En 1948 et à soixante et un ans, René Maran
(1887-1960) se
présente comme un homme désillusionné. En témoignent ses propos à René
Violaines au sujet de
Bacouya
le
cynocéphale (Albin Michel, 1953) :
[une]
grande nouvelle où je condenserai de mon mieux ma
philosophie de l’homme et de
la vie. Elle sera, elle est amère et sans illusions.[1]
Cette philosophie de la désillusion ne
s’est pas pour autant
forgée à la fin de sa vie puisque nous en
décelons déjà les traces visibles
dès
ses premières fictions et même dans ses
poèmes. Au risque de simplifier, on
peut affirmer que la désillusion chez Maran
découle de trois sources
principales : la première se rapporte aux
conditions de sa vie
familiale ; la deuxième, à son
expérience africaine comme fonctionnaire de
l’administration coloniale ; la
troisième, enfin, il faut la chercher dans
les rapports de l’écrivain avec le monde des
Lettres. Ces trois sources de
désillusion ont en commun le fait de se rapporter aux
institutions (familiale,
coloniale et littéraire) qu’il perçoit
comme des entités pervertissant les
idées mêmes sur lesquelles elles
s’appuient pour exister. Mais elles se
rejoignent aussi par leur portée symbolique, comme on le
verra.
Les lignes qui suivent
tenteront de déceler plus précisément
les enjeux de la deuxième source de
désillusion dans la vie de Maran : il s’agira ici
d’analyser les rapports entre Maran et
l’administration coloniale de l’A.E.F. entre 1909
et 1924, à travers les
documents conservés dans son dossier personnel,
consulté au Centre des Archives
d’Outre-mer d’Aix-en-Provence
[2].
Néanmoins, un retour préalable sur la
période
précédente s’avère
nécessaire
dans la mesure où la carrière coloniale de Maran
est en
quelque sorte
l’aboutissement d’une série de
circonstances qui ont
marqué sa vie à Bordeaux
de 1905 à 1909.
Rappelons rapidement la situation de
départ
[3] :
Maran appartenait à une famille guyanaise liée au
fonctionnariat de Cayenne. Né
—semble-t-il— en mer, lors de la
traversée menant
ses parents à la Martinique,
où le père avait été
affecté pour un
poste dans l’administration de l’île, il
a
trois ans lorsque, à la suite d’une nouvelle
mutation du
père, les Maran
partent pour le Gabon. À sept ans, Maran abandonne
Libreville
pour entrer au
Petit Lycée de Talence qui sera le
théâtre du drame
de l’enfant, séparé
précocement de sa famille. Le sentiment d’abandon,
voire
de trahison, ressenti
au départ de façon aiguë, sera plus tard
atténué par la conscience d’une
indépendance intellectuelle que seule la
libération des
contraintes familiales
a rendue possible. Je n’insisterai pas sur ces
questions-là si ce n’est pour
souligner que la fin de l’adolescence, marquée par
l’arrivée de la mère sur
Bordeaux, sera l’occasion d’une pénible
réactualisation et aggravation de la
question familiale dans la vie de Maran, sous la forme d’une
autorité
maternelle écrasante et méprisante envers le
fils. Son
échec au bachot,
aurait-il traduit son refus de suivre la volonté familiale
de
faire de lui un
avocat
[4] ?
Ce n’est pas improbable vu, d’une part, la
répugnance qu’il montrait par
rapport à ce métier et, d’une autre
part, le caractère apparemment peu souple
de la mère qui n’appréciait pas les
égarements littéraires du jeune Maran. En
agissant de la sorte, c’est-à-dire en
renonçant à la compétition scolaire,
Maran a en effet réussi à éviter le
destin que lui réservait sa famille mais,
du même coup, il a considérablement restreint le
champ des possibles dans son
horizon professionnel. Par ailleurs, je n’ai pas
trouvé de trace d’une
quelconque vocation coloniale de Maran préalable
à son départ pour l’Afrique en
1909. Il y aurait intérêt à mieux
connaître cette période, pour laquelle je
n’ai malheureusement pas trouvé beaucoup de
documents, puisque ces années ont
été le témoin,
simultanément, de l’incertitude de Maran par
rapport à son
avenir professionnel, d’une ambiance familiale
étouffante et d’une déception amoureuse
qui l’a —dit-on— durablement
marqué. On sait à peine qu’il a
pratiqué le sport
de compétition à cette époque et
qu’il a investi dans la littérature la plupart
de ses efforts
[5].
Maran
en Afrique : les clés du conflit
Voilà donc
Maran parti pour l’Afrique à vingt-deux ans, sans
trop
d’enthousiasme mais sans
trop de préjugés négatifs non plus et
très
probablement soulagé de pouvoir
redevenir maître de son destin. De sa correspondance de
l’époque, dans laquelle
il raconte sa vie à son arrivé à
Bangui, dans
l’Oubangui-Chari, se dégage une
sorte d’euphorie initiale qui n’est
peut-être pas
étrangère au soulagement dû
à
la fuite, mais qui montre tout de même les limites de la
croyance
généralement
partagée selon laquelle Maran aurait
éprouvé,
à son arrivé en Afrique, un choc
immédiat provoqué par
l’expérience de la
distance qui le séparait de ses
« ancêtres », comme de
celle que lui
imposait une administration
raciste. Il a été très souvent
signalé, en
effet, que Maran a subi en Afrique
des comportements racistes, ce qui est
avéré ;
c’est d’ailleurs souvent la
version que donne Maran lui-même de l’attitude de
l’administration à son égard.
