des nouvelles - d'où ce long texte en exergue de Magie noire - on voit
surtout bien la nécessité du voyage pour Morand, l'impérieux besoin d'aller
voir ailleurs, d'aller voir l' Ailleurs : " Comment rester sur place,
tandis que le temps glacé fond entre nos mains chaudes ?"
Portraits de villes et
point fixe : L' Exposition coloniale de 1931
Paul Morand s'est marié à Paris le 3
janvier 1927 à la mairie du 7e arrondissement avec Hélène Chrisoveloni,
princesse Soutzo, qu'il avait rencontrée, nous l'avons vu, dix ans auparavant.
Grecquo-roumaine, noble , riche, habituée du Ritz, du Tout-Paris et de ses bals costumés , amie de Proust, elle apporte
à Morand ses relations mondaines et l'aisance financière. Du coup, le
diplomate, qui n'a jamais été très assidu à ses différents postes, en profite pour
obtenir de son ministère une mise en congé qui durera treize ans - jusqu'en
1940 - et qu'il va passer, bien sûr, à voyager et à écrire , puisqu'Hélène lui
apporte, en plus de l'aisance matérielle, ce qu'elle lui avait d'ailleurs déjà
donné auparavant : la liberté d'aller où bon lui semble, avec elle, ou sans.
Après le succès de Magie noire, Morand
part, en 1929, pour New-York où il reste deux mois, le temps d'accorder son
style à la ville : regard acéré, écriture instantanée-travaillée, modulation
musicale des tableaux. Philippe Sollers a bien vu l'essentiel du New-York de
Morand :
"Donc : New-York. A part
le passage fameux de Voyage au bout de la nuit , on ne peut pas dire que la
littérature française se soit illustrée dans cette dimension redoutable. Vous êtes à New-York ou vous n'y êtes pas.
Un Français, en général, n'y est pas (...).
"
Morand a vite
vu, compris, dominé la situation.Le livre est publié en 1930, moment de grand
tournant : économique, technique, géopolitique . Il est un des seuls Européens
à saisir l'événement. D'où sa tentation de le maîtriser, dans un livre qui est
à la fois un essai de mythologie, une prophétie nerveuse, un guide touristique,
un reportage, un traité d'ethnologie, une longue nouvelle (...). On sent bien
l'ambition de Morand, dès les premières lignes. Reprendre le récit là où
Chateaubriand l'a laissé... "Silence. Les dernières vagues atlantiques se
jettent sur une pointe de rochers bruns pourpres et s'y déchirent..."
Il faut lire New-York, pour des raisons
évidentes : l'écriture poétique-électrique - Morand y apparaît comme notre
Whitman - la composition élaborée où l'impression d'instantanés vient de
phrases-choc, de formules taillées au rasoir, mais surtout d'une longue
patience, de prises de notes sur le terrain, de recherches historiques fouillées
qui font le substrat du récit. Morand a "le regard sociologique" qui
voit tout de suite l'essentiel d'un lieu mais son premier portrait de ville -
comme le seront Londres et Bucarest - vient, d'abord, d'une patiente
connaissance de l' Histoire, et des stratifications d'une civilisation qui se
marquent dans mille détails des lieux pour qui sait véritablement voir. C'est
ainsi que, dans le livre, des "dessins du tapis" reviennent en
leitmotive : le lieu mythique de la Batterie, l'ancien fort colonial du tout
premier Manhattan, lieu-monument symbolique des origines, et promontoire des
voyages, appel d' Ailleurs. Mais, aussi, des mots reviennent, comme
"colonial" ou "exotique" puisque New-York procède des deux,
par ses origines mêmes et ses populations brassées, ses quartiers mosaïques de
peuples. Pour Morand, en 1930, tout New-York est exotique, par son passé
colonial et par son "melting-pot" qui en fait un endroit à la fois
différent et proche des lieux vus auparavant, un écho multiplié d' Afrique et
d' Asie, et aussi une préfiguration des mégapoles du futur : pour Morand,
multi-raciales, avec leurs bons et leurs moins bons côtés.
Après New-York, Morand donnera coup sur
coup deux portraits de villes, Londres et Bucarest. Un peu plus tard, Paris.
Pour nous, après New-York, Londres et Bucarest sont moins bien réussis. Sans
doute parce que Morand connaît trop bien Londres, sa "mascotte", par
trop de séjours et sur trop de temps, ce qui émousse le fameux "regard
sociologique". Reste un guide remarquable de Londres, à lire encore
aujourd'hui, accompagné du Nouveau londres qu'il publiera en 1962.
D'autant que
Londres a tant changé depuis...
Pour Bucarest , le substrat historique pèse
trop au début de l'ouvrage, et l'on sent trop le tableau destiné à plaire à Hélène
Morand, sa belle Roumaine, qu'on imagine, par ailleurs , si fière d'avoir pour
époux un écrivain-voyageur maintenant fort célèbre et qui célèbre du coup
sa Roumanie. Mais, l'intérêt, dans la
vie et l'oeuvre de Morand, pour l'année 1931, réside peut-être,plus encore que
dans ces trois portraits de villes, dans deux ouvrages où il marque le pas,
regarde son oeuvre et le temps passé, fait la pause et prend aussi un peu la
pose : Papiers d'identité et 1900. Mais pourquoi en 1931 justement ?
Paul Morand est au sommet de sa
popularité. C'est l'un des "best-sellers" des années trente. Romancier et nouvelliste célèbre, c'est
surtout ce que nous appellerions aujourd'hui un grand écrivain voyageur, à
l'instar, pour l'époque, de Jérôme et Jean Tharaud, de Marius-Ary Leblond, de
Pierre Mille et André Demaison, un peu en concurrence avec Francis de Croisset
et surtout Dorgelès. A côté de ces noms, il faut évoquer celui d' André Gide
qui a déjà un statut de "maître à penser" et de chef de file dans le
microcosme parisien du moment, et aussi le nom que l'on voit poindre à
l'horizon, celui d' André Malraux.
Arrêtons-nous, nous aussi, un instant ;
faisons ce que fait Morand , un "stand by" sur son oeuvre, un examen
de son bon fonctionnement, comme on fait d'un avion, avant le décollage.
C'est bien le
sens qu'il donne à sa bibliographie qu'il place, non sans orgueil, à la fin de
Papiers d'identité. On y retrouve mentionnés les poèmes, les nouvelles, les
grands romans et , bien sûr, les récits de voyages , ou issus de voyages, ceux qui nous intéressent plus
particulièrement ici : Siam, Rien que la terre, Magie noire, Paris-Tombouctou,
Hiver caraïbe, Bouddha vivant pour arriver à New-York. A cette époque, c'est
surtout pour ses récits de voyages que Morand est connu du grand public. Il en
fait un snobisme puisqu'il est fréquent de trouver dans les ouvrages l'insert :
" Avec l' hommage de l'auteur , absent de France en ce moment
".Morand fait partie , chez l'éditeur Grasset, des fameux " 4 M
", qui donnent son renom à la maison, avec trois autres "grands"
de l'époque : Maurois, Montherlant et Mauriac. Une marque de fabrique en
quelque sorte. C'est d'ailleurs Grasset qui lui commande ces Papiers
d'identité, en réponse à une demande du
public d'en savoir plus sur cet auteur quasi-légendaire. Les premières lignes
sont sans ambiguïté :
" le Moi, haïssable ou non, est un sujet si vaste
qu'il réclame toute une vie pour être traité et ne saurait s'encadrer dans ces
pages.
Ce dont vous
m'avez demandé de parler ici, c'est de ce faux moi-même que je nommerai : MA
LEGENDE. "
Morand en profite alors pour rappeler avec humour les titres de
ses oeuvres comme autant de facettes de lui-même pour finir par : "ces
yeux bridés sont ceux de Bouddha vivant et après Magie noire, mes photos elles-mêmes
ont commencé, Ô Dorian Gray ! à prendre le type nègre." Il ne s'en inscrit
pas moins, pour l'écriture de voyage, exotique et coloniale, dans la lignée, on
l'avait deviné, de Chateaubriand, Loti et Dorgelès .
Cette légende
" par lui-même" est aussi le moment d'une distance vis-à-vis de
l'image que le lecteur d'alors se fait de son auteur favori : " Enfin,
l'on me croit drôle et brillant: voilà bien la preuve que ma légende est bâtie
par des gens qui ne m'ont jamais vu.On m'imagine grand voyageur, écumeur de
globe, détrousseur de continents, une sorte de Chinois issu d'un Pamir immobile
et qui court après les trains, une valise à la main.Dieu seul sait si je hais
la fumée, les gares, les hôtels, l'éloignement des êtres chers ! "
Pour preuve, cet ouvrage qu'il donne
toujours en 1931 : 1900. Pour trois
raisons, selon nous, entr'autres.Une raison très personnelle, tout
d'abord.Morand vient de perdre son père, qu'il aimait tant et qui lui a donné
le sens esthétique, le savoir voir, le goût des belles choses, et l'a suivi
attentivement le long du chemin. La seconde raison est liée à la première.
"1900"
,c'est son
enfance parisienne, sa formation, le milieu qui l'a construit et cette
découverte de l'Exposition Universelle, si essentielle pour lui. Or - troisième
raison - 1931 c'est justement l'année de l' Exposition Coloniale de Vincennes.
C'est pour Morand un peu le doublement de celle de 1900 qu'il évoque d'ailleurs
clairement dans sa dimension exotique et coloniale :
" Je
passe mes journées dans cette ville arabe, nègre, polynésienne, qui va de la
tour Eiffel à Passy, douce colline parisienne portant soudain sur son dos l'
Afrique, l' Asie univers immense dont je rêve (...). Je fais mille voyages
extraordinaires sans me déplacer, comme Des Esseintes; sous la tour Eiffel,
près du petit lac, se cache le village tonkinois avec ses jonques et ses femmes
mâcheuses de bétel ."
