MARY KINGSLEY, L’EXPLORATRICE SOLITAIRE.
Jean
Sévry, Université de Montpellier.
Etranges funérailles…
Nous sommes en 1900, le 3 juin. Conformément à ses dernières volontés, la
dépouille mortelle de la célèbre exploratrice va être confiée à la mer. Elle
est venue porter secours à trente sept ans, en tant qu’infirmière, à des
blessés afrikaners au cœur de la guerre anglo-boer, à Simonstown, près du Cap.
Elle s’est donc rendue en Afrique du Sud pour soigner des ennemis abandonnés à
leur triste sort, au moment où l’Angleterre organisait des camps de
concentration de sinistre mémoire pour y enfermer femmes et enfants des
vaincus..
On lui rend les honneurs militaires,
après quoi on hisse son cercueil à bord d’un torpilleur.
Enfin, on l’abandonne aux flots. Mais voilà
que cet étrange esquif s’éloigne du
Thrush,
et se met à voguer vers le large. On descend une chaloupe, et on finit par le
rattraper. On le leste avec une ancre : enfin, il descend dans l’océan
indien
1. Jusqu’à la fin, cette femme aura eu un
comportement hors de l’ordinaire..
Une enfance peu banale, une éducation hors du
commun.
Mary Kingsley est la fille d’un médecin assez dilettante, George.
Elle est la nièce d’un écrivain alors
célèbre, Charles Kingsley. Son père avait été aussi un grand voyageur (ce dont
elle se souviendra) dans les mers du sud, en Afrique, puis en Amérique du nord.
Il avait épousé sa bonne, Mary Bailey, dans des conditions assez honteuses pour
cette époque, puisqu’il l’avait engrossée. Mary naîtra quatre jours après ces
noces, en 1862. Elle a toujours été maintenue dans l’ignorance de cette
« mésalliance », elle ne découvrira tout cela qu’après la mort de ses
deux parents, en fouillant dans les papiers de la famille, trente ans plus
tard, en 1892. Il y avait donc un cadavre dans le placard.
Trente ans plus tard… C’est elle qui
va sacrifier sa belle jeunesse à s’occuper d’abord de sa mère, puis de ses deux
parents
2. Entre George et Mary, la relation est
pour le moins bizarre. Il ne l’a pas abandonnée, puisqu’il l’a épousée, mais
elle doit lui faire honte puisqu’il la tient cachée à l’étage. On dit d’elle
qu’elle est gravement malade, qu’elle est neurasthénique, et qu’elle doit donc
garder la chambre. D’après un ami que George a invité chez lui, un soir, à la
sortie du club pour un dernier verre, elle était -phénomène tout à
fait inhabituel- encore dans la cuisine à
cette heure tardive. D’un ton sec, il la prie de disparaître : «
Je crois que tu ferais mieux d’aller te
coucher ». Elle se retira lentement.»
Nous ne saurons jamais quel drame
obscur ou sinistre a pu se jouer dans cette maison. Son père vivait-il son
ménage comme un déshonneur social, comme une honte familiale ? Ceci nous
expliquerait pourquoi il passe sa vie à fuir son foyer.
La jeune Mary a dû en souffrir beaucoup.
Elle nous le dit clairement :
« J’ai passé des années entières dans l’angoisse, à veiller sur
eux, à me consacrer aux travaux mesquins de la maison. Une vie déprimante et
sans espoir, car c’était tout le temps un combat sans espoir contre la
mort »3.
A la maison, elle s’occupe
de tout. Elle ne va pas à l’école, elle est
élevée par une nounou et la cuisinière. Elles vont
lui transmettre, ainsi que
sa mère, un accent cockney au milieu du plus bel anglais (celui
du père et de
ses livres), ce qui fera beaucoup jaser dans les salons où elle
se retrouvera
en tant que conférencière. Elle « drops her
Hs » (elle n’aspire pas
ses hs), signe linguistique d’une couche sociale
inférieure, et a tendance à
user d’un parler argotique.
Ah, cette maison ! Sise à
Southwood Lane, près de Highgate, à Londres, elle est plongée la plupart du
temps dans la pénombre, dès que le père s’absente, ce qui arrive très souvent.
En ce cas, on ferme les volets qui donnent sur un petit jardin. C’est là que
Mary élève Kiki, un coq de combat, ce que le père n’apprécie pas du tout lors
de ses brèves apparitions. Sans doute voulait-elle ainsi manifester un violent
désir d’indépendance. Ce sont là des années très dures qui vont la marquer à
jamais. Qu’on en juge :
« J’ai passé toute mon enfance
à la maison et dans le jardin. Le monde extérieur, je ne le voyais guère et m’y
intéressais d’autant moins que lors des rares fêtes où l’on m’invitait, je me
sentais mal à l’aise, et non sans raisons. Je n’étais pas très bien vue des
enfants de mon âge. Je ne savais pas jouer. Mais je n’en tirais aucun sentiment
de supériorité, car à vrai dire j’avais à ma disposition un univers ludique qui
m’appartenait, dont les autres ignoraient tout, et dont ils n’avaient
cure : les livres qui étaient dans la bibliothèque de mon père » 4.
Condamnée à l’isolement,
à une sorte d’enfermement, elle prend l’habitude
d’être quelqu’un à part. On pourrait aussi
dire que cette enfance si solitaire
lui a forgé le caractère, et par son manque même de
socialisation, elle lui
appris à ne pas faire grand cas des conventions de son
époque. Mais ce sont là
de maigres consolations.
Ainsi, sa formation n’a rien
d’orthodoxe. Mais au juste, qu’a-t-elle pu trouver dans la bibliothèque de ce
père qu’elle admire d’autant plus qu’il se fait rare ? – Pour l’essentiel,
deux catégories d’ouvrages qui vont lui être très utiles pendant ses
explorations. D’une part, des récits de voyages, qui vont de Mungo Park (
Travels into the Interior of Africa,
1795-1796) à Savorgnan de Brazza, son contemporain qu’elle admire beaucoup,
et à Du Chaillu, sans oublier David Livingstone, ou Richard Burton. Ce n’est
pas par hasard, car ce sont là des voyageurs qui se sont véritablement
intéressés à l’Afrique noire, chose assez rare à cette époque. D’autre part,
elle a lu beaucoup d’ouvrages d’anthropologie culturelle. Si elle se méfie du
Golden Bough de Frazer, elle fait grand
cas de Topinard, de Westermarck et
surtout de Tylor. Elle dit de son
Primitive
Culture (1871) que pour elle, c’est une bible. Elle se situe résolument
dans le camp des darwinistes de son temps. Elle se méfie, comme de la peste, de
l’anthropologie physique alors très en vogue, qui recherche chez l’homme des
différences génétiques sans tenir véritablement compte de ce qui fait
notre universalité, le poids de toute une
culture sur une communauté sociale et sur des individus qui ont tant de mal à
se rencontrer pour un véritable partage. Pourtant, à l’occasion, ses lectures
peuvent prendre un aspect hasardeux, ou aventureux, ce qui arrive souvent à des
autodidactes. Elle croit avoir lu des ouvrages de chimie, alors qu’il
s’agissait d’alchimie, ce qui est bien différent ! Un ami remet pour elle
les choses en place, mais cela la déçoit et la vexe, ce qui peut aisément se
comprendre :
« Alors, j’ai
pleuré amèrement : ah, si l’on m’avait enseigné tout cela ! »5.