Mais le racisme, qui s’est très nettement
manifesté
dans quelques incidents
—dont la plupart, par ailleurs, se sont produits en dehors de
l’administration—, n’explique pas tout
dans le
comportement de celle-ci envers
le fonctionnaire. Il n’a constitué, en fait,
qu’une
de ses composantes. Certes,
s’il avait été blanc, il aurait pu
loger dans cet
hôtel au Congo Belge où l’on
n’acceptait
pas des Noirs, et il aurait pu boire un verre dans ce café
où on le lui avait
refusé parce qu’une loi belge interdisait de
servir de
l’alcool aux Noirs. Mais
s’il n’avait pas été
défiant envers
l’autorité ou, comme le disait un
gouverneur, s’il n’avait pas eu un
« caractère
indomptable » ou cette
fâcheuse « tendance à
exagérer son
importance », il est possible que
les choses se fussent passées tout autrement pour lui en
Afrique, tout noir
qu’il était. En fin de compte, Maran n’a
pas
été le seul ni le premier
fonctionnaire noir en Afrique mais, à ma connaissance, aucun
n’a été aussi
obstinément attentif envers la hiérarchie en vue
de faire
prévaloir ses droits.
Ou, pour le dire autrement, le racisme n’a pas
empêché son propre père
d’occuper une position plus élevée que
la sienne
dans l’échelle du
fonctionnariat ni son ami Félix Éboué
—passé, lui, par l’École
coloniale et
entré dans la franc-maçonnerie—
d’atteindre
des positions nettement dominantes
dans l’administration des colonies. Je voudrai insister sur
le
fait que Maran,
manquant de diplômes, entre dans l’administration
par
« la petite porte»
[6],
comme agent de police, puisque c’est cette situation de
départ qui va rendre
possible certaines attitudes de la hiérarchie à
son égard.
Les appréciations...
L’un des
indices des rapports entre Maran et l’administration est
constitué par les
appréciations de ses supérieurs sur la conduite
professionnelle du
fonctionnaire. Ces appréciations sont passées
certes par des hauts et des bas
au cours de la période où Maran a servi dans
l’administration, mais une vision
d’ensemble permet tout de même d’observer
une montée nette vers la crispation.
Ainsi, pendant les premières années,
l’avis sur Maran semble, en général
—certaines réserves mises à
part—, assez favorable, l’image qui se
dégage de
ces appréciations étant celle d’un
jeune homme instruit, responsable et plein
de volonté au travail quoique, naturellement, quelque peu
immature et manquant
d’expérience. Cet avis contraste avec les
critiques sévères dont il sera
l’objet ultérieurement même si,
dès 1911, le Gouverneur Adam le décrit comme
« un agent inégal, un peu
fantaisiste»
[7]. Il
est possible d’expliquer cette
irrégularité dans
l’accomplissement de ses fonctions —à
supposer qu’il y en ait eu— par son état
de santé qui ne lui a pas toujours permis de les accomplir
dans des conditions
optimales. Autour de 1912, par exemple, raconte Charles Kunstler:
« Étourdi par l’usage quotidien
de la quinine, anémié par le climat,
débilité, très las, il
s’ennuyait, ne travaillait plus... »
[8].
Mais le ton de certaines critiques, surtout
à partir de 1916, moment où la tension commence
à monter, ne peut pas s’expliquer par un manque
d’énergie qui serait dû à la
maladie, à la fatigue ou à l’ennui
[9].
Il est fort probable que le niveau d’empathie entre Maran et
ses supérieurs —qui pouvait varier sensiblement
selon les cas— ait déterminé son
degré d’efficience et de zèle au
travail, mais il a pu également déterminer, chez
ses supérieurs, la bienveillance ou la
sévérité des jugements
portés sur le fonctionnaire. Le désaccord
manifesté par les jugements de différents
administrateurs, à peu près à la
même époque, ou la persistance de la
dépréciation chez quelques-uns, comme le
gouverneur Adam, montrent ce qu’André Fraisse
n’a pas hésité à qualifier
de « sorte de persécution
intellectuelle » contre Maran qui, à son
tour et comme réaction, « se ferme de
plus en plus hostile »
[10] :
[…] on a
l’impression que les administrateurs qui le condamnent,
conscients de son intelligence supérieure à la
leur, mais orientée différemment, veulent
l’obliger à abdiquer. Cette mesquinerie, cette
inconsciente jalousie est à l’origine
d’appréciations que l’on doit
déjuger en raison même de leur violence. Nul ne
doute qu’une façon plus souple de prendre le jeune
fonctionnaire, manquant sans doute de souplesse lui-même,
n’ait pourtant permis d’en obtenir une parfaite
efficience[11].
À l’analyse, les
écrits émanant de l’administration
contre Maran ainsi que ceux qu’a produits Maran
lui-même, semblent refléter une dynamique sociale
qui s’apparente beaucoup à cette
persécution
intellectuelle dont parle Fraisse et que
j’appellerai, pour reprendre le terme actuel,
harcèlement moral[12].
Quoi qu’il en soit, les incidents qui sont
associés à la plupart de ces écrits et
de ces jugements montrent l’existence d’un conflit
orageux entre Maran et l’administration, conflit qui se
termine quelque temps après l’affaire
Batouala.
Chronologie d’un harcelement
L’affaire Sampayo inaugure
très tôt cette
série d’incidents qui ont marqué la
carrière coloniale de Maran :
En 1910, un an après
l’entrée en service du jeune homme, un incident
s’est produit: un commerçant portugais,
nommé Sampayo, régulièrement
convoqué au Commissariat à propos d’un
différend avec ses boys nègres, fait une
scène violente au jeune fonctionnaire, et lui
lance : « On voit bien que c’est
par atavisme que vous les soutenez » et lui reproche
de n’être pas civilisé[13].