L' Exposition Coloniale de Vincennes, ce n'est pas
autre chose. Avec 1900 Morand donne la clé de son goût des voyages, remonte le
temps vers ses éblouissements d'enfant. Par ailleurs, en 1931, justement, il
s'affirme comme l'un des grands écrivains du domaine exotique et colonial, même
s'il fait mine, ici ou là, de critiquer l'exotisme " cette photographie en
couleurs " . Comme Farrère, Albert Londres, Dorgelès ou Cendrars , comme
l' Exposition Coloniale, il amène l' Ailleurs au public métropolitain. Sans
doute célèbre-t-il New-York, Bucarest, Londres "l'exotique",
Buenos-Aires et "l'Air Indien" des Andes - nous le verrons plus loin
- mais il révèle aussi l'itinéraire Paris-Tombouctou, la Magie noire et l' Afrique Occidentale Française : il est
bien , même s'il s'en défend par -ci, par-là , un grand écrivain exotique et
colonial de son temps. Avec son propre talent du récit, il fait oeuvre de
propagande coloniale, comme son ami Pierre Benoit, comme Lyautey ,
l'organisateur de l' Exposition, ou son autre ami Maurois qui en écrit le guide
officiel. C'est à cet éclairage-là qu'il faut revisiter, aujourd'hui, Morand.
Il écrit, toujours dans 1900 : " C'est au Trocadéro que j'ai compris la
grandeur de l'oeuvre que Gallieni et Lyautey achevaient à Madagascar, de la
récente création du gouvernement de l'Afrique Occidentale Française et de l'
Indochine, de l'effort de Jules Cambon en Algérie, de tout ce que la france
avait accompli en moins de cinquante ans." Dont acte. Morand appartient
bien au même domaine d'écriture que Dekobra, De Croisset, Pierre Benoit, André
Demaison ou Henri Fauconnier, en 1931. Mais, au même moment, Breton, Eluard, Aragon
et M. Alexandre publient un court pamphlet :
Ne visitez pas l' Exposition Coloniale. Sans doute savent-ils que toute
grande commémoration enterre ce qu'elle célèbre. Qui sait, alors, que
l'Exposition coloniale enterre les
Colonies ?
L'
Exote : toutes
les routes du globe .
Après
les grands voyages maritimes, sur les lignes d' Asie ou d' Amérique, à bord des
paquebots des Messageries Maritimes
remplis de colons , ou les grands transatlantiques des salons richement
décorés, après la lenteur des traversées : l' avion.
Même s'il
s'en défend, aussi mollement d'ailleurs qu'il a pu se défendre d'être un
écrivain de l'exotisme, Morand se veut, alors, l'écrivain de son temps, du
monde moderne, l'inventeur d'une manière, dans le mondial comme le mondain, de
s'approprier la planète en voyageur et en styliste de la rapidité et du
raccourci. Morand apporte l'expérience du voyageur, littéralement du
"touriste" au sens de celui qui fait " le Grand Tour " du
monde ; et ici plus précisément le regard du passager des toutes récentes
lignes aériennes.
C'est en 1931 que Saint-Exupéry , pionnier
et chantre de l' Aéropostale, publie Vol de nuit chez Gallimard. Le livre,
couronné par le prix Fémina, connaît un grand succès.L'auteur est parrainné par
André Gide qui préface l'ouvrage :
" Tout ce que Saint-Exupéry raconte, il en parle " en
connaissance de cause ". Le personnel affrontement d'un fréquent péril
donne à son livre une saveur authentique et inimitable. Nous avons eu de
nombreux récits de guerre ou d'aventures imaginaires où l'auteur parfois
faisait preuve d'un souple talent, mais qui prêtent à sourire aux vrais
aventuriers ou combattants qui les lisent. Ce récit, dont j'admire aussi bien
la valeur littéraire, a d'autre part la valeur d'un document et ces deux
qualités, si inespérément unies, donnent à Vol de nuit son exceptionnelle
importance ".
Au début d'
Air Indien , récit de son voyage aérien en Amérique du Sud, Morand
répond à sa façon à Vol de nuit et aux propos de Gide :
" Tous les récits
aériens donnés jusqu'ici au public sont extraordinaires. Ce ne sont que hauts
faits, périls nocturnes, records audacieux, prouesses inouïes pour
l'émerveillement des enfants et pour le découragement des grandes personnes. Je
voudrais, moi, décrire maintenant le quotidien, le normal, présenter le point
de vue du voyageur qui fait signe quelque part à l'aérobus bi-hebdomadaire de
s'arrêter ; ce très ordinaire "colis" qui monte le matin dans la
carlingue, y déjeune, y lit, y baille, en descend le soir pour se reposer, est
sorti pour toujours de l'époque héroîque dans laquelle se complaît encore l'
Europe. Ayant pris mon billet anonymement au guichet, dans l'hémisphère sud, je
vais dire comment, sans fanfare ni champagne, j'ai atterri à l'heure dite dans
l'hémisphère nord ."
Avec une
apparente désinvolture de formulation, Morand se démarque ici clairement de
certains de ses contemporains dont l'écriture est aussi un engagement.Si, pour
lui, par exemple, Malraux, qu'il a rencontré à Saïgon à son retour du Siam,
" a payé de sa personne (et) peut se permettre des oeuvres dangereuses
parce qu'il a vécu dangereusement " , il veut, quant à lui, ne pas être , à cette époque, partie
prenante des affres de son temps, présentes et à venir, quitte à demeurer ce qu'il
aime être, un écrivain de l'art pour l'art, un styliste, à l'exemple peut-être
ancien, mais pour lui très actuel, d'un Théophile Gautier, voyageur comme lui.
Et l'écart va se creuser de plus en plus entre des écrivains comme Morand,
Maurois, Montherlant, ou encore Giraudoux, et ceux qui agissent , ou au moins
vont délibérément voir là où le monde souffre, comme Malraux, Saint-Exupéry,
Mauriac , Bernanos,ou encore Kessel.Comme le dit Manuel Burrus dans la
biographie qu'il lui consacre, le Morand des années trente " évite les
sujets graves " . Et devenu journaliste du Figaro en 1934 , il donne, avec
l'aide avec l'aide d'amis comme Maurois, Bernard Faÿ et Claudel, des chroniques
" d' intérêt général " .
De là à dire qu'entre ses articles, ses
récits de voyages aériens d' Air Indien ou de Flèche d' Orient, ses conférences
en Amérique du Sud sur "Orient-occident" ou encore " Littérature
et Arts plastiques ", Morand se disperse un peu, il n'y a pas loin.Il se
lance aussi dans des scénarios de films qui seront des échecs. Sans doute
est-il temps pour lui de se rassembler un peu, de rassembler ses idées - comme il l'a fait auparavant avec 1900 ou
Papiers d' Identité - et ce sera , en 1936 , La Route des Indes . L'incipit est
parlant : " On ne trouvera pas ici un itinéraire unique, mais le résumé de
six ou sept voyages dans le Levant et l' Orient, en paquebot ou en avion, en
auto ou en bateau volant, en chemin de fer ou en yacht, de l' Asie Mineure au
Golfe Persique, d' Egypte en Turquie, d' Italie aux Indes, de Grèce à la Côte
d' Arabie, d' Egypte en Syrie. Toutes les sinuosités que ces pérégrinations
laissaient sur mes cartes depuis bien des années s' ordonnent, se groupent en
faisceaux, forment des courants dont je voudrais aujourd'hui dessiner le plus vaste : la route des Indes ". A
l'instar des portraits de villes, il s'agit , sur un fond géographique et
historique, de proposer des " instantanés travaillés " d'expériences
de voyage. Toutes les routes des Indes sont mobilisées, réelles et imaginaires,
celle des Mille et une nuits et de Sinbad, celle de Christophe Colomb, celle de
Marco - Polo et de la route de la soie, celle des navigateurs portugais, celle
de Bonaparte et celle du Canal de Suez. Les routes terrestres, les routes
maritimes et bien sûr la route aérienne , la plus récente, la plus moderne, la
plus immédiatement politique aussi. Car Morand, à travers cette synthèse que
les éditions Sequana présentent en Juillet 1936 comme une " étude
historique, un récit de voyage, un essai politique, un article d'actualité
" , bref ce genre littéraire hybride que Morand travaille depuis des
ennées et qui fait un peu un genre littéraire en soi, commence à voir
venir les crises internationales
sévères ( n'oublions pas que Paul Morand est Diplomate) mais il les voit
naître sur les carrefours de ses routes des Indes : " Aujourd'hui, sur les
grandes pistes de l'univers, les nations en course et les événements en folie
sont lancés comme des bolides et nous n'avons même pas le temps de dire ouf et
de faire une prière que nous sommes atteints : la plus vaste de ces avenues où
se déroule en ce moment notre destin, c'est la route des Indes ."
Sans doute, à l'époque comme aujourd'hui,
cette avenue et ses carrefours sont-ils de tous les dangers. N' empêche qu'en
juillet 1936 débute la Guerre d'
Espagne. Kessel , Saint-Exupéry y seront comme correspondants de guerre ;
Malraux comme combattant . Morand publie sa Route des Indes : les divergences
dont nous parlions plus haut vont devenir des abîmes ,à moins que Morand ne tente
de s'impliquer un peu plus dans
l'histoire de son temps, et plus seulement comme spectateur. A condition ,
aussi, de ne pas se tromper dans ses choix...
1940 - 1945. Exit l' Exote :
les
années noires de Paul Morand
1938.
Paul Morand est réintégré dans les cadres du Ministère des Affaires Etrangères,
avec rang de Conseiller. Il va représenter la France aux Commissions fluviales
internationales. En juin 1939, il fait partie de la Commission du Danube.Il y
retrouve l'histoire difficile de la construction du continent européen dans l'une de ses plus prestigieuses routes
fluviales. Dans le même temps, l'écrivain régulier et constant propose Apprendre
à se reposer , écrit à chaud après les lois sur les congés payés de 1936 .
Morand est de nouveau un touche-à-tout de l'écriture qui publie sur des sujets
très divers, et assez anodins, comme le montrent ses chroniques de 1939 qu'il
publie sous le titre Réflexes et Réflexions. Il est d'ailleurs en cela dans la
droite ligne d' écriture de l'un de ses amis du moment, André Maurois , entré à
l' Académie française en 1938 et qui partira vivre aux Etats-Unis de 1940 à
1945.
1940-1945 : cinq années qui vont peser
lourd pour Morand, aux yeux de l' Histoire récente.
1940. De
Gaulle arrive à Londres ; Morand en part. Rappelons la chronologie. 17 juin
1940, arrivée de De Gaulle. 18 juin, l' Appel, dont, pour la petite histoire,
Elisabeth de Miribel a tapé le texte à la machine. Elisabeth de Miribel est la
secrétaire de Paul Morand, alors Chef de la Mission française de guerre
économique à Londres. Morand la laisse rejoindre De Gaulle.