Le savoir acquis hors de l’école peut coûter cher. Et son absence est source de
chagrins profonds et très durs. Quand son père apparaît, il lui parle de ces
pays lointains, ce qui la fait rêver et la fascine : loin de Highgate,
loin d’ici, dans de merveilleux ailleurs !
Une femme de devoir.
Mais si Mary a été éduquée hors normes, elle n’en a pas moins subi tout
le poids écrasant de la société victorienne qui cantonne les femmes dans un
monde de devoirs. Elles sont là pour servir les hommes et la famille.
Il en résulte, et elle en a parfaitement
conscience, qu’elle n’est plus la maîtresse de son temps, et que sa vie ne lui
appartient plus : elle doit toujours se sacrifier pour les autres, les
servir, et elle l’accepte même s’il lui en coûte. Non seulement elle se
transforme en garde-malade pour ses parents, mais en plus elle se croit obligée
de veiller sur son frère Charles qui est aussi dilettante que son père. Et
lorsqu’elle commence à travailler sur son livre, si important pour elle,
West African Studies, elle interrompt sa
tâche pour aller aider sa cousine Mary dont le mari, le révérend William
Harrison, est en train de mourir. Son sentiment du devoir envahit tout, et il
est la source d’énormes frustrations, comme elle le raconte dans une lettre à
Matthew Nathan, le 12 mai 1899 :
« Je n’ai jamais eu droit à
une vie en tant qu’individu. J’ai passé mon temps à aller d’une activité à une
autre, et à vivre dans les joies et les chagrins des autres…De temps en temps,
je viens me réchauffer auprès du feu de véritables êtres humains. Je leur en
suis reconnaissante, Je les aime bien, mais je ne m’attends pas à ce qu’ils
éprouvent les mêmes sentiments à mon égard, car il n’y en a pas un seul qui se
soit jamais intéressé à moi, si ce n’est à cause de services rendus. » 6
Quand elle publie le récit de ses voyages, le public clame son admiration
pour cette femme qui s’est lancée toute seule au cœur d’une Afrique sauvage, et
voit en elle une héroïne, une « femme moderne». Sa réaction est des plus
intéressantes : elle n’aime pas du tout ce genre de compliments, elle ne
considère pas du tout cela comme des actions héroïques : c’est plus
facile, à ses yeux, et à tout prendre, que le dévouement silencieux
qu’elle-même et ses soeurs les femmes
peuvent déployer pour un foyer victorien . C’est ce qu’elle nous
explique dans un article paru en 1896 dans
Young
Woman 7 :
« Contre toute logique, on fait peu de cas d’une femme qui se
sacrifie pour son foyer alors que s’il lui advient de marcher sur les traces des
hommes (et souvent, cela est beaucoup plus facile), et de se lancer dans des
travaux scientifiques, alors tout le monde s’écrie : comme cela est
merveilleux ! »
Pour elle, c’est ailleurs qu’il convient de situer l’héroïsme : elle
en apportera la preuve en se rendant en Afrique du Sud. Car c’est
indéniablement pour les mêmes raisons, par un devoir qui ne connaît plus de
frontières qu’elle est allée sacrifier sa vie auprès des blessés boers. Elle
avait, il est vrai, suivi une formation sommaire d’infirmière lors d’un séjour
en Allemagne. Il se peut également que, une fois de plus, elle marche sur
les traces de son père médecin comme elle avait suivi celles de l’explorateur.
Mais ce qu’elle vit dans cet hôpital militaire de Simonstown est littéralement
atroce.
Les blessés y meurent comme des
mouches, faute de personnel et de matériel. Il fallait une volonté de fer et un
sens du devoir chevillé au corps pour pouvoir le supporter. Voici ce qu’elle
nous
en dit dans l’une de ses
lettres :
« C’est un enfer .. C’est fou,
tous ces hommes solides, en plein délire. Un homme sur trois aurait besoin à
lui tout seul d’une infirmière… Toute ma vie, je l’ai passée (et encore
maintenant) dans des embrouillamini. Quel travail ! Cette puanteur, ces
lavements, ces bassins, tout ce sang : voilà mon univers. Ici, ce que
je fais est désespérant.»8
Elle comprend ces hommes, ces soi-disant ennemis, ces paysans qui aiment
leur terre et ne cessent de la réclamer en disant
« ons land, ons land ! » (notre terre, mais aussi
notre patrie). C’est en contractant une fièvre typhoïde qu’elle trouvera la
mort. Sa fin a quelque chose de tragique, et elle serre le cœur par sa dignité,
son courage silencieux :
« Pendant un temps, elle alla
mieux, et puis elle comprit que la fin approchait. Alors, elle demanda qu’on la
laisse mourir toute seule, déclarant qu’elle ne souhaitait pas qu’on la voie
dans cet état de faiblesse. Les animaux, dit-elle, s’en vont au loin pour mourir seuls, et elle éprouvait le même
besoin. » 9
Le départ vers l’aventure : à nous, la
liberté !
Nous voici maintenant en 1892 : enfin, Mary est libérée de ses
tâches domestiques, elle peut sortir de ce nid étouffant qui ressemblait
fortement à une cage.
L’oiseau ainsi
libéré va s’envoler à tire d’aile ! Quelle joie ! On sent qu’elle
pousse un grand soupir de soulagement :
« C’est en 1893 que pour la première fois de ma vie, j’ai pu
disposer de mon temps, de cinq ou six mois où il n’y avait rien de programmé,
et j’ai senti que j’étais comme un petit garçon à qui l’on vient de donner une
pièce toute neuve ! » . Il reste à en faire un bon usage :
c’est à partir de cet instant qu’elle envisage d’aller explorer l’Afrique de
l’Ouest. Ce départ la questionne fortement, puisqu’elle va jusqu’à se demander
–cette liberté soudaine la prend au dépourvu- si cette décision
n’aurait pas quelque chose de suicidaire,
quand on songe aux risques encourus ?
-Mais non, finit-elle par nous dire joliment :
« J’étais morte de fatigue,
après la mort de ma mère et de mon père, à six semaines d’intervalle, en 1892.
Après le départ de mon frère, je ne me sentais plus d’aucune utilité, Aussi,
partir en Afrique de l’Ouest, cela m’amusait, et cela avait aussi un intérêt
scientifique. Je suis allée en Afrique de l’Ouest pour y mourir. Mais à cette
époque, elle n’avait pas encore envie de me tuer. Je ne suis pas pressée.
N’importe comment, cette année-là ou la suivante, peu m’importe. » 10
Ce texte est bien ambigu. Peut-être a-t-il fonctionné pour elle comme un
moyen de chasser ses dernières craintes ? Pourtant, il y a lieu de se
demander si la mission acceptée plus tard en Afrique du Sud n’avait pas
effectivement quelque chose de suicidaire.
Elle fera donc deux voyages, ce qui
donnera lieu à deux publications :
Travels
in West Africa en 1897, suivi de
West
African Studies en 1899. La trace du père est encore là, puisqu’il avait
commencé d’écrire sur certaines populations de ce continent. Elle nous dit
qu’elle s’y rend pour poursuivre la tâche entreprise par George. Mais si cette
image du père demeure dominante, elle n’en préserve pas moins un attachement
aussi fort que discret à sa mère qu’elle ne renie aucunement, comme beaucoup
d’autres femmes (ou hommes), placées dans la même situation, auraient pu être
tentées de le
faire. De tout cela,
étant très victorienne, elle ne nous parle guère. Pourtant, sa
forte et belle
amitié pour Mathilda Elliot Goldie est riche de sens. Epouse
dévouée de Sir George Goldie, directeur de la Royal Niger Company, mère de deux
enfants, elle n’en a pas moins gardé une grande indépendance de caractère.