Devant ce fait, Maran n’a pas
hésité à
porter plainte contre le commerçant laquelle, bien que
souscrite par le chef de
circonscription, semble avoir éveillé un certain
malaise au sein de la
hiérarchie à l’égard de la
susceptibilité du subalterne et, peut-être, de ses
manières un peu trop guindées.
Cependant, comme il a déjà
été dit, les mésententes qui se sont
produites dans ces premières années
n’ont revêtu ni l’ampleur ni la
radicalité des événements
postérieurs. Entre 1915 et 1919, une série de
conflits se sont produits qui peuvent être
regroupés en trois périodes: 1) entre 1915 et
1916 Maran a été l’objet
d’un comportement discriminatoire et raciste lors de son
passage par le Congo Belge ; 2) de 1916 à 1917
Maran aura des frictions avec ses supérieurs à
cause de sa gestion financière à Sibut ;
3) finalement, entre 1918 et 1919, Maran sera accusé de
brutalité envers les indigènes
lorsqu’il participait aux campagnes du Docteur Jamot contre
la maladie du sommeil
[14].
1) En effet, le passage obligé par le
Congo Belge, qui reliait l’A.E.F. à la mer, a
été le théâtre de quelques
incidents, difficiles à accepter pour le fonctionnaire
français qu’était Maran. On lui a
refusé le logement dans un hôtel, par exemple,
parce qu’on n’y acceptait pas de Noirs. Maran fit part
de l'incident au Gouverneur du Congo au
moyen d'une lettre où il laissait voir son indignation: il
s'offusquait de ce que les preuves montrant qu'il n'était pas un
indigène et qu'il avait déjà logé dans ce
même hôtel à une autre occasion n'avaient pas
réussi à infléchir la décision de
l'établissement.
[15].
La réaction de Maran ne s’est
pas limitée à une simple protestation. Le
député pour la Guadeloupe Gratien Candace a été également mis au courant et
l’affaire est arrivée jusqu’au Ministre
des colonies, Gaston Doumergue à
l’époque, que Candace a incité
à porter plainte auprès du Gouvernement belge
pour dénoncer le fait. Dans une lettre de janvier 1916,
après une enquête ordonnée par le
Conseiller d’État et Ministre des Affaires
Étrangères, celui-ci affirmait avoir
exigé aux autorités belges que les fonctionnaires
de passage par leur territoire « fussent
traités de façon convenable, quelle que
fût leur couleur »
[16].
Or l’enquête a
révélé que l’hôtel
en question était géré par un citoyen
français, un fonctionnaire « ancien agent
consulaire de France à Matadi et administrateur de la
compagnie du Haut Congo »
[17]...
Quelques mois plus tard, Maran se plaignait, dans
une lettre adressée au Gouverneur Merlin, que, lors de son
passage par Matadi (Congo Belge), en avril 1916, on ne lui avait pas
permis de consommer de l’alcool dans un local public. Ce fait
s’expliquait, d’après le consul
français à Matadi, par l’application
d’un texte de l’administration belge selon lequel
la consommation d’alcool de plus de 8º
était interdite « aux personnes de race
africaine »
[18]...
2) La période suivante (1916-1917) a
été marquée par
l’affrontement direct avec la hiérarchie
coloniale. À cette époque, Maran se
trouvait à Sibut comme Agent spécial
chargé de la comptabilité. Le
fonctionnaire ne semblait pas trop apprécier cette
tâche, raison pour laquelle
des tensions sont rapidement survenues. Le Gouverneur de
l’Oubangui-Chari,
Leprince, à qui Maran s’était
adressé directement sans respecter la voie
hiérarchique, lui a rendu sa demande et,
s’adressant au Chef de circonscription
de Kemo (Sibut) par qui devait passer la correspondance, il ajoutait:
Je n’ai pas
d’autre emploi à lui donner; s’il ne
veut pas rester Agent spécial, qu’il
démissionne ou s’il veut faire du sport comme il
le prétend, qu’il demande à
être mobilisé.[19]
Si le
sentiment patriotique avait éveillé son
désir d’être mobilisé depuis
le début
de la guerre —il a effectivement demandé
à plusieurs reprises d’être
muté sans
que sa demande soit acceptée—, à cette
occasion, Maran a peut-être recherché
une voie d’évasion à son inconfortable
situation professionnelle.
À cette époque, les rapports
entre Maran et certains membres de la hiérarchie se
caractérisaient déjà par une tension
frôlant l’inimitié ou du moins, une
manifeste antipathie. Pour en rester à
l’essentiel, les nombreux quiproquos et les interminables
querelles entre Maran et ses supérieurs
répondaient, selon l’une des parties
impliquées, à l’attitude arrogante et
indisciplinée du fonctionnaire envers
l’autorité et, selon l’autre,
à la persécution injuste et
intolérable dont il était l’objet de la
part de ladite autorité
[20]. En effet,
le ton des écrits de Maran n’a pas
été bien accueilli par certains
supérieurs qui déploraient sa
« tendance à exagérer son
importance et à prendre des mesures intempestives et
maladroites »
[21]. Il
n’est pas étonnant que le Gouverneur de
l’Oubangui-Chari l’ait accusé
de « susceptibilité
exagérée » : outre le
caractère intransigeant et pointilleux de Maran
lui-même, qui manifestement crispait la
hiérarchie, il est évident que
l’administration ne voyait pas d’un bon
œil un fonctionnaire insoumis et obstiné
à refuser les petits arrangements, étrangers
à la haute politique coloniale mais pratiques pour maintenir
l’équilibre entre les acteurs locaux de la
colonisation. Pour d’aucuns, Maran était
simplement « un irrégulier de la vie qui
ne souffre pas d’être
commandé »
[22].
3) Entre 1917 et 1919, la trame se complique.