3 juillet ,
rupture des relations diplomatiques entre la France et l' Angleterre. Le
gouvernement de Vichy aurait souhaité que Morand reste en poste afin de
maintenir un contact officieux avec le gouvernement anglais. Il aurait pu
peut-être aussi tisser , très officieusement, des liens avec les bureaux de De
Gaulle. 20 juillet, Morand et la majorité de ses fonctionnaires embarquent à
Liverpool pour Lisbonne. Morand est
très fraîchement accueilli par Vichy et mis à la retraite d'office. Dire, par
ailleurs, que De Gaulle lui en veut d'être parti de Londres quand lui-même y
arrivait est un euphémisme. D'autant que De Gaulle, qui appréciait tant les
bons écrivains, aimait bien les écrits
du Morand d'avant-guerre. Ecoutons la version que donne De Gaulle des
événements dans l'un de ses entretiens avec Alain Peyrefitte en 1962 :
" Alain
Peyrefitte : "- Et Paul Morand ?
De Gaulle : " - Lui , c'est pire encore
! Laval ne lui demandait pas de
rentrer. Londres et Vichy étaient prêts à accepter le maintien de sa mission
économique ; elle pouvait entretenir
des liens
discrets, tout en ne faisant pas obstacle à ce que les relations diplomatiques
soient
officiellement rompues... Il est parti par le même bateau que l'ambassade. On
ne voulait pourtant pas de lui à Vichy et on lui a tenu rigueur de son abandon
de poste.
Il était victime des richesses de sa femme,
qui était roumaine, vous savez.
Pour les
récupérer , il s'est fait nommer ministre de Vichy à Bucarest. Puis, quand les
troupes russes se sont approchées, il a chargé un train entier de tableaux et
d'objets d'art et l'a envoyé en Suisse. Il s'est ensuite fait nommer ministre
de Vichy à Berne, pour s'occuper du déchargement (Rires)" . La suite de l'échange vaut d' être notée
aussi :
" Alain
Peyrefitte : " - Vous pensez que la collaboration et la fortune avaient
partie liée ?
" De
Gaulle : " - Vous ne croyez pas si bien dire ! Ce qui a rendu si rares les
Français Libres , c'est le fait que tant de Français soient propriétaires. Ils
avaient à choisir entre leur propriété - leur petite maison, leur petit jardin
, leur petite boutique (...) - et la France. Ils ont préféré leur propriété.
Quels ont été les premiers Français Libres ? Des braves types comme les
pêcheurs de l' Ile de Sein , qui ne possédaient que leur barque et l'emmenaient
avec eux ; des garçons sans attaches, qui n'avaient rien à perdre ; des Juifs
qui se sauvaient parce qu'ils devinaient qu'ils allaient tout perdre. Ceux qui
avaient à choisir entre les biens matériels et l' âme de la France, les biens
matériels ont choisi à leur place. Les possédants sont possédés par ce qu'ils
possèdent . "
Notons qu'au même moment Maurois et
Saint-John-Perse partent, eux, pour les Etats-Unis. Pour De Gaulle - il l'a dit
- il est évident que Morand "lui a manqué" , dans les deux sens du
terme : a manqué comme soutien supplémentaire à son action à Londres, et l'a
trahi .
Outre le fait
que le Morand diplomate aurait pu jouer " les Messieurs-bons-offices"
entre Vichy et Londres -en clair,
participer à la Diplomatie secrète et être l'une des cordes de l'arc pour le
pays - le Morand écrivain célèbre ,
même très célèbre à l'époque , aurait pu apporter sa caution en faisant "
le bon choix " . Et , pour De Gaulle , le grand écrivain a toujours
appartenu , littéralement, à une espèce sacrée, parce qu'elle a, aussi ,
d'abord, plus de devoirs
: " - Un intellectuel n'a pas
plus de titres à l'indulgence, il en a moins , parce qu'il est plus informé,
plus capable d'esprit critique, donc plus coupable. Les paroles d'un
intellectuel sont des flêches, ses formules sont des balles ! Il a le pouvoir de transformer l'esprit
public. Il ne peut pas à la fois jouer des avantages de ce pouvoir-là et en
refuser les inconvénients ! Quand vient l'heure de la justice, il doit
payer."
La réaction de De Gaulle est aussi liée à une forme, très
intellectuelle et littéraire, de dépit,
car Morand
était avec Giraudoux l'un des auteurs préférés, comme styliste , de De Gaulle
dans l'
Entre-deux-guerres . Les oeuvres de Giraudoux trônent encore dans la
bibliothèque de Colombey. Quant à Morand , il passe alors à la trappe, et sa
candadature future à l' Académie Française
souffrira du véto gaullien jusqu'à ce qu'en 1968, la rancoeur un peu atténuée,
De Gaulle , Protecteur en titre de l'
Académie ,ne s'y opposera plus.
Morand, en 1940 , retourne donc à ses
affaires , personnelles et familiales, et , parmi les toutes
premières , l'écriture. Il s'installe aux Hayes, en bordure de la forêt de
Rambouillet, pour y rédiger L' Homme
Pressé , qui donne d'ailleurs au lecteur attentif quelques clés de ses
préoccupations toutes personnelles du moment. Il s'installera aussi avenue
Charles-Floquet avec Hélène. Hélène qui est pour beaucoup dans son départ de
Londres. " Nous n'allons tout de même pas recevoir ces gens-là ! "
aurait-elle dit des émigrés et des expatriés fraîchement débarqués à Londres.
Car elle est , ostensiblement , antisémite et pro-nazie . D'un antisémitisme
dont il faut bien dire qu'il est , malheureusement ,assez courant à l'époque ,
et très fréquent dans son milieu. Et Paul Morand n'est pas en reste, lui dont
les propos antisémites sont légion dans les écrits récents , New-York, Londres,
Bucarest, La Route des Indes, L'Homme Pressé, et surtout France-la-Doulce, son pamphlet
contre les milieux du cinéma. Hélène pro-nazie ? Elle l'a dit, claironné même :
"
Nazie, j'ai été, nazie , je suis.
Nazie, je resterai ." Il faut faire la part de la provocation chez une
femme qui avait son franc-parler, et pouvait être, par ailleurs,
intelligente
et raffinée. On pense , ici, à l'ami de Morand,
autre grand écrivain qui s'est fourvoyé , Louis-Ferdinand
Céline
, quand il lance dans un dîner où se trouvent nombre d'
officiers allemands :
" Hitler
, c'est un Juif ! "
Les Morand reprennent donc leur vie
mondaine, leurs dîners entre écrivains
collaborateurs et officiels allemands, nazis ou non , des forces d'occupation à
Paris ; et, parmi
eux, Ernst Junger. Morand rédige une Vie de Guy de Maupassant et publie en 1941
L' Homme Pressé dont le moins que l'on puisse
dire est que ses fidèles lecteurs n'y trouvent guère écho de leurs
préoccupations du moment. C'est sans doute la raison pour laquelle Morand croit
judicieux de donner une nouvelle préface à son 1900 version réédition 1941 ( et
qui , pour nous, fait écho au chapitre qui précède ) : " C'est en 1930 que fut publiée la première
édition de ce livre.Nous vivions alors une dernière décade heureuse ; notre
déclin
avait des
tiédeurs de duvet et un capiteux parfum. Nous descendions vers 1939 comme 1900 descendait
vers 1914, glissant dans l'abîme comme dans un plaisir. J'écrivis ce tableau de
la
société de
1900, stimulé , inquiété par ce parallélisme 1900-1930 que je devinais, me
sentant porté au sommet d'une cîme de bonheur d'où j'apercevais cependant ce
petit nuage couleur de rose frangé de lilas qui dans les mers de Chine annonce,
bien avant le baromètre, le typhon. 1900 lui aussi se reposait sur la crète
d'un paysage de sécurité, dans un décor de fortes alliances, sous un climat de
facilité et de jeu.
Et pourtant l'une et l'autre époque
contenaient en germe les malheurs futurs, puisque ceux-ci survinrent à l'heure
dite.
Ce n'était pas en France seulement, mais en
Europe et dans le monde entier que nos contemporains jouissaient de leur reste,
imitant en cela mon 1900 que leurs auteurs évoquèrent tour à tour : en
Angleterre, Osbert Sitwell publiait Those where the days (1938), Noël Coward
faisait jouer Cavalcade (1933) ; aux Etats-Unis Thomas Beer donnait The Gay Nineties (1932) ."
Façon de dire qu'il n'était pas le seul à ne
rien avoir vu venir.
1942. Morand
est nommé Chargé de mission auprès de Pierre Laval et réintégré dans les cadres
des Affaires Etrangères. Il faut dire ( à sa décharge ? ) qu'il a été un
Munichois de la première heure et toujours , on l'a vu , légitimiste. De plus,
si Pétain était l'ami de son père, il est , lui, l'ami de la fille de Laval,
Josée Laval , qui deviendra Josée de Chambrun, dont il aime la spontanéité et
le franc-parler. Enfin, il n' a jamais caché son admiration pour Laval. En
1942, il s'engage donc délibérément dans la Collaboration, un peu aidé aussi
par Jean Jardin, l'une des éminences grises de Laval. Sait-on que Morand a
rédigé, avec Josée de Chambrun, un opuscule de propagande intitulé Qui est
Pierre Laval ? Morand prête serment au
Maréchal, est chargé de la censure cinématographique , et reçoit, très
officiellement, en Ambassadeur , le gratin des écrivains de la Collaboration -
Drieu La Rochelle , Benoist-Méchin - et des Allemands de haut rang comme Otto
Abetz, Gerhard Heller, le sculpteur Arno Breker, qui fait d'ailleurs son buste
en bronze, dans son salon de trente mêtres de long et de huit mêtres de hauteur
de l'avenue Charles Floquet, un salon "de paquebot" qui aurait pu
servir de décor pour le "Xanadu" d' Orson Welles. Hélène Morand ne
loge pas petit ses invités. Mais si Paul Morand, et Hélène, collaborent au vu
et au su de tous, Morand reste habile . Diplomate ?