C’est une ancienne employée de maison de la famille de Sir George, et il l’a
épousée car elle attendait un enfant de lui. Tout cela va rapprocher ces deux
femmes, et créer entre elles un très fort sentiment de confiance.
Revenons à ses publications. Dès la parution du premier volume, l’accueil
est enthousiaste et le succès immédiat avec quatre éditions en l’espace de six
mois.
Comment voyage-t-elle ?
Elspeth Huxley a fort bien observé sa façon très particulière de
voyager :
« Mary Kingsley a voyagé comme
un loup solitaire, sans camp de base, sans gardes armés, sans réseau d’agents
africains, sans moyens de transport, sans aucun équipement, hormis un petit
coffre et quelques boîtiers pour collections, et sans un sou vaillant. » 11
Sans un sou vaillant ? Huxley idéalise un peu sa description. Au
départ, Mary disposait très exactement de 300 Livres sterling, somme des plus
modiques, quand on songe aux moyens énormes utilisés par un explorateur comme
Stanley. En outre, elle navigue sur des vapeurs, en profite pour s’initier à la
navigation,
puis en pirogue (je vais y
revenir), loin des côtes, en s’enfonçant vers l’intérieur des terres, ce qui
multiplie les risques, afin de pouvoir entrer en contact avec des populations
n’ayant presque pas eu de contacts avec les Européens (ainsi, les Fangs)- Elle
va remonter le fleuve Ogooné où elle découvrira des poissons inconnus :
c’est là un des aspects scientifiques de son expédition. Elle les rapportera à
un savant, le Dr Gunther. Le deuxième objectif, c’est l’observation de
populations particulières, telles que celles
de cannibales. C’est près de Lambaréné chez des missionnaires français
qu’elle fait l’apprentissage du pilotage d’une grande pirogue. En s’entraînant
toute seule et presque en cachette, elle va y réussir parfaitement, alors qu’en
la voyant faire, tout le monde criait au fou. Et c’est elle, à l’arrière, qui
assurera toujours le pilotage, témoignant ainsi d’un véritable savoir-faire.
Aussi, quand on lui parle de Joseph Conrad, elle n’hésite pas à dire :
« Oui, un vrai marin, comme
nous ! »12. Quelle audace que la sienne, si l’on songe aux mentalités de
l’ère victorienne ! Imaginons là, ne serait-ce qu’un instant, la femme
blanche, toute seule dans sa grande pirogue africaine en train de pagayer au
milieu de huit rameurs noirs presque nus qu’elle dirige vers des territoires
inconnus ! Elle est toujours vêtue de noir, comme une dame de son temps.
Pas de déguisements masculins, pas de vêtements spéciaux pour l’exploration
comme dans les films américains, mais une bonne grosse jupe anglaise avec, en
dessous, des pantalons serrés à la cheville (empruntés à son frère) pour se
protéger des sangsues :
« à
certains moments », nous dit-elle,
« on
comprend pourquoi une jupe épaisse est une bénédiction du ciel » 13. Elle ne porte aucune arme, elle a
toujours refusé de tirer. Elle ne parle aucune langue africaine, ce qui est un
sérieux handicap : on peut, dès lors, douter de la validité de certains de
ses témoignages. Elle pratique couramment le « Trade English », une
sorte de sabir, une langue de contact, à moins qu’elle n’ait recours à un
interprète. Sur terre, elle se contente de quatre porteurs. Elle terminera son
premier voyage par un autre exploit : elle escaladera les 4.100 mètres du
mont Cameroun par un itinéraire inconnu des Européens.
Mais nous pourrions maintenant nous
poser, à juste raison, un autre genre de question : comment, concrètement,
Mary se comporte-elle avec sa petite escorte ? Comme nous l’avons vu, dans
sa pirogue, c’est elle qui tient la barre et dirige les opérations. A terre, il
en sera de même : elle ne tolérerait pas que son autorité soit remise en
cause, comme elle s’en est expliquée elle-même dans ses
Travels. Elle tient même à nous montrer comment il convient de se
comporter avec les Indigènes, ce qui nous vaut des affirmations qui viennent
contredire des déclarations beaucoup plus généreuses sur la façon dont on doit
se comporter de façon générale avec les Africains :
«Il n’est pas nécessaire de se
comporter brutalement avec eux. A vrai dire, ce n’est pas payant, mais il est
nécessaire de les traiter avec sévérité, afin de les tenir bien en main. Ne les
laissez jamais se comporter avec vous de façon familière, et ne leur laissez
jamais voir que vous avez commis une erreur. Si en leur donnant un ordre vous
commettez une erreur, qu’il soit bien entendu que cette façon d’agir vous est
propre, qu’elle est d’une grande habileté..et si cela les étonne, c’est de leur
faute. » 14
Autre question qui nous vient à
l’esprit : sous quel jour se présente-t-elle auprès de ces Africains
qu’elle veut contacter ? Si elle mettait en avant ce qu’elle est
véritablement, une femme qui est venue là pour mener à bien une mission à
caractère scientifique (
« Fishes and
Fetishes » des poissons et des fétiches, comme elle le dit souvent
avec son humour habituel), elle risquerait fort d’éveiller de justes soupçons.
On voit, à travers cela, qu’elle a beaucoup réfléchi à ce problème délicat et
qu’elle a compris qu’une « scientifique », une personne voulant enquêter
sur les us et coutumes d’une population peut susciter une méfiance bien
compréhensible : de quel droit voulez-vous savoir qui nous sommes, et pour
quoi faire ? Nombre de voyageurs et d’ethnologues en ont subi les
conséquences. A ses yeux, le personnage le plus rassurant, c’est le
commerçant :
« Je me présentai sous
l’aspect d’un commerçant. Aux yeux de tout le monde, un commerçant a quelque
chose de rassurant, et vous devinez aisément tous les avantages que l’on peut
en tirer quand on apparaît pour la première fois parmi des gens qui n’ont
jamais encore vu aucun de vos semblables, et qui vous prendraient pour une
créature de l’enfer. Mais si vous leur proposez de leur vendre ou de leur
acheter quelque chose, ils vous reconnaissent alors comme quelqu’un de
raisonnable, comme un être humain. »15
Et que vend-t-elle ? Des articles très disparates : de
l’alcool, des hameçons pour la pêche, de la verroterie,
des cotonnades, du fil, ce qui fait qu’elle
peut entrer très vite en relation avec les gens, tout en faisant quelques gains
qui vont lui permettre de renflouer ses finances. En cela, elle innove ,
car très souvent les explorateurs (la littérature des voyages en témoigne, et
elle la connaît bien) procédaient par cadeaux, surtout de la verroterie, ce qui
est bien différent. En outre, comme ce commerce comporte aussi une part de
troc, cela va servir à améliorer son ordinaire. Contrairement à trop de
voyageurs, elle ne s’encombre pas de conserves ou de produits d’Europe :
elle mange à l’africaine (mil, patates douces etc..) et campe dans un
confort des plus sommaires, ce qui ne peut que faciliter les contacts :
elle vit comme eux.
Voyager en Afrique : descendre en enfer, ou
monter au paradis ?