Lamblin,
Gouverneur de l’Oubangui-Chari, avait émis un
rapport négatif sur Maran —ce qui
mettait des entraves à sa promotion—
[23],
des mois après que ce dernier eut occupé un
nouveau poste à Fort-Crampel en mai
1917, et que le nouveau Chef de circonscription, Baudon, eut
montré sa
satisfaction pour les services rendus par le fonctionnaire. Selon
Baudon, Maran
accomplissait ses fonctions de façon satisfaisante quoique,
à cause de son
caractère distrait, son travail dût être
entièrement révisé
[24].
Que Maran ait changé ou non son attitude après
les dures critiques de Lamblin,
le fait est que Baudon n’a pas tardé à
partager l’avis du Gouverneur, comme le
montrent ses appréciations postérieures
[25].
En février 1918, Maran fut
chargé d’accompagner le Docteur Jamot dans une
campagne
prophylactique contre
la maladie du sommeil menée dans la circonscription de
Kemo-Gribingui. Jamot y
Maran ont été accusés
d’utiliser la
manière
forte contre les indigènes
lors des rassemblements des villages, accusations dont Maran
s’est défendu par
écrit devant le Chef de circonscription. Suite à
ces
accusations, en juin 1918,
l’Adjoint Bonneveau transcrit le témoignage de
Doungouyolo, chef d’un village
banda, qui aurait dénoncé la manière
dont Maran
administrait des gifles et des
coups de poings aux indigènes tandis que son
boy aurait
frappé une femme enceinte « parce
qu’elle
n’avait pas répondu assez vite à
l’appel de
son
nom »
[26].
Préalablement
au témoignage de Doungouyolo, Maran
s’était adressé au Gouverneur
général de
l’A.E.F. pour protester contre ces accusations et pour offrir
sa version de ce
qui s’était passé entre Jamot et Baudon
[27].
Dans cette missive, Maran avait reconnu, selon Lamblin, avoir
maltraité plusieurs
porteurs qui l’avaient traité de
boy,
et avait émis une série de
« commentaires
intolérables » et
d’« allusions
désobligeantes et haineuses » contre son
chef
Baudon ce qui, ajouté à une révision
du dossier
conflictuel du fonctionnaire,
amena le Gouverneur à la conclusion suivante :
il me semble que la
seule solution est qu’il soit invité à
aller chercher ailleurs, hors de
l’Administration coloniale, d’autres chefs auxquels
il lui répugnera moins
d’obéir. Conserver un agent dont la valeur est
nulle, qui ne se distingue que
par sa suffisance et son incapacité; dont
l’orgueil est indomptable et ne lui
permet pas d’obéir; qui ne fait usage des ses
facultés que pour critiquer ses
chefs, enfin qui ne peut être qu’une charge pour la
Colonie, serait infiniment
regrettable[28].
Suite au rapport de Lamblin, le Gouverneur
général manifesta sa
certitude qu’il y avait des motifs suffisants pour imposer un
blâme
disciplinaire au fonctionnaire, ce qui devait arriver en
décembre de cette même
année
[29]
« pour négligence dans son service et
actes d’incorrection et
d’indiscipline vis-à-vis de ses
supérieurs »
[30].
L’accusation de Doungouyolo, cependant,
ne
peut pas se comprendre sans tenir compte du contexte des tensions qui
n’ont pas
tardé à se produire entre Maran, Agent
spécial à Fort-Crampel, Baudon, Chef de
circonscription de la Kemo-Gribingui et Bonneveau, son adjoint. Une
altercation
entre Maran et un distributeur de viande appelé Cheffou, qui
l’accusait de
l’avoir intimidé, a
déclenché un affrontement qui a
provoqué à son tour une
abondante correspondance officielle entre les acteurs du conflit et
l’autorité
de Brazzaville. Dans sa défense, Maran expliquait que Baudon
s’était adressé à
lui devant les indigènes, « comme
on n’engueule pas un boy »
[31]
et se plaignait de l’attitude méprisante
affichée par ses supérieurs immédiats
à son égard. Le récit de Doungouyolo,
minutieusement consigné par Bonneveau,
semble n’avoir eu d’autre but que celui
d’appuyer la position de Baudon et
Bonneveau contre les accusations de Maran.
Mais
dans le récit de Doungouyolo, un fâcheux
détail, si
l’on peu dire, s’était
glissé, qui allait être l’objet
d’une
enquête supplémentaire. Une nouvelle
accusation retombait sur Maran à cause d’une
série
d’événements survenus avant
la campagne de Jamot, selon lesquels, un indigène serait
mort en
novembre de
1917 à cause des coups que Maran lui aurait
administrés.
Maran s’est défendu de
ces accusations dans une lettre au Gouverneur où il donnait
sa
version des
faits. Selon cette version, la mort de Mongo aurait
été
due aux effets du
soleil et à l’épuisement
causé par les
charges excessives imposées aux
porteurs. Il ajoutait, en outre, qu’il avait
déjà
eu connaissance d’autres
morts dont les causes étaient à trouver dans
« un portage intensif sur la
nécessité,
l’utilité et la portée
duquel notre attention avait été tirée
de
façon toute spéciale et pour lequel
on avait fait appel à notre esprit d’initiative,
notre
zèle, notre activité et
notre dévouement »
[32].
Constituant une attaque plutôt qu’une
défense, l’explication de Maran n’a pas
contribué à aplanir les tensions entre le
fonctionnaire et l’administration dont les rapports, au contraire, commençaient à
se durcir. Quoi qu’il en soit,
l’enquête a débouché sur un
procès concluant à la responsabilité
de Maran,
condamné finalement par le tribunal de première
instance de Bangui à 50 francs
d’amende avec sursis, le 26 juin 1919
[33].