Il va vite se
débarrasser de la patate chaude de la Commission de censure , ne donne que des
écrits plutôt anodins comme Propos des 52 semaines (1942) et se garde bien de
participer à la fameuse délégation des écrivains français au Congrès des
Ecrivains Etrangers de Weimar en 1941 . Du coup, il ne sera pas sur la photo,
devenue ,pour tant d'autres, une photo-chage... et comme la brochure sur Laval
sera bien vite oubliée...Et Hélène, derrière ses propos provocateurs, ses
amitiés et ses idéologies affichées, ne manque pas d'aider, discrètement, des
amis dans la difficulté. Ainsi, elle intercède pour faire libérer le mari de
Colette, Maurice Goudeket. Ils pensent aussi tous deux à leurs intérêts
matériels puisqu'en 1943 Morand se fait nommer Ambassadeur à Bucarest et
(dixit) " envisage de liquider les intérêts de sa femme en Roumanie avant
l'arrivée des Russes. "
1944. Il est
Ambassadeur de Vichy à Berne, avec Jean Jardin, toujours, dans son cabinet.
Puis les choses s'accélèrent : 23 août 1944,Pétain part pour l' Allemagne.
14
septembre,Morand est révoqué par De Gaulle et Georges Bidault. Il s'installe
,avec Hélène et son petit-fils Jean-Albert, en Suisse , à Territet-Mont Fleuri,
sur les bords du lac de Genève.
Sur la période
1940-1945, laissons le dernier mot à Manuel Burrus :
" De sa
mise à la retraite sous Pétain à sa révocation sous De Gaulle, la guerre de
Morand n'apparaît pas comme la page la plus glorieuse de sa vie ".
L' écriture de l'exil : Morand, seconde période .
"
Avant 1944, c'est l'époque qui triomphe chez Morand ; après 1944, il triomphe
de l'époque " a écrit Jacques Chardonne. Morand va triompher, peut-être,
mais difficilement. A l'écrivain adulé, au best-seller des années trente, va
succéder l'exilé. Il est rejeté, ostracisé. A la Libération, le CNE , le Comité
National des Ecrivains, composé pour majorité de Résistants, ne trouve pas,
avec Morand, grand chose à se mettre sous la dent. Nous l'avons dit, il a évité
les fortes compromissions. Pas de photo à côté de Brasillach ; une brochure
dont on ne trouve plus trace ; des chroniques dans Voix françaises sur des
sujets qui ne mangent pas de pain ; un antisémitisme affiché, et attisé par
celui de sa femme, mais qui n'atteint pas la virulence et les débordements d'un
Louis-Ferdinand Céline. Le tableau d'ensemble n'est guère à son avantage, mais
pas de quoi le fusiller. L'exil, très assumé en plus, suffira. Néanmoins , ses
oeuvres sont mises à l'index, ses droits d'auteur et ses avoirs bloqués. De
toute façon, l'idéologie alors en place suffirait à éloigner de lui, et pour un
moment, le grand public qui n'est guère tendre pour les Collabos de tout poil .
Morand reste donc en Suisse, non loin de la frontière française, proche voisin,
géographiquement , et dans l' Histoire, de Voltaire , à Ferney, puis de Madame
de Staël , à Coppet, sur les bords du lac Léman. Dans les lettres françaises du
moment, Morand est gommé, oublié, passé à la trappe. Il dira, plus tard, dans
une interview, "avoir trouvé de son vivant ce Purgatoire des
écrivains qui est , en général, plutôt
posthume".
Mais ce Purgatoire forcé l'oblige à réagir
pour " faire son salut en art " . La solitude et la gène financière
le contraignent à une prise de distance, un recul, une forme d'humilité. Et
cela va donner plus de force et de densité à son écriture . De son propre aveu,
il s'était jusque là pas mal dispersé dans des écrits souvent de circonstance,
des genres par trop divers et quelquefois peu aboutis, comme l'écriture pour le
cinéma ,par exemple. Il lui faut alors se ramasser, ramasser son talent, ses
forces, comme en équitation, domaine qu'il connaît fort bien, retrouver
l'assiette et l'assise, l'aplomb, la bonne tenue et la bonne allure, maîtriser
et, pourrait-on dire, mâturer une oeuvre plus profonde. Cela va donner ,
successivement, de grands, voire de très grands textes. D'abord les romans de
l'exil, dont l'exil est d'ailleurs l'un des thèmes majeurs , et où l'on
retrouve aussi l'exotisme , Montociel, rajah aux Grandes Indes puis Le
Flagellant de Séville, en attendant les grandes réussites que seront l'essai
biographique Fouquet ou le Soleil offusqué ou encore, mais beaucoup plus tard,
son chef-d'oeuvre , Venises , avec un "s" , pour les différents
Venises de sa vie, son autobiographie camouflée, et même son testament
littéraire.
Mais revenons
d'abord en Suisse.
Morand va régulièrement à la
Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne chercher la documentation
dont il a besoin pour terminer son roman, Montociel , commencé à Paris pendant
la guerre. C'est une histoire de Soldat de Fortune aux Indes qui va devenir
Rajah . Cet aventurier-roi, cet aventurier qui va créer son royaume de ses
propres mains, est un peu le frère de ce Mayréna devenu roi des Sédangs en
Indochine, dont Malraux avait entendu parler lors de son séjour à Saïgon et qui
lui a doné son personnage de Perken dans La Voie Royale. Le personnage
principal de Montociel est un coureur d'aventures, comme René Madec ou Benoît
Le Borgne, autres Soldats de Fortune devenus nababs , un marin français qui
devient Rajah d' Oudore en l' An II de la République et qui finit par quitter
les Indes en montgolfière, d'où le titre : "Montociel". C'est un pur
roman d'aventures exotiques et coloniales dans la tradition d'écriture du
XVIIIe et du XIXe siècles. Morand a lu Les Aventures du Capitaine Corcoran d'
Assollant, Jules Verne évidemment, et bien sûr Kipling et L'Homme qui voulut être
roi, autre histoire d'aventurier-roi qui a également beaucoup influencé
Malraux. Outre le traîtement de ce thème , au demeurant assez peu connu en
littérature , l'intérêt de Montociel est qu'il pastiche agréablement l'écriture
du XVIIIe siècle, celle des savants-écrivains et des explorateurs-philosophes.
Et l'exotisme est toujours bien là, constante de l'oeuvre de Morand, avec cette
couleur d'écriture des récits d'exploration et d'aventure coloniale. On
retrouvera cette même veine d'écriture dans le tout dernier récit de Morand,
publié en posthume, et dont nous reparlerons, Monsieur Dumoulin à l' Isle de la
Grenade, récit du périple d'un voyageur vaudois originaire de Vevey. Montociel
paraît en Suisse en 1947 et Morand s'installe à Vevey, au Château de l'Aile, construction
néo-gothique qui donne sur les bords du lac Léman. Il restera fidèle à Vevey
dont il sera fait citoyen d'honneur à la fin de sa vie. Pour l'instant, il
reprend les voyages, et le premier sera pour l' Espagne.
Il se rend deux mois à Séville. C'est en
voyant, à l' Académie San Fernando, les différentes couleurs de la palette de
Goya qu'il décide d'écrire un roman historique sur l' Espagne de l'occupation
napoléonienne, en 1813. C'est un tableau assez apocalyptique de la guerre, et
particulièrement
de la guerre civile que génère l'occupation française. Chaque chapitre a la
couleur dominante d'une oeuvre de Goya, d'un tableau ou d'une esquisse, d'un
lavis ou d'un pastel. Chaque chapitre prend aussi pour titre celui d'une oeuvre
de Goya , généralement extraite des Caprices ou des Malheurs de la guerre.
L'horreur de la guerre civile est racontée à travers l'histoire du héros Don
Luis Almodovar Y Saiz et de sa femme Maria Soledad. Don Luis est un noble
espagnol qui a fait ses études en France et a été marqué par l'esprit des
Lumières.Intellectuel, grand lecteur, il admire L' Encyclopédie : on voit, au tout début du roman, Don Luis
tout à sa joie de déballer un arrivage de caisses contenant les trente-trois volumes
de L'Encyclopédie, venant de France. Il admire aussi Napoléon comme
continuateur des idées de la Révolution et il pense que la France de l' Empire
apportera à l' Espagne la modernité. Sa femme, Maria Soledad, son cousin, Blas,
et le reste de la famille, vont s'opposer farouchement, et par les armes, à
l'armée d'occupation. Et, pour Don Luis, la guerre est aussi en lui comme une
guerre intérieure . Morand saisit le thème, ses couleurs, ses éclairages, pour
exposer son point de vue personnel sur la guerre, les occupations, les
compromissions, les doutes, les trahisons et les crises de conscience de
l'exil. C'est un roman habité, car son expérience personnelle récente est bien
là. Il avoue , dans ses Entretiens , avoir mis dans ce roman précis beaucoup de lui-même sous une couleur
historique. Aujourd'hui, aux dires des spécialistes, Le Flagellant de Séville
est l'un des romans français les plus justes écrits sur l' Espagne. En 1951, le
roman reçoit en France un accueil poli.
Néanmoins, le retour de Morand vers la
notoriété se prépare lentement. Le groupe d'écrivains, auquel on donnera plus
tard le nom de " Hussards " , à cause du roman de Nimier Le Hussard
bleu , s'occupe de son retour en grâce . Il y a là Nimier , bien sûr , puis
Mohrt, Déon, Nourissier, Laurent , Blondin, Bory , qui , à l'instar de
Chardonne , admirent le styliste Morand . Le styliste, c'est-à-dire aussi
l'écriture pour l'écriture, l'art pour l'art ,
en face du bataillon des écrivains engagés qui , selon les Hussards ,
occupent alors un peu trop le terrain ,
Sartre en tête, Camus , bien sûr , sans doute aussi André Malraux , cette
ancienne connaissance de Paul Morand, rencontré, on s'en souvient , à Saïgon ,
qui a travaillé avant guerre à publier Morand dans des éditions de luxe - Rien
que la terre , Siam , Bouddha vivant - et qui a pris petit à petit le chemin
opposé en rejoignanr De Gaulle, et de plus en plus de distance vi-à-vis de
l'ancienne connaissance devenue encombrante. Les contacts Malraux - Morand ne
seront plus , après guerre , que des contacts lointains ,très épisodiques,
uniquement épistolaires , se limitant souvent à des envois d'ouvrages , par exemple, et encore plutôt vers la fin de
la carrière littéraire de chacun. La fin de vie les rendant mutuellement plus
tolérants et plus à l'écoute du parcours de l'un et de l'autre.