Il y a une Afrique qu’elle redoute, qui lui fait peur, celle des
serpents, des moustiques et des sangsues. On se souvient qu’à l’époque, ce
continent avait une réputation détestable, puisqu’on l’avait surnommé
The White Man’s Grave (le tombeau de
l’homme blanc). A certains moments, pour elle, l’Afrique est un enfer, en
particulier lorsqu’on se retrouve en forêt, en pleine nuit. Il y a alors
en ces lieux un charme redoutable qui a quelque chose de mortel. Peut-être
réveillent-ils en elle de vieux souvenirs sinistres de l’obscurité qui
régnait dans la maison d’enfance de Highgate ?
« A mon avis, rien de plus
fascinant que de passer une nuit dans la forêt africaine, ou dans une
plantation. Mais je vous prie de bien observer que je ne conseille à personne
de le faire, pas plus que je ne recommanderais à quiconque d’aller vivre en
forêt. A moins que cela ne vous intéresse, à moins que vous ne soyez pris par
son charme : c ‘est là une vie atroce qui vous plonge dans les affres de
la mort. » 16
Par contre, lorsque Mary descend un
rapide sur un vapeur ou dans sa chère pirogue, elle éprouve un très fort
sentiment de symbiose. Elle ne croit guère en Dieu, la religion l’indiffère en
ce siècle si puritain, elle évoque souvent son ju ju (gri gri) Spinoza pour se
protéger des grenouilles de bénitier. Et ce qu’elle aime dans cette Afrique
qu’elle traverse, c’est le sentiment (ce que disent tous les Africains qu’elle
rencontre) qu’elle est peuplée d’esprits, de souffles de vie qui circulent
parmi les hommes, dans leurs corps, et jusque dans leurs âmes, dans la nature
et dans le cosmos. Cela l’émeut au plus haut point. Elle vit alors à l’unisson
des éléments, elle est traversée par de grandes visions panthéistes. Dans de
tels instants, elle est comme portée par l’inspiration et devient une grande
styliste :
« Je n’éprouve pas de
sentiments compliqués. Non, je ne fonctionne jamais de cette façon-là. Je perds
tout sens de mon individualité, tout souvenir de mon existence, des soucis, des
chagrins et des doutes.Je me fonds dans le décor. S’il y a un paradis, c’est là
qu’il se trouve pour moi et je crois sincèrement que si on me laissait assez
longtemps dans un pareil cadre, ou sur le pont d’un paquebot au fond d’une
baie, quelque part en Afrique, en train de regarder sa cheminée et ses mats
osciller dans le ciel, au gré d’une grosse houle indolente, je me retrouverais
sans âme, et comme morte. Mais je n’aurai jamais ce bonheur ! » 17
Mary Kingsley est-elle un bon écrivain ?
A lire le passage qui précédait, la réponse ne fait aucun doute. Mary,
quand elle le veut, sait très bien tenir sa plume. Mais souvent son style se
fait heurté, presque télégraphique, avec de bonnes glissades vers la langue
parlée, ce qui n’est pas désagréable. A vrai dire, dans bien des pages, c’est
plus le contenu du récit que sa qualité esthétique qui retient notre attention,
ce qui est fréquent dans l’histoire de la littérature des voyages. Ceci se
comprend aisément : ce que le voyageur a vu
ou entendu dire est, à tout prendre, plus digne d’intérêt que la
façon dont il va nous le raconter. Autre chose dans le cas de Mary
Kingsley : son humour la protège, elle-même le considère comme
« un masque » qui lui permet
de garder ses distances, et il est là pour aérer le texte. En voici un petit
exemple, mais il y en a beaucoup d’autres. Je le tire de la version française
de Anne Hugon (une bonne traduction) publiée chez Phébus et intitulée
Une odyssée africaine : une
exploratrice victorienne chez les mangeurs d’hommes, 1893-1895 18.
Arrivée dans un village, comme à l’accoutumée, elle soulève la curiosité de
tous. Elle préfère en rire :
« Dans
le cadre de la fenêtre, j’aperçois une quantité de têtes toutes noires.
J’explique respectueusement que le cirque est fermé pour causes de réparation,
et j’attache les volets, mais impossible de me rendormir. »
Kingsley est un écrivain très prolixe, elle écrit à
toute allure, et son récit peut sombrer dans des bavardages, même si elle tente
de le concentrer. Elle ne veut pas nous épargner le moindre détail, et il
faut comprendre pourquoi. C’est une passionnée, elle vit avec une extraordinaire
ferveur et un enthousiasme sans bornes une liberté enfin retrouvée, après
trente ans d’enfermement ! Elle a une soif de savoir et de découverte que
nous pouvons lui envier, et la curiosité, un mignon péché, la dévore jusqu’à
l’os : elle ne veut absolument rien perdre de ces moments qu’elle
considère comme fabuleux, même s’ils ne le sont point. Par ailleurs, comme sa
prose a du succès (elle est bien soutenue par son éditeur MacMillan), elle en
tire profit. Il en résulte des éditions souvent abrégées, ou expurgées. Et
quand on lit son deuxième volume,
West
African Studies 19 dans sa
version intégrale, ouvrage auquel nous allons maintenant avoir souvent recours,
on est heurté par son mode de composition. Chaque chapitre est numéroté, et à
cela elle ajoute un numéro de section (ainsi : Chapitre II, Section 4),
peut-être pour masquer un désordre caché par un ordre apparent. Il commence par
une annonce de son contenu, un résumé, dans la plus pure tradition de la
littérature des voyages. Le texte prend souvent l’allure d’un brouillon, qui
est effectivement très touffu, très « brouillon », car les renvois se
succèdent, de chapitre en section et de section en chapitre. Les thèmes se
succèdent pèle mêle, dans un joyeux charivari, à vous en donner le vertige .
Laissez-moi vous en citer un exemple : les fétiches, les Yoroubas, des
statistiques économiques, la médecine africaine, le commerce et les
commerçants,
une incisive sur ses
fameux poissons, un résumé d’un voyage effectué par le capitaine Johnson en
1620-1621, une description de la colonisation française en Afrique de l’ouest,
suivie d’une critique acerbe de la colonisation anglaise. Pourquoi cette façon
de présenter documents et réflexions volontiers philosophiques ? Sans
doute par un désir de conserver le rythme haletant et nécessairement désordonné
de notes de route accumulées au cours du périple, en plus de l’enthousiasme,
très juvénile, déjà signalé.
D’autres lecteurs y trouveront peut-être un charme que je n’ai
pas su déceler…
Quelles images de l’Afrique et des Africains ?
Il ne faut pas oublier qu’à cette époque, en Angleterre, on célèbre la
grandeur et la gloire de l’expansion coloniale. La littérature populaire y
participe très volontiers, comme la littérature des voyages. Ceci est vrai pour
l’œuvre de Kipling, et encore plus pour celle de Rider Haggard. Lors de la
parution de son
King Solomon’s Mines
en 1886 qui va connaître un égal succès en France, à Londres, les autobus à
impériale se couvrent d’immenses affiches annonçant la parution de ce
livre. Il en ira de même pour les expositions coloniales.
En 1897, l’année même de la parution de son
récit d’exploration, on organise à Londres pour la reine Victoria également
impératrice des Indes, le célèbre
Diamond
Jubilee. Le 22 juin, devant une foule immense, une gigantesque parade
militaire se déroule dans les rues de la capitale, célébrant la grandeur de
l’empire britannique et de sa souveraine. Quelques jours plus tard, elle passe
en revue pas moins de 165 navires de guerre, ce qui est une autre façon d’affirmer
cette puissance.