À la suite de ce procès, Maran s’est
à nouveau adressé à Gratien Candace
pour
se plaindre des actions judiciaires menées contre lui, et
pour attirer son
attention
sur les agissements
d’un grand nombre d’administrateurs coloniaux
à
l’égard des indigènes et même
des fonctionnaires de race noire qu’ils traitent
avec un mépris absolu de la dignité humaine ou un
parti pris voulu de diminuer
l’autorité attachée à leurs
fonctions. [34]
Les accusations
de Maran s’appuyaient, semble-t-il, sur une série
de documents que le député
affirmait joindre à son intervention. Mais Henri Simon
—Ministre des colonies
entre 1917 et 1920— déclarait un peu plus tard
n’avoir point reçu de document
joint à ladite intervention
[35].
La question fut résolue provisoirement par le rejet de la
demande qui, selon le
Ministre, manquait de fondement
[36].
Or cette affaire s’est ravivée à la
suite de l’attribution du prix Goncourt en
1921 à
Batouala,
texte que
l’administration n’a manifestement pas
apprécié. J’ai analysé
ailleurs les
connexions entre ces deux affaires, l’affaire Maran et
l’affaire
Batouala, sur lesquelles je
ne reviendrai pas ici
[37].
Il faut tout de même en retenir que, du fait de la
célébrité que le Goncourt a
procuré à Maran, les documents perdus sont
devenus l’épée de Damoclès
pour
l’administration qui spéculait sur leur contenu et
sur leur possible relation
avec quelque scandale de l’administration
française en A.E.F.
[38].
Le lien entre l’affaire Maran et l’affaire
Batouala
a eu pour effet une scission au sein de
l’autorité, entre ceux qui
travaillaient à la disqualification publique du
fonctionnaire et ceux qui, au
contraire, préféraient suivre la consigne du
silence. Or cette consigne a nui à
la possibilité d’une défense de Maran
contre les accusations qu’il subissait
pour l’affaire Mongo, défense qu’il
avait demandé de pouvoir soutenir à Paris
et qu’Albert Sarraut, alors Ministre des colonies, lui aurait
refusée :
Je me cache si peu
de ce que l’on me reproche, que
c’est pour déclencher une enquête que
j’ai écrit la préface de Batouala.
En 1921-1922, une mission d’inspection séjournait
à Fort-Archambault, poste qui
est sis à 130 km de Fort-Crampel. En ce
moment-là, la campagne contre Batouala
battait son plein. Des journaux comme Le Temps, des
revues comme La
Renaissance me jetaient à plein nez la mort de
Mongo. J’avais demandé à
rentrer en France pour venir me défendre. Par
l’intermédiaire de M. Gratien
Candace, député de la Guadeloupe ―j’ai
cette lettre en ma possession― Monsieur
Albert Sarraut, ministre des colonies, refusa de m’accorder
cette permission.
Bien plus, et j’ai la conviction que les renseignements
qu’on m’a donnés à ce
sujet sont exacts, ordre fut donné à la mission
d’inspection de se refuser de
déférer aux demandes
d’enquête que je pouvais formuler.[39]
La carrière coloniale de Maran se
poursuit,
après
Batouala,
par de nouvelles
mésententes, dues au retour irrégulier par le
Nigeria —le fonctionnaire se
disant menacé de mort—, ce qui a encore une fois
exaspéré l’autorité qui
interprétait cette menace comme un nouveau produit de sa
fantaisie.
En guise de conclusion
Revenons donc à la
désillusion. On ne peut pas ignorer la
désillusion
politique chez Maran à la
suite de son expérience coloniale. Cette
désillusion, il
l’a très fréquemment
exprimée en recourant au motif de la double
France : celle,
abstraite et
positive, des principes de la Révolution qui avait soutenu
et
légitimé
l’expansion, et celle, concrète et
néfaste, de la
pratique coloniale. La
« nouvelle politique
indigène »,
défendue dans l’après-guerre par les
principaux théoriciens de la colonisation, a
été
perçue par la plupart des
colonisés à l’époque comme
le renoncement
officiel à la première et la
légitimation de la deuxième et, dans ce
sens, la position de Maran rejoint celle majoritairement
partagée par les
colonisés de l’après-guerre telle
qu’elle a
été exprimée dans le
Libéré,
l’
Action
coloniale ou les
Continents.
Comme l’écrivait le dahoméen Kojo
Tovalou dans le
nº 5 des
Continents :
Le programme
colonial est donc le suivant : pas d’instruction,
pas de liberté civile,
économique, politique, la condamnation de toute la race
noire aux travaux
forcés, comme justice, la loi du vainqueur : le
fouet. Maintien des
coutumes pour arrêter et figer toute évolution.
L’enseignement du français
considéré comme un crime. Quand je vous dis que
ces messieurs du ministère des
Colonies et de l’Éducation coloniale font une
œuvre anti-française. (p. 1)
Mais l’expérience africaine
de Maran est
intéressante pour d’autres questions
qu’il convient de rappeler ici pour mieux
saisir cette figure controversée et cette
personnalité complexe. Comme je le
disais au début, les proches de Maran, surtout
après la mort du père en 1910,
n’accueillaient pas bien les penchants littéraires
de l’aîné, car « dans
sa famille on n’aimait pas les livres »
[40].
De ce fait,
on lui
reprochait d’égarer vers la poésie son
temps, ses prédilections, son argent de
poche. On lui déniait le sens commun, on lui contestait
toute influence, on
écartait narquoisement ou sournoisement ses avis. Sa
lucidité, son expérience
lui faisaient apercevoir immédiatement la cruelle ironie de
cette situation
de chef de famille exploité et sans
autorité[41].