En attendant, Morand partage son temps
entre le Château de l' Aile , à Vevey , sa résidence principale, Tanger , où il
occupe quelques mois par an la villa "Shakespeare ", dont la vue ,
superbe , plonge sur le détroit de Gibraltar, vrai balcon face à la vieille
Europe , et Paris, où il ne fait que passer , mais de plus en plus souvent.
Autre étape non négligeable du lent retour en grâce : un décret du Conseil d'
Etat , que l'on doit , par parenthèse, à Georges Pompidou , alors Rapporteur ,
qui le rétablit dans ses fonctions aus Affaires Etrangères , pour lui donner aussitôt une confortable
retraite. Les affaires s'arrangent pour Morand.
En 1954 , un roman très à part dans l'
ensemble de l'oeuvre, très curieux , très intérieur aussi, Hécate et ses
chiens, montre tout l'intérêt de Morand pour la psychologie sexuelle, qui
commençait, tout doucement, à être à la
mode , en France , à l'époque , la face
noire de la conscience, aussi , les thèmes de l'inconscient dont Morand avait
découvert très tôt l'existence - il le dit dans ses Entretiens - le thème du
double , très conradien , la question , qui le hante alors, de la dualité vie
sociale - vie sexuelle , dont il a souvent parlé sous forme de nouvelles ou des
romans , mais jamais de façon aussi obsédante, approfondie, bizarre aussi .
Il dira, à
propos de ce livre , dérangeant à l'époque : " J'ai toujours été intéressé
par le contraste entre la vie sociale et la vie sexuelle, chose qu'on a souvent
traîté de manière romanesque mais qu'on n'a jamais suffisamment approfondie,
tellement étrange, tellement curieuse ". Roman des relations de l'érotisme
et de l'imagination, roman de l'ombre et de la lumière, roman " lunaire
" car le thème est récurrent dans l'oeuvre , de la sauvagerie , aussi , ce
qui l'apparente directement au Flagellant de Séville , et plus encore au
traîtement du thème du double noir de la conscience de l'homme , tel qu'il
apparaît dans Coeur des ténèbres ,
cette nouvelle de Conrad fondatrice d'une thématique non négligeable dans l'écriture occidentale de la première moitié
du XXe siècle. Et , par parenthèse,
pour ce qui nous intéresse surtout ici , Hécate et ses chiens procède aussi de
l'exotisme , comme axé sur l' Ailleurs et l' Autre , et cela à plusieurs titres, le premier , très concret, étant que
l'action se passe à Tanger , ville que Morand connaît bien. Face à l'exotisme
trouble d' Hécate , l' exotisme
est plus limpide , si l'on peut s'exprimer
ainsi , dans la nouvelle qui donne son titre au recueil publié en 1958 , Le Prisonnier
de Cintra. Superbe texte , à lire et à relire, où l'on retrouve, différemment
utilisés et agencés , les thèmes de la prison, donc de l'enfermement , de
l'ombre et de la lumière, la présence osédante de la lune , comme dans Magie
noire, de la jungle, de la forêt de l'inconscient, du non-dit, du non-formulé,
et l'obsession de l'exil, toujours , comme
de " l'échappée belle
" dans l' Ailleurs, avec le voyage
comme fuite et libération . Des grandes oeuvres de l'exil, Le Prisonnier de
Cintra est l'une des plus réussies, une nouvelle où Morand apparaît comme l'un
des maîtres du genre, dans la lignée de Balzac, Gautier, Mérimée, celui des
Ames du Purgatoire , ou de Maupassant, disciple , comme lui , de Schopenhauer,
dans l'écriture aboutie et fruit d'un regard noir, acéré, et juste sur le
monde. L'action du Prisonnier de Cintra se passe dans le Portugal de 1958 ,
pays que Morand a découvert après l'Espagne et qu'il apprécie beaucoup. Dans un
vieux palais de Cintra, au milieu de l'ombre manuéline et de l'humidité des
grands arbres , vit ce qui reste de la famille noble des Abreu de Fontarcada :
la grand-mère, Dona Sidonia , son fils, Eduardo, son petit-fils, Miguel. Ce qui
les unit c'est le décor exotique du lieu en ce qu'il évoque dans le détail le
temps glorieux de la conquête du monde par les Navigateurs portugais. Ce qui
les sépare c'est que la mère et le fils croupissent dans l'immobilité du
souvenir de cete époque, alors que le jeune Miguel se sent appelé par ce même
décor au départ, à la fuite, à l'aventure.
Il y a
plusieurs visions de l'exotisme dans la nouvelle. D'abord, l'exotisme figé du
décor que Morand installe d'entrée comme un décor de théâtre : " Un fils
et sa mère, dans un antique palais portugais embarrassé de bibelots, de
collections d'art sauvage et d'objets de nacre, d'ivoire, d'or moulu, meublant
son vide moral au fond d'un quartier infréquenté de Cintra, aux environs de
Lisbonne ." Ensuite, celui de la bibliothèque où Manuel ressent l'appel du
large :
" Cette
définitive captivité, Manuel ne s'en libérait qu'en se plongeant dans la
bibliothèque familiale . Les navigateurs et les amiraux de sa lignée lui
racontaient leur geste à travers les atlas et les cartes du chartrier. Mappa
mundi sur parchemin , atlas catalan de Cresques-le-Juif datant du XIVe ,
Ortelius et Mercators , premières relations de voyage du XVI e , portulans
génois , byzantins , pisans, majorquins , si rares à des époques où les marins
arabes et européens jetaient, en cas de prise, leurs cartes à la mer, pour
brouiller les pistes .
( Il y avait
même, dans les tiroirs , une vieille carte du Paradis ). Manuel avait appris
l'astronomie dans Hipparque, la géographie dans Ptolémée, les Croisades dans
les récits maures, et les routes du commerce dans les livres de bord des pilotes
ou dans les auteurs chinois, traduits par les Jésuites . Tout, dans ce petit
palais, arche échouée sur l' Ararat, évoquait l'immensité du monde, tout lui
parlait de départ ; les astrolabes sous vitrines, les sphères armillaires
au-dessus des bibliothèques, les gravures pendues au mur représentant des
caraques à deux ponts, des caravelles aux voiles latines gonflées come des
joues, avec la ligne si relevée de leur château de proue et de poupe , et que
leur chantournement fait semblables à la vague. Pour mieux les voir, il
approchait une lampe à globe recouverte de dentelles d'or qu'on avait adaptée à
l'électricité. Les mots de Congo et d' Equateur chantaient comme le fond d'un
coquillage, accompagnaient le bruit de mer et du vent sifflant dans les cèdres horinzontaux
ou venant se couper sur les bras tendus des araucarias ."
Et la pièce
du palais toute entière décorée en évocation du célèbre roman de Bernardin de
Saint - Pierre, Paul et Virginie ,
composition très en vogue à l'époque , avec gravures, meubles et
papiers-peints , dans nombre de grandes demeures d' Europe, et que l'on trouve
encore aujourd'hui , ici et là , du musée de Port-Louis aux demeures de maîtres
de La Réunion , appelait également Manuel au rêve et au départ , malgré le côté
carton-pâte :
" L'
exotisme , il le retrouvait chez lui , dans le salon Paul-et-Virginie du palais
de Cintra ; c'était un salon de la fin du XVIIIe , peint par Pillement, où se
prolongeait sur les murs la nostalgie portugaise des comptoirs ultra-marins. Le
salon, y compris le plafond, représentait une case de bambous, avec fausses
fenêtres ouvrant sur un port vide, dans les eaux duquel mouillaient des bricks
pâles, éternellement en partance. Des perroquets peints restaient suspendus
dans les manoeuvres dormantes ; cette idylle se laissait porter par des siècles
sans vent, mollement , sur des toiles marouflées, dans un parfum d'humidité.
Pour Manuel ,
cette pièce à
la mode de 1780 sentait fort la haute aventure ; qu'importait que ces jalousies fussent de fausses jalousies
donnant sur des perspectives illusoires, puisqu'elles ouvraient sur les chemins
du rêve ! "
Tous ces décors mèneront Miguel à la fugue, à la fuite , hors
de l' histoire figée de L'Ancien monde pour s'engager totalement dans
l'aventure du Nouveau...
Après cete
nouvelle, Morand reste dans l' Histoire avec un grand "H" , toujours
liée à son histoire personnelle , celle de l'exil, avec une autre grande oeuvre
de sa seconde période :
Fouquet ou le
Soleil offusqué .
L'exil, toujours ,et toujours l'Histoire :
de
Fouquet à Napoléon.
Dans le personnage de Don Luis,
fasciné par les idées des Lumières et le modèle si moderne de Napoléon,
"l'homme pressé", dans le jeune personnage de Miguel, aussi ,
périssant d' ennui dans le palais moisi de Cintra , Morand a mis beaucoup de
lui-même. L'évocation de l' Histoire, comme déjà du temps des portraits de
villes, lui permet de transposer ses propres impatiences et ses propres
obsessions. Ce sera encore plus vrai avec Fouquet publié en 1961. Ginette
Guitard-Auviste parle du " romancier saisi par l' Histoire " .
" Quel est le préféré de tous vos
livres ? " demandait-on à Morand le 31 octobre 1968 .
" C'est
Fouquet , où je me suis identifié à mon personnage . Pourtant, ça n'a eu aucun
succès, c'est le moins lu de tous mes livres ." En 1968 , peut-être , pas
aujourd'hui. Il n'est guère surprenant que Morand ait voulu consacrer un essai
biographique à ce personnage brillant, vif, pressé, amoureux des femmes et des
arts , bibliophile averti, amateur de jardins, mécène de Racine et de La
Fontaine, grand argentier prodigue et dépensier qui a voulu éblouir le jeune
Louis XIV à la fameuse fête de Vaux et qui s'est fait aussitôt embastiller
parce qu'il n'a rien vu venir : l'ascension d'un grand Commis, le laborieux
Colbert, et la naissance d'un grand Roi qui a compris qu'il devait diriger seul
et qui , déjà solaire, ne supportait guère qu'on lui fasse de l'ombre. "
Fouquet a dû croire que tout s'achête, même le destin. Fouquet est
l'homme le plus vif, le plus naturel, le plus tolérant, le plus brillant, le
mieux doué pour l'art de vivre, le plus français. Il va être pris dans un étau,
entre deux orgueilleux, secs, prudents, dissimulés, épurateurs impitoyables,
Louis XIV et Colbert . Il succombera, étant resté un homme du temps de la
Fronde, vivant dans un magnifique désordre, avec quinze ans de retard sur
l'époque absolue qui s'annonce. Fouquet le prodigue, confiant et aveugle,
n'ayant su ni percer à jour la Reine Mère, ni retenir Mazarin, ni juger
Colbert, ni prévoir Louis Le Grand, qui l'exécutèrent, puis le dépouillèrent de
son faste . (...) L' impatient a été bloqué, l'homme qui
atendait son heure l'a trouvée ; les biens de ce monde ont glissé des mains du
premier dans celles du second. Mais Fouquet a sauvé sa vie profonde , laissant
Colbert condamné à ramer sur la galère mondaine, avec des gants parfumés . Les dieux n'aiment pas l'homme heureux
."