Quelles
images nous propose-t-on alors de l’Afrique noire ?
Celles d’un continent sauvage où règnent
fauves et cannibales.
Une exploratrice victorienne chez les
mangeurs d’hommes, nous clame le titre pourtant récent
(1992) de l’édition française. Mais il n’est
pas dû à la plume de Mary Kingsley. C’est une invention des éditions
Phébus : le récit de voyage est toujours un objet commercial, ce qui nous
explique ce titre racoleur. L’édition anglaise de 1897 n’insistait pas sur ces
cannibales, mais plutôt sur le côté solitaire de l’opération, et il vaut aussi
son pesant d’or :
The Classic
Account of One Woman’s Epic & Eccentric Journey in the 1890s. Sa
longueur et son style participent
de la
tradition de la littérature des voyages, mais Kingsley y ajoute sa note
d’humour. N’empêche, à l ‘intérieur de ces pages, nous avons bien droit à une
Afrique dangereuse, la terre des sauvages cannibales, des lions, de gorilles et
des safaris comme nous le verrons aussi plus tard à propos de Karen Blixen.
Pourtant, Mary ne va pas tomber dans
ce piège : c’est plutôt le lecteur de l’époque qui va se faire piéger avec
ces récits raccrocheurs. Pourtant, elle ne s’est jamais présentée dans la tenue
stéréotypée de l’explorateur, comme le fit Stanley, botté de cuir, coiffé d’un
casque colonial et s’appuyant, pour le photographe, sur sa carabine Remington.
Non, rien de tout cela, et à vrai dire une image bien différente,
telle qu’elle nous a été restituée par une
femme qui l’avait bien connue, Mrs St Loe
Strachey :
« Avec ses yeux bleus, sa
bouche toute en sourires, ses cheveux avec une raie au milieu, elle n’avait
vraiment rien d’une exploratrice. Elle avait l’intelligence décidée et ouverte
d’un homme, mais elle avait aussi un sens de l’humour incroyable, et c’est la
personne la plus rigolote que j’aie jamais rencontrée. » 20
De temps en temps, Mary reproduit
avec une belle inconscience quelques-uns des clichés de l’époque. Ainsi, à
propos des langues africaines :
«Les
langues nègres sont pauvres, et elles sont tellement différentes les unes de
autres qu’une tribu ne peut pas en comprendre une autre qui vit juste à
côté »21. Mais ne pourrait-on pas en dire
autant des langues de l’Europe ? Et qu’en sait-elle, elle qui ne connaît
ni ne pratique aucune d’entre elles ?
Ceci est assez gênant, car elle ne recueille des traditions orales, qui
sont si importantes dans les cultures africaines, que de seconde main. Quand
elle rencontre un griot qu’elle appelle un
itinerant
minstrel, et qu’il lui déroule ses récits, elle doit finir par
avouer : «
Je ne les ai
pas compris, parce que je ne connais pas la langue »22.
Mais pour le reste , elle part
hardiment en guerre contre ces mêmes préjugés. Elle commence par mettre à mal
celui qui consiste à dire que les Africains sont de grands enfants :
« Souvent, ces Africains ont une
intelligence aigue et une forte dose de bon sens, et il n’y a vraiment rien
d’enfantin dans leur façon de penser »23 . Elle se méfie, en outre, et avec raison, de ces gens qui parlent
de l’Afrique comme si elle constituait un tout unique, sans tenir compte des
disparités et des richesses culturelles du continent :
«Je ferai remarquer que les cultures
africaines divergent autant entre un Galoa et un Bubi qu’entre un Londonien et un Lapon »24 . Pour elle, la
meilleure façon d’aborder ce continent, c’est de travailler sur
son fétichisme, car, ajoute-t-elle,
« si
vous voulez comprendre quelque chose aux institutions indigènes en Afrique de
l’ouest, c’est dans la religion que vous trouverez la clef, car cette religion
imprègne tellement leur esprit qu’elle va laisser sa marque sur tout ce qu’ils
font » 25. Et c’est
essentiellement par le fétichisme qu’elle se manifeste. Kingsley va consacrer
une place considérable à ce thème, au point qu’il va devenir central dans ses
récits. Dans
Travels in West Africa,
elle va lui consacrer quatre chapitres entiers, soit un total de 106 pages, et
elle y reviendra dans
West African
Studies. Ses enquêtes viennent s’appuyer sur les travaux d’anthropologues
tels que Tylor, Westermarck et autres, tirant ainsi profit, comme nous l’avions
observé plus haut, de la bibliothèque paternelle lors des années noires. Cela,
à ses yeux (en plus des poissons), constitue l’aspect scientifique de son récit
de voyage. Pour quoi un tel intérêt porté au fétichisme ? Parce qu’elle
estime, et avec raison, comme nous l’avons déjà signalé, que pour un Africain
la société des hommes, la nature et
le
cosmos sont animés par des esprits qui ne relèvent pas de la simple
sorcellerie, mais d’une forme particulière de spiritualité, d’immanence
qui traverse les univers dans lesquels nous nous déplaçons, vivons et mourons.
Quel changement par rapport aux oppositions binaires et souvent inertes de la
pensée européenne ! Elle revient sur cette notion qui lui est chère dans
West African Studies :
« Ce qui frappe un Européen
quand il étudie ce fétichisme, c’est l’absence d’espaces vides entre les
éléments. Pour un Africain, il n’y a probablement pas d’espace vide entre les
représentations de l’esprit et celles de la matière, entre le monde de l’animé
et celui de l’inanimé. » 26
Peut-être, sur ce dernier point, pourrai-on déceler l’influence de
Spinoza. De telles réflexions philosophiques viennent renforcer chez elle
nombre de convictions panthéistes qui l’éloignent très fortement du monde
chrétien de son temps.
Mary Kingsley, les
missionnaires et les cannibales.
Ah, ces missionnaires ! Mary s’entend très bien avec eux, elle tisse
même de solides amitiés avec leur épouses, ainsi dans le cas de Mary Slessor.
Mais c’est à titre individuel, en termes de relations humaines. Pour le reste,
elle n’est pas du tout d’accord
(surtout dans le cas des protestants) avec leur façon de traiter
l’Afrique et les Africains. Ils ne semblent faire aucun cas du fétichisme qu’ils
assimilent à de la pure sorcellerie, à quelque chose de maléfique, et ils n’en
voient pas l’importance, la place que cela occupe tant au niveau de leur
culture que de celui de leur personnalité.
Dans ces conditions, le message du missionnaire passe très mal, et elle
considère qu’ils vivent un échec. Au cours de leur travail, ils vont donc
tenter d’assassiner ce monde spirituel, ce qui lui semble impardonnable. Et le
jugement qu’elle porte sur leur action est des plus sévères, ainsi dans un
article publié dans la
National Review
en 1896 :
« Si les missions ont échoué,
si les missions protestantes ont échoué en Afrique de l’Ouest, c’est parce
qu’elles n’ont pas su percevoir les différences existant entre leur esprit et
celui des Africains ; d’où une tendance à les considérer comme des cruches
qu’il fallait vider de leur contenu pour les remplir avec cette doctrine très
particulière, que eux, les missionnaires, veulent leur enseigner. » 27
Les
conséquences en sont
redoutables. En effet, cette attitude qui consiste à vouloir
faire table rase
des savoirs africains pour pouvoir mieux imposer une religion
occidentale (donc
étrangère) va provoquer chez l’Africain un vide
sidéral qu’il va essayer de
combler, faute de mieux, par une imitation inepte et servile des
« manières » de l’Européen.