Si l’on tient
compte du fait que l’un de ses supérieurs
l’ait traité de
« poète
décadent, très
neurasthénique » qui, par ses
activités littéraires,
éludait sa responsabilité envers sa famille
[42],
on peut deviner la portée de la désillusion
coloniale de Maran pour qui la
Mère-Patrie n’a pas constitué un
substitut positif de la mère biologique. Un
élément semble crucial dans la situation de Maran
en Afrique : le fait que
son capital social soit extrêmement faible par rapport
à son capital culturel.
Il a ressenti en effet très tôt le
décalage douloureux entre celui-ci et son
rang subalterne au sein d’une administration qui a voulu
finalement l’écraser.
La hiérarchie, de son côté, a trouvé
insupportable le manque d’adéquation
entre, d’une part, l’attitude et les
manières, surtout écrites, du
fonctionnaire et, d’autre part, la position
occupée par celui-ci dans l’échelle
professionnelle et sociale. Par ailleurs, le capital symbolique
qu’aurait pu
lui procurer la publication à Paris de ses deux premiers
livres de poèmes en
1909 et en 1912 non seulement ne lui a pas constitué un
capital utilisable dans
les colonies : bien au contraire, sa qualité de
poète lui fut reprochée
explicitement ou implicitement comme provenant d’une attitude
non conforme à sa
position et traduisant, à la limite, des
prétentions illégitimes ou
inappropriées. En Afrique, donc, les blessures
infligées à son amour-propre se
sont ajoutées à une personnalité
déjà fragilisée mais pas du tout
encline à
abdiquer.
On est en
droit de se demander comment Maran a pu, dans ces conditions
professionnelles
et psychologiques, produire une infatigable correspondance officielle
pour
assurer la défense de ses droits et poursuivre en
même
temps une carrière
littéraire qui dépendait à son tour
d’une
formidable correspondance avec des
écrivains de la métropole. Le premier fait est
explicable
par le refus de Maran
de s’accommoder d’une position de soumission que la
hiérarchie exigeait d’un
subalterne, « nègre »
de surcroît.
Le deuxième provient de la certitude
que ce n’était tout de même pas dans ce
domaine-là qu’il voulait
régner,
pour reprendre le
terme d’André
Suarès (1868-1948), écrivain dont on peut
rapprocher
Maran à bien des égards et
notamment, pour ce qui nous concerne ici, dans leur commune
considération de la
langue comme patrie
[43].
L’investissement intellectuel de Maran en Afrique,
malgré la fatigue et les
humiliations dont il fut victime, montre en effet à quel
point il croyait à la
possibilité que son talent soit reconnu par des instances
supérieures, idéales,
étrangères aux mesquineries et aux bassesses de
l’administration. Or il allait
bientôt découvrir que le moyen de parvenir en
littérature n’était pas très
dissemblable de celui qu’il fallait adopter pour parvenir
dans
l’administration. Celle-ci sera, par ailleurs, la
dernière en date et la plus
amère des illusions perdues de René
Maran.
Notes
[1]
Lettre du 29-3-1948, reproduite
par René Violaines, « Mon ami
René
Maran », in
Hommage
à René Maran, Paris :
Présence Africaine, p. 28.
[2]
Je me rapporterai
notamment à deux dossiers conservés au Centre des
Archives d’Outre-mer
(Aix-en-Provence) : Fonds Ministériel, EE II 6175,
dossier
35 et Papiers
Fraisse, FP, 8 APOM 4. Le premier est constitué des lettres
et
des pièces
administratives concernant la période coloniale de
Maran ;
le deuxième
contient des documents d’archives concernant la
même
période qu’André Fraisse,
secrétaire général du gouverneur
général à Brazzaville, à
sauvé des
termites en
1952. Ces dossiers seront cités désormais comme
CAOM DP
et CAOM FP
respectivement. Je remercie encore une fois feu M. Pierre Soumille de
m’avoir
facilité la consultation de ces documents.
[3]
Outre les documents
cités en note 2, les sources documentaires
utilisées pour
l’étude de la
situation familiale de Maran se rapportent à la
correspondance
de l’écrivain
reproduite, certes de façon lacunaire, dans le collectif
Hommage
à René Maran, Paris :
Présence Africaine,
1965 ;
dans la préface de Léon Bocquet à
Le
Petit Roi de Chimérie, Paris : Albin
Michel, 1924 ; et
dans le
mémoire de Boniface Musoni
René Maran et
son œuvre, Université de Louvain,
1962. Je tiendrai compte également de ses deux romans
d’inspiration
autobiographique
Le
cœur serré,
Paris : Albin Michel, 1931 et
Un
homme pareil aux autres Paris, Albin Michel, 1947. Sur le
caractère
autobiographique : de ces romans, voir L. Rubiales,
« René Maran et
l’écriture du Moi » in
L’autobiographie
dans l’espace francophone. II. L’Afrique,
I. Díaz
(éd.), Cádiz : Servicio de
publicaciones de la
UCA, 2005, pp. 53-83.
[4]
L’hypothèse que
Maran serait passé par la faculté de Droit,
suggérée par René Violaines (
op. cit. :
15)
ou Madeleine Carbet
(« René Maran »,
Hommes et Destins,
t. II, vol.
2, Paris :
Académie des Sciences d’Outre-Mer, 1977, p. 304)
est
intenable à la lumière du
rapport de la Préfecture de la Gironde selon lequel Maran
n’aurait passé que la
première partie du baccalauréat
« latin-langues », mention
« passable » (CAOM DP). Dans
Le cœur
serré, la mère du héros
annonce à la fin du récit :
« Jo
fera son Droit [...] Je crois
qu’il a tout ce qu’il faut pour devenir un
excellent
avocat » (p.