L' identification de l'écrivain et du
modèle est limpide. Les clés de référence au proche passé de Morand faciles à
trouver : Louis XIV c'est De Gaulle , le Grand Monarque des caricatures du
Canard Enchaîné, Colbert c'est un composé des opposants virulents à l'entrée de
Morand à l' Académie; Mauriac au premier chef. Mauriac , l'un des "4
M" de Grasset (avec Montherlant et Maurois, et lui-même Morand )
qui a bien vite oublié, et laissé à son triste sort ,son vieux camarade de
jadis, mais Morand pense peut-être aussi un peu à Malraux , l'ami de jeunesse ,
l'éditeur de Siam et de Rien que la terre en éditions de luxe, et qui , en
parfait affidé à De Gaulle, l'a proprement laissé tomber. Avec tout ça, comment
voulez-vous que l'identification de Morand à Fouquet ne s'affirme pas de plus
belle ? : " Fouquet est un animal de bonheur qui a tiré à sa naissance un
trop bon numéro : aussi n'a-t-il ni sentiments profonds, ni ressentiments
amers. Ce fut un touche-à-tout, un aime - tout, un curieux, une libellule
". Morand en écrivant cela pense à ses propres débuts : il n'est pas sûr
que ce soit un atout déterminant que de naître avec une cuillère d'argent dans
la bouche ; il n'est pas sûr non plus que les trop bonnes fées se penchant sur
votre berceau puissent éloigner définitivement
méchantes sorcières et diables fourchus... Quand Morand écrit plus loin , à propos de l'arrestation puis de
l'exil de Fouquet : " les punitions rétroactives sont peut-être les plus
justes ; condamné pour manque de flair " , l' allusion à la " faute
" que fut son départ précipité de Londres est claire. Morand règle ainsi
ses comptes avec pas mal de monde , les anciens amis oublieux ou ceux qui ont
trop de mémoire, et ce front du refus qui bloque son entrée à l' Académie ,ce
qui contrarie tant son épouse Hélène. Fouquet paraît en 1961. De Gaulle -
peut-être , allez savoir , a-t-il souri en lisant Fouquet ,car cet homme d'
Etat écrivain qui ne manquait
évidemment ni d'esprit , ni d'humour , ni de capacité de retour sur soi -
retirera son véto à l'entrée de Morand à l'Académie française, en 1968. Et il
aura bien fait : Morand sera très assidu aux séances du dictionnaire et lèguera
une partie de sa bibliothèque à cette belle institution où il se fera plein
d'amis nouveaux. Le don d'écriture et l'amour des mots forment une fraternité.
Morand lèguera l'autre partie de sa bibliothèque à l' Automobile-Club de
France, comme quoi on peut allier l'
impatience de la vitesse à la patience du dictionnaire et à la longue patience
de l'écriture.
Morand reste donc encore un peu un homme
de la vitesse - réputation oblige - et en cela admire Napoléon , en qui il voit
l'archétype de "l'homme pressé" . Il lui consacre, en 1961 toujours,
une partie non négligeable de La Dame blanche des Habsbourg, via Marie-Louise
et surtout l' Aiglon, puis en 1969, pour le bicentenaire de la naissance de
Napoléon, un beau Napoléon, homme pressé dans Monplaisir...en Histoire. La Dame
blanche des Habsbourg dresse un portrait éclaté de Napoléon où dominent deux
thèmes liés, la rapidité et le temps. " La seule chose que Napoléon n'ait
jamais vaincue, c'est son impatience ". Homme de la vitesse, joueur de son
destin dans une partie qui ne peut que s'accélérer, Napoléon sera vaincu par
son énergie même. Né de la vitesse, il sera vaincu par la vitesse. Pour Morand,
là est sa modernité. Dans
Monplaisir...en
Histoire , dans la longue série de portraits - aussi bien de l'explorateur
Burton que de Stendhal chez Marie-Louise - composés come autant de prétextes à
jeu et à plaisir d'écriture, Morand réussit un modèle du genre en reprenant le
thème de la vitesse :
"Napoléon, premier homme des temps
modernes" ; cette phrase de Chateaubriand est frappante . Napoléon,
champion de la vitesse d'avant la vitesse, Napoléon contre la montre...
Le monde
avait déjà été parcouru en tous sens, jamais par un boulet de canon (...)
"Sublime
démence !
" , s'écriera Chateaubriand, "Napoléon , ajoute-t-il , ne se reposait
jamais, il vivait dans une perpétuelle agitation d'idées ". Cela durera de
Marengo à la paix d' Amiens, paix dont tout le monde a besoin et dont personne
ne veut . Car le système, mis en mouvement,
ne peut plus s'arrêter ; c'est contraire à sa nature même ". C'est au Napoléon de Stendhal , et aux
chapitres que Chateaubriand consacre à Napoléon et qui forment le
"monument central" de ses Mémoires d' Outre-Tombe, que Morand emprunte
les citations qui étayent son propos : réfléchir sur le rêve éveillé comme
préfiguration de l'action . " Napoléon est né,
en quelques
heures , le 18 Brumaire (Thiers) " . " A regarder de plus près , on
s'aperçoit ( et c'est là le sublime) que tout ce qui paraissait improvisé fut
d'abord pensé, pesé, mûri ; il est un éclair, mais un éclair qui réfléchit
(...) . On est ici dans le domaine de la magie, du surréalisme, au coeur d'une
matière féérique dont notre histoire si géométrique n'offre que de très rares
exemples ".
Avec l'expression " matière féérique " , Morand
emploie une formule proche de celle souvent employée par André Malraux pour
définir le rêve éveillé comme préfiguration de l'action et moyen de passage du
destin subi au destin dominé : " le réalisme de la féérie ".Cette
imagination au pouvoir , déjà, ou plutôt cette imagination du pouvoir , cette
imagination de l'action par la pensée , et l'écriture qui la fixe, cette imagination liée à la vitesse et à
l'énergie pour saisir le moment propice , qui ne repassera peut-être pas , ce
qui transforme le hasard en destin , c'est la fameuse "étoile" de
Napoléon.
Morand publie donc Monplaisir... en
Histoire en 1969 avec comme premier chapitre "Napoléon, homme pressé"
en placant en exergue un passage de son roman L'Homme pressé : " Napoléon
n'est pas bref parce qu'il est empereur , il est empereur parce qu'il est bref
". Monplaisir...en Histoire est une suite, celle de Monplaisir... en
littérature donné en 1967. Pourquoi "Monplaisir " ? Morand s'explique
sur ce titre : " La maison de campagne de Pierre Le Grand se nommait
Monplaisir , ce livre ouvre sur la littérature et ses jardins . (...)
Ces raids
dans le passé , ces maraudes dans les bibliothèques, ces notes de lecture, ces
souvenirs, ces préfaces, n'offrent ni unité de lieu ni singularité dans le
temps ; elles contribuèrent cependant à l'ameublement d'un cerveau qui finirait
par ressembler à la boutique de La Peau de chagrin ou à Old Curiosity Shop ,
l'imprimerie n'y mettant son ordre. Si l'épicurisme est une foi, ses églises
sont naturellement baroques . Deux autres tomes succèderont à celui-ci :
Monplaisir ...en Histoire , puis Monplaisir ...en Géographie ."
Morand n'aura pas le temps de donner
Monplaisir..en Géographie qui aurait sans doute repris l'essentiel de quelques
portraits de ville , avec Paris en plus, et dont on trouve des échos , des
coups de sonar en quelque sorte , dans ce que sera Venises . Pour le premier
Monplaisir , dans son " bureau perché au-dessus d'un escalier de meunier
où il n'écrit que pour le plaisir ", Morand ordonne , comme dans un jardin
à la française, d'anciens textes de témoignages et de souvenirs, d'anciennes
préfaces rédigées majoritainement -une idée de Nimier- pour "Le Livre de
Poche Classique". On retrouve là l' Histoire, avec Fouquet, les amitiés
littéraires (Proust, Giraudoux , Louis-Ferdinand Céline ) , les goûts
littéraires majeurs ( Balzac , superbe préface au Colonel Chabert, un morceau
d'anthologie, et Stendhal lié aux souvenirs de jeunesse de Morand en Italie, la
terre promise ) mais aussi, toujours, l'exotisme avec une étude sur le père
Labat, auteur des Voyages aux Isles d' Amérique , ou encore une préface pour
une édition des Mille et une Nuits de
Galland . Il faudrait tout citer de ce livre qui est une mine pour les
chercheurs tant les enthousiasmes littéraires y sont soutenus par une vraie
documentation et une vraie érudition. Nous avons choisi de citer ici deux
passages, le premier sur Vaux dans "La nuit de Vaux-le-Vicomte",
l'autre sur l'ami Céline dans "Céline et Bernanos". Après la fin de Fouquet, ces lignes sur le
destin de Vaux :
"
Vaux-le-Vicomte a traversé , intact, trois siècles . Quant aux merveilles qu'il
contenait, elles ont disparu, mais nous en possédons la liste complète dans
L'Inventaire du château de Vaux, aux Archives nationales ; elles furent
dispersées aux ventes publiques, après que Louis XIV se fut taillé la part du
lion : entre autres, les trente mille livres rares, devenus le fonds de notre
Bibliothèque nationale , les deux cents orangers passés à l' Orangerie de
Versailles, les ateliers de tapisserie, qui devinrent, peu après, la
Manufacture des Gobelins."
Si Fouquet, traîné de prison en prison, finit
par mourir dans le sinistre donjon de Pignerol, son cher Vaux-le-Vicomte aura
souffert lui aussi.