Après avoir détruit la figure du père, ce
qui est un trait marquant de toute colonisation, il faut bien lui
trouver un
substitut, et ce, à n’importe quel prix : il faut
passer pour ce que l’on
n’est pas, en tentant de s’ identifier au vainqueur,
à celui qui vous a
envahi, sans doute pour recouvrer une dignité perdue. Mary
Kingsley est très
sensible à cette vacuité provoquée par
l’acculturation forcée, et pour elle,
ces singeries ont quelque chose de navrant :
« Je vois bien qu’il y a
maintenant en Afrique de l’ouest une poignée d’Africains qui maîtrisent la
culture des Blancs (…) Ainsi voyons-nous des « libellules » qui ne
sont ni des Européens ni des Africains, mais qui sont une malédiction car ils
trompent le Blanc et trahissent le Noir. »28
Elle rencontre souvent des êtres de ce type,
êtres hybrides, des
« décervelés » qui lui font
pitié. C’est sûrement dans ces moments-là
qu’elle en veut terriblement aux missionnaires. Son humour lui
permet peut-être
de relativiser la situation mais c’est aussi, sans doute, une
facilité.
Il faut se souvenir qu’à cette époque on
faisait des gorges chaudes de ces « Nègres blancs », ce qui renvoyait
à une image de l’Africain infantile. C’est contre tout cela qu’à sa façon, avec
un très grand courage intellectuel, elle s’insurge dans le passage qui
suit :
« Alors je me retournai et je vis se
tenant debout sur la rive où nous avions amarré notre pirogue ce qui à mes yeux
avait l’air d’un gentleman anglais, qui
par un caprice du sort était devenu tout noir, avait perdu ses pantalons, et
s’était vu dans la nécessité de les remplacer par une nappe à fleurs. »29
Et ces fameux cannibales ?
Il est évident qu’il sont là pour faire
sensation. Ainsi, dira le lecteur, non seulement cette femme intrépide
s’enfonce toute seule en pirogue au cœur des ténèbres, mais en plus elle part à
la rencontre de mangeurs d’hommes !
Elle va se jeter dans la gueule du loup ! Dans la langue
d’aujourd’hui, on n’hésiterait pas à parler d’un
scoop, d’un élément extraordinaire utilisé à dessein pour faire
monter les ventes et attirer l’attention d’un grand public friand d’aventures
sur cette femme impossible, toute de noir vêtue. Cela, je pense, devait
l’amuser follement. Kingsley, si je puis dire, a des côtés de grande gamine. On
peut, néanmoins, se demander si, quitte à se contredire, cette expédition chez
les Fangs (qui n’avaient jamais mangé le moindre missionnaire) ne vient pas
renforcer les images d’une Afrique dévorante et sauvage. Quoi qu’il en soit,
dans
Travels in West Africa, Kingsley
prend un grand plaisir à titiller le lecteur, à nous faire frissonner de peur.
Arrivée en pays Fang, elle s’installe dans la case d’un chef lorsqu’elle est
frappée par une odeur suspecte et nauséabonde. Ne pouvant la supporter, elle en
recherche l’origine et finit par la trouver dans un gros sac posé dans un
coin :
« Alors, je le secouai
pour faire tomber son contenu dans mon sac, craignant de perdre quelque objet
de valeur. Apparurent successivement : une main, trois gros orteils, quatre
yeux, deux oreilles, ainsi que d’autres parties du corps humain »30. Quel inventaire ! Bien sûr, un
peu plus loin, elle ajoutera avec le brin d’humour qui lui est habituel :
« Non, mes amis, je ne vais pas vous
raconter des histoires de cannibales ! ». Ceci ne l’empêchera
pas, malgré tout, de prendre la question plus au sérieux en recueillant le
témoignage de quelques témoins :
« La chair de l’homme, dit-il,
est bonne à manger, très bonne même, et il souhaiterait vous voir la goûter… On
l’insulte souvent parce qu’il mangerait des membres de sa famille, mais ce
n’est pas vrai. Il mangera les membre décédés de la famille de son voisin et
lui vendra ceux de sa famille.. Mais il n’achètera pas des esclaves pour les
engraisser avant de les mettre sur la table, comme le font, d’après ce que j’ai
entendu dire, certaines tribus du moyen Congo. »
Assez curieusement, il semble
qu’elle ait pris un plaisir morose à se faire peur autant qu’à provoquer ce
sentiment chez les personnes qui viennent lui rendre visite dans son
appartement, au retour de ses voyages, alors qu’elle est devenue une célébrité.
En effet, ils sont, dès l’entrée, accueillis par une statuette assez lugubre,
surnommée « Muvungu », un fétiche hérissé de clous, qui d’après
certains témoignages, sentait très mauvais, une forte odeur de sang pourri.
Sans doute était-ce dû à d’anciennes offrandes
31
. Or, la signification de ces clous enfoncés dans le bois est claire : il
s’agit d’un mauvais sort que l’on adresse à certains destinataires..
Mary Kingsley et l’éloge du
commerce à la colonie.
Dans son vocabulaire, des termes
comme « trade », « trading » et « traders » sont
dominants. Avant de partir, elle s’informe auprès des divers partenaires de la
colonisation, missionnaires, agents administratifs ou docteurs. Mais ce sont
déjà les commerçants qui ont sa préférence. Nous savons maintenant que c’est en
tant que commerçante qu’elle approche les Indigènes, et elle nous a dit
pourquoi. Leurs mœurs l’intriguent, car souvent les marchands itinérants vivent
une sorte de polygamie, puisqu’ils ont une femme africaine dans chaque village,
ce qui, bien entendu, crée des liens. Elle nous parle encore, toujours à propos
du commerçant,
«du respect, de
l’affection que l’Indigène lui témoigne »32. Dans ses déplacements, c’est à leur
parler qu’elle a recours pour échanger avec les Africains. Voici ce qu’elle
ajoute lors d’une conférence, en 1896 :
« C’est grâce à eux, grâce à leur influence, à leur pouvoir sur
les Indigènes que j’ai pu faire quelque chose de valable, et j’ai toujours été
fière de pouvoir les compter parmi mes amis »33 . Et à l’en croire (la source des
compliments semble inépuisable !) avec le commerçant, l’Indigène sait à
quoi s’en tenir, contrairement à ce qui se passe pour le colon :
« Pour le colon, l’Indigène
est un embarras, parfois quelqu’un de dangereux, et au mieux un serviteur sans
intérêt. (…) Pour le commerçant, ce n’est pas la même chose : c’est un
client. Ce que le commerçant souhaite voir, c’est une population abondante, et
sa réussite dépend de leur prospérité, de la richesse, de la paix et de leurs
activités. »
En quelque sorte, pour elle, ils représentent l’avenir économique et
culturel de la colonie et de la colonisation, alors qu’on ne cesse de les
dénigrer. Mais ces personnages si importants le sont encore plus pour leur
métropole d’origine. Elle considère que l’Afrique de l’Ouest représente une
mine de ressources pour une révolution industrielle en plein essor, et elle
évoque alors
« les besoins de notre
classe ouvrière en Angleterre »34. Ainsi l’Afrique, par ses matières premières, fournira à cette
Angleterre ouvrière le travail dont elle a besoin, et soulagera ainsi sa
misère. Il est vrai qu’à cette époque, ce paupérisme avait quelque chose
d’inquiétant : Dickens et beaucoup d’autres en témoignent, et ce type de
réflexion sur les rapports nouveaux à établir entre colonies et métropole
n’avait rien de très original. Par de telles affirmations, Kingsley participe
au discours impérialiste de son siècle. Cecil Rhodes, le grand conquérant victorien,
tenait exactement le même. En 1880, à Londres, il vient d’assister à un meeting
de chômeurs :
« J’ai entendu prononcer des
discours farouches où il n’était question que d’une chose : du pain, du
pain ! Et en rentrant chez moi, je réfléchis à cette scène et je me sentis
de plus en, plus persuadé de l’importance de l’impérialisme. Mon idée la plus
chère représente une solution au problème social, à savoir que pour épargner
aux quarante millions d’habitants du Royaume Uni une guerre civile sanglante,
nous, les hommes d’état vivant aux colonies, nous devons annexer de nouveaux
territoires pour y installer un excédent de population, et pour ouvrir de
nouveaux marchés aux biens qu’ils produisent dans les usines et dans les mines.