229). Mais la réponse de celui-ci permet de mettre en
question
ses dispositions
à l’égard de la volonté
maternelle:
« D’abord, j’ai le mensonge en
horreur [...].
Ensuite, c’est bien simple: j’ai horreur des
bavards et des bavardages. Alors, tu vois ça
d’ici,
l’avocat Georges
Lindre ? » (
Ibid.).
[5]
J’ai analysé les
débuts littéraires de
l’écrivain dans ma
thèse encore inédite :
René Maran o la
emergencia de un escritor en
el contexto colonial y negro-africano francófono,
Universidad de Cadiz.
[6] Charles Bareilley,
« Souvenirs », in
Hommage à
René Maran,
op. cit., p. 234.
[7] Bangui, 15-5-1911
(CAOM, FP).
[8] Charles Kunstler,
« Le cœur, l’esprit et la
raison », in Hommage à René
Maran,
op. cit., p. 47.
[9] Depuis Grimari,
Maran écrivait : « Je m’ennuie
désespérément »,
lettre du 7-7-1913, reproduite par Manoël Gahisto,
« La genèse de
Batouala »,
in
Hommage à
René Maran,
op. cit., p. 125.
[10] André Fraisse,
« René Maran », in
Hommage à
René Maran,
op. cit., p. 274.
[11] Ibid.
[12] Voir, entre autres, A.
Biheran,
Le
harcelèment moral, Paris : Armand
Colin, 2006.
[13] Id. :
272-273.
[14]
Je reprends la
périodisation établie par Pierre Soumille dans
son
article inédit « À
travers les archives. Quelques aspects de la carrière de
Maran
avant et après
Batouala »
(s.l.n.d.), qui a
constitué sa contribution à la
« Journée des littératures
coloniales », Paris, CEA-EHESS, 16 octobre 2000.
[15] Thysville (Congo
Belge), lettre de Maran au Gouverneur du Congo à
Brazzaville, 25-6-1915 (CAOM,
FP).
[16] Paris, lettre du
Conseiller d’État et Ministre d’Affaires
Étrangères au Ministre des colonies,
6-1-1916, (CAOM, FP).
[17] Ibid.
[18] Ainsi qu’on peut le
lire dans la lettre du Gouverneur général de
A.E.F. au Ministre des colonies,
Brazzaville, ?-?-1916 (CAOM, FP, 235c). Le document est
rongé par les termites.
[19] Bangui, 26-2-1917
(CAOM, FP, 24c).
[20]
Un détail peut
donner une idée de l’extrême
sensibilité que
montraient les deux parties devant
le moindre des incidents: le Chef de circonscription, De Kermadec,
demandait
dans un télégramme au Gouverneur à
Bangui
« si la signature de l’agent
spécial de Sibut
peut se réduire à une
simple lettre initiale M ainsi que le fait Maran sur les
pièces
officielles », Bangui, 8-3-1917 (CAOM, FP, 9c), ce
que la
hiérarchie a considéré comme une
preuve de
mauvaise foi de la part du
fonctionnaire. Pour sa part, celui-ci se plaignait auprès du
Gouverneur du
refus du dit Chef de circonscription de reconnaître la valeur
des
documents où
sa signature apparaissait, simplement abrégée,
ajoutant
qu’il s’agissait là
d’une « question
ridicule ».
[21] Le Chef de
circonscription De Kermadec, Fort Sibut, 30-11-1916 (CAOM, FP,
« Appréciations »).
[22] Sibut,
« Note » de De Kermadec, 8-3-1917
(CAOM, DP, 10c).
[23] « M. Maran est un
agent inégal, d’une
susceptibilité exagérée et manquant
souvent d’esprit de discipline. Il a fait
preuve dans les fonctions d’Agent Spécial dont il
était chargé à Fort-Sibut
avant d’être désigné pour
Fort-Crampel d’une très grande
négligence »,
Bangui, 25-9-1917 (CAOM, FP,
« Appréciations »).
[24] Fort-Crampel,
12-7-1917 (CAOM, FP,
« Appréciations »).
[25] « M. Maran,
extrêmement distrait, travaillant très lentement
et
très irrégulièrement, ne rend pas les
services qu’on serait en droit d’exiger
de lui. Tout ce qu’il fait doit être
vérifié soigneusement de telle sorte que
bien souvent on hésite à lui confier un travail
qui serait à refaire », Fort-Crampel,
20-2-1918 (CAOM, FP,
« Appréciations »).
[26] Fort-Crampel,
rapport de Bonneveau au Gouverneur de l’Oubangui-Chari,
10-6-1918 (CAOM, FP).
[27] Cette lettre manque
dans les documents conservés au CAOM, mais les allusions de
Lamblin, par qui
devait passer la correspondance, permettent d’en
connaître en partie le contenu
et le ton : « René Maran
affirme que son caractère est indomptable, qu’il
tient à la liberté de penser,
parler, écrire, se plaint de ses chefs qui ignorent la
civilité; qu’il ne peut
pas leur obéir, leurs commandements ayant l’allure
d’insulte »,
Bangui, lettre de Lamblin au Gouverneur général
de l’A.E.F., Frédéric
Estèbe,
15-7-1918 (CAOM FP, « Cabinet »
75c).
[28]
Ibid.
[29]
En octobre 1918, les
appréciations du Gouverneur Lamblin
s’étaient
encore durcies : « Agent faisant preuve du plus
mauvais
esprit.
Manque totalement de conscience professionnelle et montre constamment
de la
négligence et de l’indiscipline. Cherche
à
détruire l’effet des appréciations
défavorables dont il est l’objet de la part de ses
chefs
par des appréciations
malveillantes et haineuses et par des critiques violentes et
injustifiées.