Autre " exilé magnifique "
pourrait-on dire, Louis-Ferdinand Céline , dans ce portrait plein d'humanité,
et si juste : " Céline, lui, fut toujours seul ; ce n'est pas un médiéval
attardé qui a la nostalgie du XIIIe siècle, c'est un homme moderne, dans la
solitude des foules, puis des guerres, puis des migrations. Il n'a pas
d'ancètres, ne se réclame ni de Bloy, ni de Péguy, ni de Drumont. Il n'a pas
d'amis, sur terre ni au ciel. Ce n'est qu'un médecin de quartier, et pas le quartier
du paradis. Il ne possède que sa femme et son chat ; il n'a jamais eu à renier
de parti, n'en ayant pas; ni de maître, étant son maître. Son confesseur c'est
le lecteur. Il est l'homme parfaitement libre.
Un homme libre, cela se reconnaît à ce qu'il
finit au cachot.
Sa vie fut un don continuel, plus total que
toutes les vies du Curé de campagne, de l'abbé Donissant ou de sainte Chantal ;
sans l'espoir d'être jamais cru, ou remercié que par des jets de pierre, par
des menaces de mort. " Le monde a le feu dans les soutes et va
probablement sauter " (Bernanos à Marianne, 17 avril 1935). Bernanos l'a
dit, mais Céline l'a vécu, l'a hurlé, comme une bête blessée qui va mourir dans
la neige de son exil. Que l'exil à gauche est doux, auprès du sien ; de Calvin
à Genève, de Hugo à Guernesey, avec mains tendues et bras ouverts ; aucune
université américaine pour offrir une chaire à Céline .
Le voici dans le silence posthume, après
l'autre ; il ne suce pas ce sein rebondi qu'est la coupole du Panthéon ; c'est
un pauvre chien d'aveugle qui s'est fait écraser, tout seul, pour sauver son
maître infirme, cette France qui continue à tâter le bord du trottoir."
Venises
, et les autobiographies camouflées.
Avec Venises , Morand retrouve ce qui , sous sa plume ,
devient un véritable genre littéraire en soi : le portrait de ville. Neuf ans
auparavant, il a réactualisé son Londres de 1933 avec Le Nouveau Londres
illustré de photos de Tony Armstrong-Jones. Alors qu'il termine Venises, il
commence un autre portrait, Paris. Rappelons la filiation, dans l'incipit de
Venises : " Toute existence est une lettre postée anonymement ; la mienne
porte trois cachets : Paris, Londres , Venise ; le sort m'y fixa, souvent à mon
insu, mais certes pas à la légère".
Comme toujours dans les portraits de
villes, il s'agit de donner d'abord un substrat historique à l'itinéraire. Un
ouvrage original , paru en 1970, aux éditions Denoël, intitulé Venise entre les
lignes, va aider Morand dans son entreprise en proposant une anthologie
thématique sur Venise d'après les témoignages d'écrivains, de Commynes à
Proust, en passant par Chateaubriand et Byron. La visite de Venise sera ainsi
émaillée de références littéraires souvent prestigieuses. Mais Venises est
beaucoup plus qu'un portrait de ville, c'est le récit des rencontres
successives qu'en fit Morand, de l'adolescence où il descendait vers l'Italie
comme vers le seul paradis possible des vacances jusqu'au souhait d'être inhumé
dans le cimetière de la lagune. Il ira en fait dormir dans un caveau de
Trieste, à deux pas de Venise. Présentant chronologiquement ses Venises
successives, Morand donne là son autobiographie camouflée, livre quelques clés
sur sa vie, ses enthousiasmes, l'évolution de son art et de son regard,
évolution qu'il doit beaucoup à Venise ou dont elle lui a ,ponctuellement,
montré le changement ou la nature même, comme un révélateur : " Venise
résume dans son espace contraint ma durée sur terre , située elle aussi au
milieu du vide, entre les eaux foetales et celles du Styx . Je me sens décharmé
de toute la planète, sauf de Venise, sauf de Saint-Marc , mosquée dont le
pavement déclive et boursouflé ressemble à des tapis de prière juxtaposés ;
Saint-Marc, je l'ai toujours connu, grâce à une aquarelle pendue au mur de ma
chambre d'enfant : un grand lavis peint par mon père, vers 1880 - bistre, sépia
, encre de Chine - , d'un romantisme tardif, où le rouge des lampes d'autel
troue les voûtes d'ombre dorée , où le couchant vient éclairer une chaire
enturbannée. De mon père, je possède aussi une petite huile, une vue de la
Salute par temps gris, d'une rare finesse d'oeil, qui ne m'a jamais quitté.
" C'est après la pluie qu'il faut
voir Venise " , répétait Whistler : c'est après la vie que je reviens m'y
contempler. Venise jalonne mes jours comme les espars à tête goudronnée
balisent sa lagune ; ce n'est , parmi d' autres , qu'un point de perspective ;
Venise , ce n'est pas toute ma vie , mais quelques morceaux de ma vie, sans
lien entre eux ; les rides de l'eau s'effacent ; les miennes , pas ."
Son Venises est un voyage, dans Venise, et
dans sa vie. Et Morand de donner, pas à pas, parallèlement à ses différentes
découvertes de la ville, les grands moments de sa formation d'homme, de sa
construction esthétique et littéraire, de son parcours d'écrivain, de 1900 à
1971. Son autobiographie principale est là, ses Mémoires aussi puisque les
Mémoires sont l'inscription d'un itinéraire dans l' Histoire de son temps.
Venises est une succession de paysages spirituels : " Au sommet du
Campanile j'embrassais Venise, aussi étalée que New-York est verticale, aussi
saumonée que Londres s'offre en noir et or. L'ensemble est lavé d'averses ,
très aquarellé, avec des blancs rompus, des beiges morts , relevé par le
cramoisi sombre des façades pareilles à la chair du thon . (...) Ancré devant Saint-Georges-Majeur , la masse
d'un porte-avions anglais fausse la perspective, cachant le Lido couché à
l'horizon, crocodile endormi à fleur d'eau. Je lisais de haut le jeu des
courants dont la teneur en sel change les couleurs, où le vert antique traverse
le vert sale des jades de fouilles. Routes jalonnées de pieux fixés dans la
boue, de digues dormantes, où seuls les pilotes et les vieux pêcheurs savent
trouver leur voie ."
" Le mérite de ces pages" , dit
Morand, "c'est d'être vécues ; leur réunion, c'est une collection privée,
sinon mon musée secret ; chacune présente un jour, une minute, un enthousiasme,
un échec, une heure décisive ou une heure perdue. Cela pourra être revécu ,
récolté par d"autres , par moi jamais plus ". Des musées secrets, des
Mémoires camouflés, des autobiographies cachées, Morand en a donné d'autres -
Mes débuts (1933) , 1900 (1931) , Ma Légende dans Papiers d' identité (1931) ,
Le Journal d'un attaché d' Ambassade (1948) et bien sûr le Journal inutile
(posthume, 2001) - mais Venises c'est sa vie revisitée vers la fin, son vrai
testament d'artiste. C'est aussi l'un de ses textes les plus travaillés , et
Dieu sait que tous le sont. Et dans le style le plus pur, il se livre vraiment,
comme en atteste l'épilogue, à propos de son désir de reposer à Trieste : " Là, j'irai gésir, après ce long
accident que fut ma vie. Ma cendre, sous ce sol ; une inscription en grec en
témoignera ; je serai veillé par cette foi orthodoxe vers qui Venise m'a
conduit, une religion par bonheur immobile, qui parle encore le premier langage
des Evangiles ."
Retour vers l'Ailleurs et fin de
l'itinéraire :
Monsieur
Dumoulin à l'Isle de la Grenade.
Si
en 1971 , à quatre-vingt trois ans , Morand pense à sa propre mort, c'est à
celle d' Hélène qu'il va être bientôt confronté. Celle-ci s'éteint le 26
février 1975. Et c'est la foudre pour celui qui a veillé sur elle avec tendresse. Il faut dire aussi qu'elle l'a
tant soutenu , lui a tant pardonné ses infidélités successives,et a tant rêvé
pour lui ,sinon le retour de la célébrité, du moins un peu de retour de
notoriété littéraire, avec l' Académie au premier chef. Il est sûr qu'elle fut
un peu sa rédemption. Le coup est si rude pour Paul Morand qu'il ne lui
survivra que d'un an. Le goût d'écrire se tarit , à l'exception d'un sursaut
original qu'il doit à Vevey qui le fait , en 1975 , citoyen d'honneur . Il va
pouvoir règler sa dette envers cette charmante cité des bords du Léman qui les
a accueillis , Hélène et lui , quand ils étaient dans la gêne et leur a apporté
la tranquillité dont ils avaient besoin. Pour cela, Morand saisit l'idée
d'évoquer , à la manière des voyageurs du XVIIIe siècle, un peintre de Vevey,
Aimé Dumoulin , qui est parti tenir une plantation à l' île de la Grenade et y
a réalisé une série de gouaches. C'est aussi le moyen pour Morand de retrouver
ses thèmes chers du voyage et de l'exotisme. Si l'exotisme était bien là en filigrane
dans les oeuvres précédentes, de Fouquet à Venises , il s'agit ici clairement de renouer avec l' Ailleurs et le grand
large.
Si Monsieur
Dumoulin à l' Isle de la Grenade est
une dette de reconnaissance envers Vevey, c'est d'abord, pour Morand, au sens
propre, et même pascalien, un
"divertissement". Il faut se changer les idées, se divertir de
l'abîme, par une recherche intellectuelle approfondie liée à un vrai plaisir
d'écriture.
L'idée de départ vient d'un éditeur suisse
, René Creux, qui propose à Morand d'écrire un récit retraçant la vie d' Aimé
Dumoulin. Il faut savoir qu'ayant dû quitter sa plantation -la Grenade étant
redevenue anglaise - Dumoulin y a abandonné ses toiles et que , retourné à
Vevey, il les a toutes refaites de mémoire . Elles sont toujours visibles au
musée du Vieux-Vevey. D'où le lien avec la ville. Morand connaît ces toiles. Il
va souvent les regarder. Reste à écrire un pastiche à la manière du XVIIIe : travail de recherche à la Bibliothèque
de Lausanne , plus plaisir d'écrire comme il a pu le faire du temps de
Montociel Rajah aux Grandes Indes . Il
faut réinventer dans le sens de la vérité la vie de son personnage. Et le
sous-titre du livre atteste du plaisir que Morand a pris à cette gageure . Nous
le reproduisons ici tel quel :
Description vraie et pittoresque d'un voyage
fait par un
citoyen de Vevey, planteur et peintre amateur,
entre les années 1773 et 1782
et relation des aventures
survenues à celui-ci, naufrages, misères, détresses,
et succès dans les mers des Caraïbes
avec
des considérations sur les batailles
navales du temps
et les
mérites comparés
des flottes
angaise et française
suivies
de diverses
observations sur les moeurs des créoles ,
sur les ouragans et autres phénomènes
naturels
propres aux
Indes occidentales
par
Monsieur Paul Morand
de l' Académie française
bourgeois
d'honneur de la ville de Vevey.