Comme je l’ai toujours dit, l’empire, c’est une question de croûte ! Et si
vous voulez éviter une guerre civile, alors vous devez vous transformer en
impérialistes ! » 35
Voilà le genre de propos qu’inspirait
l’empire à cette époque-là. Je ne
sais si Kingsley en aurait approuvé tous les termes, mais de
toute évidence,
sur bien des points, elle se serait rangée à son avis.
Sur place, dans
West African Studies, elle propose que
l’on organise une véritable armée du travail (
labour army) , divisée en brigades (
gangs) avec un chef à la tête de chacune d’elles pour des tâches
d’intérêt public. Elles
remplaceraient
très avantageusement des régiments de soldats qui sont en place : elle
doute fortement de leur utilité
36 . Quand
on songe à ce qui s’est passé au Congo belge, on pourrait frémir à la seule
évocation de ce projet. Mais Kingsley n’hésite pas à protester véhémentement
contre des impôt abusifs et injustes ayant alors cours en Afrique de l’Ouest (
Hut Taxes). Et dans une lettre adressée
à
New Africa en 1900, elle n’hésite
pas à affirmer :
« Le devoir de
l’Angleterre, c’est de protéger le nationalisme africain, et non de le
détruire. »
Cependant, elle ne fait aucun mystère de ses vives sympathies pour le
système impérialiste dans une lettre à la
National
Review, en 1897, où parlant des Africains elle nous dit :
« Sachant cela, nous pourrons alors les
commander avec sagesse, afin de leur donner une chance de progresser. »37
Elle se lie d’amitié avec Rudyard Kipling, qui admire beaucoup son grand
courage : hommage d’un homme réputé pour sa célébration de la virilité à
une femme d’action. Ils discutent souvent ensemble. Mais elle n’est pas
toujours d’accord avec lui, en particulier à propos de sa théorie du
« White Man’s Burden » (le
fardeau de l’homme blanc) qui, pour la résumer rapidement, consiste à dire que
le Blanc, lors de la colonisation, se voit confier par le destin le rôle de
porter un fardeau, celui de l’homme de couleur, du colonisé, qu’il faut amener
jusqu’à la civilisation de l’Occident. Elle déclare qu’elle ne l’entend pas
ainsi :
« nous ne voulons pas
de ce fardeau-là ». Et même si elle ajoute en passant pour manifester
un point d’accord essentiel,
« l’impérialisme
est une bonne chose, c’est vrai »38, toutefois, elle ne
partage pas toutes les prises de position de Kipling:
C‘est le fardeau de l’homme noir qu’il
faudrait célébrer, car ce pauvre Africain se voit confronté à un tas de
crétins, à toutes leurs lubies, et pour lui comme pour l’homme blanc, ces
fadaises ne valent rien ». Le désaccord est plus profond qu’il n’y
paraît. Si Kingsley approuve l’impérialisme, elle décèle bien quelques-uns de
ses méfaits, du moins sur le plan culturel. Pour ce qui est des questions
économiques….
Mary Kingsley, une femme
anti-féministe ?
Mais si c’est une femme qui a fait tout cela,
et qui a publié deux
volumes de récits de voyage, de quelle femme
s’agit-il ? Mary Kingsley
n’est pas très portée sur l’introspection,
mais elle sait parfaitement que ces
trente années passées au chevet de ses parents
l’ont marquée à jamais. Dans un
texte que j’ai déjà cité, elle nous disait
bien qu’elle n’avait pas fréquenté
les enfants de son âge, qu’elle n’avait pas
partagé la compagnie d’autres
petites filles ou petits garçons :
« je
ne savais pas jouer », une petite phrase que je trouve terrible.
Elle se réfugiait dans l’imaginaire de la
bibliothèque paternelle. Elle ne savait donc presque rien des relations entre
les hommes et les femmes, c’est-à-dire de l’amour, de la sexualité. Pour elle,
tout cela faisait partie d’un monde qui lui demeurait étranger. Cette sorte
d’innocence n’est jamais que le fruit amer d’une ignorance, et celle-ci lui est
une source de souffrances silencieuses, comme s’il s’agissait d’un monde
convoité qui lui avait été interdit et auquel il lui était maintenant très
difficile d’accéder. C’est ce qui apparaît très nettement dans cette lettre
adressée à son, biographe Stephen Gwynn
39 :
« Je le confesse très
humblement, comme si je devais avouer que je suis sourde ou aveugle, non je ne
connais rien de l’amour. J’ai lu des
choses là-dessus. A en juger par le comportement des hommes et des femmes, je
vois que cela existe, comme j’ai pu le lire dans les livres, mais je n’ai
jamais été amoureuse, et personne n’est jamais tombé amoureux de moi. »
Pourtant, on lui a connu une amourette avec Matthew Nathan, officier des
Royal Engineers qui deviendra gouverneur du Sierra Leone, mais qui interrompra
cette relation. Dans une lettre qu’elle lui a adressée le 12 mai 1899
40, elle se laisse aller à une grande
tristesse quand elle sent qu’elle est en train de vivre la fin d’un petit
rêve :
« Je ne compte pas pour
vous, et je le sais. Il n’y a pas là de quoi me réjouir, et peut-être ne
devrais-je pas vous le dire dans une lettre ».
Il semble bien que Mary n’ait pas
toujours eu une conscience nette des statuts, des rôles impartis à chacun et à
chacune dans cette société victorienne si rigide. Ces rôles, ce jeu social, ce
n’est pas de sa faute, on ne les lui a pas appris, et c’est pourquoi, à son
insu, elle vient occuper une place qui est normalement celle d’un homme. Ce
n’est pas de la provocation de sa part, mais plutôt une forme d’innocence.
Voilà pourquoi, quand on lui dit qu’elle a la bravoure d’un homme, elle ne
comprend pas ce qui lui arrive, et elle s’insurge contre de telles
déclarations. Pour elle, de tels rôles sociaux n’existent pas vraiment,
puisqu’elle ne les perçoit pas. Ceci apparaît très nettement avec R.Kipling.,
comme on va le voir dans le témoignage qui suit, et qui est tiré de son
autobiographie,
Something of Myself 41. Invités tous les deux à un
thé, il lui propose de l’accompagner chez lui :
« Tout en vidant nos tasses,
on bavarda beaucoup, et nous continuâmes à le faire en rentrant chez moi. Elle
me parlait des cannibales en Afrique de l’Ouest, et autres choses de ce genre.