A l'évidence , Morand s'est bien
amusé . A la volonté de retrouver le
ton des récits de voyage du XVIIIe s'ajoute la fantaisie de placer une
rencontre entre Dumoulin enfant et Rousseau ou encore une correspondance entre
Lavater et Dumoulin planteur à la Grenade , enfin une visite de Byron aux
toiles du peintre de Vevey. Mais, derrière l'apparent divertissement ,se trouve
une forme d'aboutissement de l'oeuvre. Il y a d'abord le subtil accord du
peintre et de l'écrivain. Dumoulin est mort à Vevey à 83 ans. Morand mourra à
Paris,en 1976, à 88 ans et ne verra pas son livre publié, fin 76. Comme pour
Venises , il y a du testament dans ce livre-là. Morand a voulu composer ce
qu'on appelle un beau livre , par la typographie, les caractères d'imprimerie
utilisés, le papier, la qualité d'impression et de mise en page, le choix des
illustrations. Ainsi, le portait de Dumoulin par lui-même qui ouvre le livre,
avec son chat au premier plan, fait penser à l'évidence à Morand à Vevey. Il a
mis - c'est le jeu - beaucoup de lui-même dans ce dernier livre ; d'abord de
son enfance, et de l'influence de son père :
" - Père , je vous en supplie !
Aimé , cet
enfant de dix ans , avait décidément l'esprit aventureux ; le goût du voyage,
cela s'attrape , comme la gale ; la Suisse est une île ; il faut en sortir ;
tous ces étrangers qui l'envahissent, c'est contagieux pour les habitants ;
depuis la Renaissance, le monde s'est mis en mouvement et ne s'arrêtera plus .
Ce petit ! Allait-on dans la soupente, voir
s'il dormait, on le trouvait éveillé, une chandelle allumée, sur la tête, en
train de lire des récits de voyage .
- Encore ton
Robinson Crusoé ! Tu dois le savoir par coeur !
Ainsi, le
livre terminé , en recommençait la lecture :
" Déjà
ma tête se remplissait de pensées vagabondes ..."
Retour de Morand vers son enfance, retour
vers l'influence de son père qui a présidé à ses choix esthétiques et
littéraires, ce père qu'il aimait tant et dont il parle souvent entre les
lignes, retour aussi à "
l'amoureux de livres et d'estampes " , si baudelairien , et qui ne
songeait qu'à partir.
En forme de conclusion : " Monplaisir...en Morandie".
Le voyage est bien le leitmotiv de l'oeuvre. Nous avons
vu Morand se construire en voyageant. Des portraits de villes qui bougent et
qui changent jusqu'aux différents passages de Morand à Venise comme autant de
rencontres avec la beauté.
Si l'on voulait dessiner un portulan de
la vie de Morand qui soit aussi une carte de l'oeuvre, un portulan que l'on ne
jetterait pas à la mer pour brouiller les pistes des secrets des routes mais
pour composer un " Monplaisir...en Morandie " comme ce "
Monplaisir...en Géographie" que voulait écrire Morand mais qui n'a pas vu
le jour, il faudrait dessiner sur les bords une route de portrait de ville en
portrait de ville puis tracer vers l'intérieur les pointillés des routes
terrestes , maritimes et aériennes de ses différents tours du monde , mettre
vers le milieu l'exil immobile à Vevey la fidèle , enfin placer tout au centre Paris avec la tour
Eiffel.
De Paris 1888 à Paris 1976, de la tour
Eiffel ,phare de sa vie , à la Place de la Concorde du dernier jour, de
New-York à Bangkok, de Londres à Venise, d' Aden au Léman, des faux tours du
monde de l'Exposition Universelle de 1900 et de l' Exposition Coloniale de 1931
aux vrais tours du monde de toutes les routes vers toutes les Indes, jusqu'à
l'exil qui coupe la vie de Morand en deux.
D'un côté , le premier Morand , celui de
la vitesse et du mouvement , en ascension continue , en succès avérés. Puis le
second Morand, plus mûr et plus serein, celui de l'exil immobile, du voyage
dans le Temps et dans l' Histoire, d'une écriture qu'il faut reconstruire, du
lectorat qu'il faut reconquérir.
Tout cela donne un portulan ,curieux comme
tous les portulans, plein de dessins bizarres, un portrait éclaté ,comme tous
les portraits ,mais , ici, celui du
très curieux Morand l' Exote.
Sources
bibliographiques :
Plutôt que d'alourdir notre texte par des
notes, nous avons préféré
renvoyer le
lecteur à l'intégralité des sources utilisées :
1. Oeuvres de Paul Morand
(Ordre
chronologique des éditions consultées . )
1914-
1925 Poèmes ( Au Sans Pareil)
1921
Tendres stocks (NRF)
1922 Ouvert la nuit (NRF)
1923 Fermé la nuit (NRF)
1924 Lewis et Irène (Grasset)
1925 L'
Europe galante (Grasset)
1926 Rien
que la terre (Grasset)
1927 Le
Voyage (Hachette)
1928 Bouddha
vivant (Grasset)
1928 Magie
noire (Grasset)
1928 Paris-Tombouctou
(Flammarion)
1928 AOF
de Paris à Tombouctou (Flammarion)
1928 Rain, Steam and Speed (Champion)
1929 New-York (Flammarion)
1929 Hiver
Caraïbe (Flammarion)
1929 Ma
légende (Champion)
1931 1900
(Flammarion)
1931 Papiers
d'identité (Grasset)
1932 Flèche
d' Orient (NRF)
1932 Air
Indien (Grasset)
1933 Rococo
(Grasset)
1933 Mes
débuts (réed. Arléa 1994)
1933 Londres
(Plon)
1935 Bucarest
(Plon)
1935 Rond-Point
des Champs-Elysées (Grasset)
1936 La
Route des Indes (Plon)
1936 Le
Réveille-matin (Grasset)
1938 L'Heure
qu'il est (Grasset)
1939 Réflexes
et Réflexions (Grasset)
1941 L'Homme
pressé (Gallimard)
1941 Chroniques
de l'homme maigre (Grasset)
1942 1900
(réédition avec une préface actualisée)
1943 Vie
de Guy de Maupassant (Flammarion)
1943 Propos
des 52 semaines (Genève)
1944 Excursions
immobiles (Flammarion)
1947 Montociel
, Rajah aux Grandes Indes (Genève)
1948 Journal
d'un attaché d' ambassade (La Table Ronde)
1951 Le
Flagellant de Séville (Fayard)
1954 Hécate
et ses chiens (Flammarion)
1958 Le
Prisonier de Cintra (Fayard)
1960 Fouquet
ou le soleil offusqué (Gallimard)
1962 Le
Nouveau Londres suivi de Londres 1933 (Plon)
1963 La
Dame blanche des Habsbourg (Laffont)
1967 Monplaisir...en
Littérature (gallimard)
1969 Monplaisir...en
Histoire (Gallimard)
1970 Paris
(Bibliothèque des Arts Lausanne-Paris . Réédirtion 1997)
1971 Venises
(Gallimard
1976 Monsieur
Dumoulin à l' Isle de la Grenade (posthume)
( Ed. de Fontainemore Paudex Suisse)
2001 Journal inutile (1968-1972)
(posthume) (Gallimard)
2001 Journal
inutile (1973-1976) (posthume) (Gallimard)
Editions
consultées également :
2001 Chroniques
(1931-1954) (éd. établie par J.F. Fogel) (Grasset)
1992 Nouvelles
complètes 1 (Gallimard Pléiade) Chronologie
1992 Nouvelles
complètes 2 (Gallimard Péiade) Chronologie et bibliographie
2005 Romans
( Gallimard Pléiade) Chronologie et bibliographie
2001 Voyages
(choix de textes) (Coll. Bouquins Laffont)
1990 Entretiens
(Entretiens de P.Morand avec Jean José Marchand)
(La
Table Ronde , rééd. coll "la petie
vermillon" 2001)
2. Ouvrages et études consacrés à Paul Morand
consultés pour cet essai :
Ginette
Guitard-Auviste : Paul Morand (préface de
Pierre de Boisdeffre)- Coll.
"Classiques du XXe siècle"-
Ed. Universitaires 1956
Paul Morand , Hachette 1981
Paul
Morand (1888-1976)
Légende et
vérités Balland 1994
Bernard
Delvaille : Paul Morand
- Coll.
"Poètes d'aujourd'hui" - Seghers 1966
Marcel
Schneider : Morand
- Coll.
"Pour une bibliothèque idéale" Gallimard 1971
Mille roses trémières
L'amitié
de Paul Morand Gallimard 2004
Jean-François
Fogel : Morand-Express , Grasset 1980
Manuel Burrus : Paul Morand
,Voyageur du XXe
siècle Librairie Séguier 1986
P.Louvrier et
E.Canal-Forgues Paul Morand , Perrin
1994
Ont été
consultés également :
Le numéro 129
d' octobre 1977 du Magazine Littéraire consacré à Paul Morand
Les préfaces,
notes, chronologies , bibliographies et études critiques des éditions de la
Pléiade citées plus haut, de l'ouvrage "Voyages" dans la collection
Bouquins ,du Journal inutile et des Chroniques (ouvrages cités plus haut)
Le numéro
spécial Paul Morand de la revue Roman
20-50 (revue d'étude du roman du XXe siècle) No 8 , décembre 1989
Les Actes du
colloque Paul Morand, écrivain (textes réunis par M. Collomb) (Centre d' études
littéraires françaises du XXe siècle) Université Paul Valéry Montpellier 1993
A noter
enfin, alors que nous terminons cet essai , la parution d'un
portrait-témoignage consacré à l'homme
Morand , par son filleul : Gabriel Jardin , Paul Morand, l'évadé permanent ,
Grasset , mai 2006 .
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