A la fin, oubliant les convenances, je lui dis : « Montez donc
dans mon appartement, et là, on pourra continuer à discuter. » Elle dit
oui, comme l’aurait fait un homme, puis se souvenant tout à coup de la
situation, elle dit : « Mince, j’ai oublié que j’étais une femme. Ben
non, c’est pas possible ! »
On retrouve ici, bien sûr, des restes de son parler populaire qui devait
plaire à Kipling car il en
était très
friand. Ce qui rend les choses encore plus difficiles pour elle, c’est que dans
cette société bourrée de convenances et de conventions, pour une femme, un seul
statut est respectable : celui d’une épouse et d’une mère de famille. Le
célibat est perçu comme quelque chose d’anormal , de suspect.
Or, une fois en Afrique, le même problème
va se poser, en des termes, il est vrai, assez différents. Mais tout de même,
là aussi, une femme qui voyage seule est plus que suspecte, et elle risque fort
d’être perçue comme une dangereuse aventurière, ou comme une victime désignée.
Pour surmonter cette difficulté, Mary Kingsley a trouvé une solution très
astucieuse qui devait bien l’amuser. Elle nous le révèle dans une conférence
prononcée au Cheltenham Ladies College en 1898 :
« Je ne dois pas dissimuler à toute
femme célibataire qui dans cette salle aurait envie de se rendre en Afrique
qu’elle y sera sans cesse dérangée par des questions du genre :
« Mais où est votre mari ? ». Je pense qu’il est plus sage de
dire que vous êtes partie à sa recherche, et que vous estimez qu’il doit être
dans cette direction que vous allez prendre lors de votre voyage. Ceci va vous
valoir de la sympathie, et de l’entraide. »42
Ce jeu nous montre une fois de plus le rôle très ambigu tenu dans sa vie
par une certaine forme d’humour, qui pourtant lui permet ici de se tirer
d’affaire à bon compte tout en se lançant dans la recherche d’un époux
imaginaire dont elle savait fort bien qu’elle ne le rencontrerait jamais.
D’autres événements vont permettre à
Kingsley de se situer en tant que femme : le mouvement des suffragettes.
En 1897, Milicent Fawcett fonde la
National
Union of Women’s Suffrage qui revendique, comme son nom l’indique, le droit
de vote pour les femmes. Comment Kingsley va-t-elle se situer par rapport à
toute cette effervescence ? On aurait pu s’attendre, de sa part, à
beaucoup de sympathie. Mais c’est le contraire qui se produit. Elle est
foncièrement hostile à toute cette agitation sociale qu’elle trouve
passablement ridicule. Dans une lettre à M.Nathan, datée de 1900, on la voit
aller proposer un petit match de boxe à des militantes en pleine réunion :
« Cet après-midi, je suis
allée porter la contradiction à des femmes qui voudraient avoir le droit de
voter, et je me suis bien amusée quand je me suis vue traitée d’idéaliste, et
là-dessus on m’a balancé des tas de choses très poétiques. Pas moyen de
discuter, alors j’ai proposé à la secrétaire d’aller régler nos comptes dans
l’arrière cour, mais elle n’a pas voulu ! »43
Pourquoi une telle agressivité ? Peut-être parce que Mary
considérait que ces femmes n’avaient qu’à faire comme elle, à occuper des
places habituellement réservées aux hommes, au lieu d’aller s’agiter dans les
rues. Peut-être considérait-elle que les femmes, dans leur ensemble, n’étaient
pas encore suffisamment instruites pour qu’elles puissent utiliser valablement
un bulletin de vote. Ces arguments ne sont guère convaincants, d’autant plus
que les suffragettes en question comprenaient dans leurs rangs beaucoup de
femmes instruites, comme nous le dit ce tract qui date de 1892 :
« Est-il normal que l’on confie à une
femme la responsabilité d’enseigner
dans une école, et qu’on ne lui fasse pas confiance pour un bulletin de vote
que l’on accorde à des garçons qu’elle a instruits avant qu’ils n’aient atteint
son niveau de savoir ? »44. Il existe probablement
d’autres raisons qui nous permettraient d’interpréter correctement ce
comportement. Kingsley devait considérer qu ‘une crédibilité durement
acquise risquait alors d’être remise en cause. Par ailleurs, et cela chez elle
est très personnel, comme nous venons de le voir, elle ne faisait que très peu
de cas de la répartition traditionnelle des rôles sexués. Enfin, il se peut
qu’elle n’ait pas vu l’importance de cet événement, ou que par pur
conservatisme, femme de devoir, elle soit venue se ranger aux côtés des hommes.
N’oublions pas non plus que nombre
de femmes d’action ou d’intellectuelles
de son époque manifestaient une même hostilité à l’égard du féminisme
militant, qu’il s’agisse de Florence Nightingale, de Cha
rlotte Brontë, ou de George Eliot.
Trente ans d’enfermement, suivis de
huit années de grande liberté, et d’activités intenses : une vie coupée en
deux, mais que tout rassemble. Célibataire endurcie (malgré elle, sans doute),
par ses travaux, elle sera parvenue, avec d’autres, à amener l’Europe à
modifier sa façon de considérer l’Afrique et les Africains.
Quelle femme de
caractère !
Femme de son époque,
elle en épouse les opinions dominantes, et quelques-uns de ses préjugés. Elle
fait ainsi l’éloge d’un impérialisme triomphant, et la critique d’un féminisme
en émergence. Mais comme elle est d’une indépendance farouche, elle dénonce
l’acculturation forcée des missions, et revendique la noblesse d’une pensée
africaine.
Chez elle, les contradictions
abondent. C’est ce qui la rend si attachante : la vie en est pleine,
c’est un signe de richesse qui indique que
l’on est en chantier, et que les questions que l’on se pose restent
ouvertes : alors, à quoi bon vouloir lui en faire reproche ?
NOTES
1 in FRANK, Katherine, A Voyager Out, the Life of Mary Kingsley,
London, Houghton & Mifflin Company, 1986, p 299. Pour la
suite :
Frank .
2 Frank, pp 50-51, puis p.41.
3 Frank, p 45 ; citation qui
suit : p 23.
5 in GWYNN, Stephen, The Life of Mary Kingsley, London,
Penguin Books, 1940 (1932), p 16. Pour la suite :
Gwynn.
6 Frank, p 269. Lettre à Matthew
Nathan, 12 mai 1899.
8 KINGSLEY, Mary, Travels in West Africa, the Classic Account
of One Woman’s Epic & Eccentric Journey in the 1890s, London, Phoenix
Press, 2.000, abridged & introduced by Elpseth Huxley, p 9. Pour la
suite :
TWA.
10 in TWA, p 6. Pour M.E.Goldie, in Frank, pp 96-97.
18 KINGSLEY, Mary, Une odyssée africaine :
une exploratrice victorienne chez les mangeurs d’hommes, 1893-1895, traduit
par Anne Hugon, Paris, éditions Phébus, collection « D’ailleurs »,
1992 p 384.
19
KINGSLEY, Mary, West African Studies,
Danvers, LLC Publications, 2009. Pour la suite : WAS.
33 in Gwynn, p 94, puis p 140.
38 in Gwynn, p 165, puis Frank,
p 292.
41 KIPLING, Rudyard, Something of Myself, London, Penguin
Books, 1987 (1935), p 79.
44 in DOMMERGUES, A.,
Le Commonwealth, Histoire & Civilisation, Nancy, Presses
Universitaires, 1991, p 137.