L’administration ne pourra que gagner à ne plus
compter M.
Maran parmi son
personnel. Il sera prochainement l’objet d’une
proposition
pour une peine
disciplinaire », Bangui, 1-10-1918 (CAOM, FP,
« Appréciations »).
C’est à cette époque que, comme le
soilignait
Pierre Soumille, « le gouverneur se livre
à un
véritable
éreintement de René Maran qui
désormais commence
à se considérer victime d’une
cabale administrative » (Soumille, s.l.n.d).
[30] Brazzaville,
24-9-1919 (CAOM, DP, « Cabinet »
232c). Les raisons de la sanction
sont détaillées dans un rapport du Gouverneur
général de l’A.E.F. au Ministre
des colonies, en réponse à
l’intervention du député Candace en
défense de Maran
quelques mois plus tard.
[31] Lettre de Maran au
Gouverneur de l’Oubangui-Chari, 6-6-1918 (CAOM, FP, 697).
[32]
Bangui, lettre de
Maran au Gouverneur de l’Oubangui-Chari, 13-9-1918 (CAOM, FP,
131). Selon les
propos de Maran lui même plus tard, il aurait
plutôt
couvert un européen sous
ses ordres. Kotchy affirme dans ce sens: « Ses
adversaires
ne l’ont-ils pas d’ailleurs accusé
à tort du
meurtre du
porteur Mongo sachant pertinemment qu’il a
été
commis par Le Clech? »
Il cite Maran (sans référence):
« Cet
Européen était sous mes ordres. Sachant les
difficultés que nous avions à
vaincre, j’avais appris à mon compte ses erreurs
et ses
débordements » (Barthélemy
Kotchy, « Un Antillais et le monde africain noir:
René Maran »,
Négritude
Africaine, Négritude Caraïbe,
Paris : Éditions
de la Francité, 1973,
p. 51). Voir dans ce même sens la lettre de Maran
à
André Fraisse que je
reproduis dans le nº 14 de
Francofonía,
2005, pp. 11-13.
Ce texte est disponible en ligne à
l’adresse suivante :
http://redalyc.uaemex.mx/redalyc/src/inicio/ArtPdfRed.jsp?iCve=29501401
[33]
Maran est revenu en France en 1919, y restant pour des raisons de
santé
jusqu’en février 1921.
[34] Intervention de
Candace, adressée au Ministre des colonies, demandant une
enquête sur la
question. Paris, 27-8-1919 (CAOM, DP).
[35]
Paris, 18-10-1919 (CAOM, DP, 4797B). Cette question des documents sera
l’objet
d’une correspondance suivie entre le Ministère des
colonies et l’autorité
coloniale en Afrique.
[36] Réponse
d’Albert
Sarraut —Ministre des colonies entre 1920 et 1924—,
à Gratien Candace,
insistant sur l’inexistence des documents que Maran et
Candace disaient avoir
transmis. Paris, 10-5-1920 (CAOM, DP, 2799B).
[37]
Voir à ce sujet L.
Rubiales « Notes sur la réception du
Goncourt 1921 en
France », in
Francofonía,
nº 14, 2005, pp.
123-145.
L’article est consultable en ligne à
l’adresse suivante :
http://redalyc.uaemex.mx/redalyc/src/inicio/ArtPdfRed.jsp?iCve=29501409
&iCveNum=6033
[38]
Tel
était, semble-t-il, le cas d’un fonctionnaire
appelé Vendôme, censé être
l’auteur de crimes et d’abus contre la population
indigène dont l’affaire était
entre les mains de la justice à ce moment-là.
Ainsi
semble le confirmer un
courrier confidentiel envoyé par le Gouverneur
général de l’A.E.F., Victor
Augagneur, au Ministre des colonies, dans lequel il fait
référence à l’intervention
du Député Boisneuf, rappelant, en pleine
polémique
sur
Batouala,
la question des documents : « Les actes
reprochés à M. Vendôme (administrateur
de
1ère classe en service dans
l’Oubangui-Chari) pourraient en effet présenter
une
certaine connexité avec
ceux rapportés par M. Maran et il serait indispensable que
la
Justice, pour
être complètement éclairée,
ait connaissance
du dossier constitué par M. Maran
et dont le Département aurait pu être
saisi. »
Brazzaville, lettre
confidentielle du Gouverneur de l’A.E.F. au Ministre des
colonies, 19-8-1922
(CAOM, DP, 346c).
[39] Lettre à Mualdes, non
datée, reproduite par Boniface
Musoni,
op. cit.,
pp. 46-47. Effectivement,
en 1924, Maran publie un article dans
Les Continents,
« Ma
condamnation », dans lequel il accuse
l’administration d’avoir
dévié
l’affaire Mongo pour éviter que la
vérité sur les abus commis en A.E.F. voie le
jour : « L’affaire Mongo relevait
de la Cour d’Assises. On l’a
correctionnalisée justement parce que l’on a senti
que l’on avait d’autres moyens
de m’atteindre. En Cour d’Assises, il
m’aurait en effet été plus facile de
faire ressortir lumineusement toutes les responsabilités de
la haute
administration coloniale et des fonctionnaires, mes chefs,
qu’elle a couvert
comme j’ai couvert mon subordonné
européen » (15-11-1924 : 1-2).
Voir
supra
note 32.
[40] Manoël Gahisto,
op. cit., p.
101.
[41] Ibid.
[42] « [...]
poète
décadent très neurasthénique
qu’il faut secouer en lui faisant comprendre qu’il
est le seul soutien de ses deux jeunes frères,
qu’il a besoin de gagner sa vie,
d’être mieux considéré pour
gravir des grades, alors qu’il cultive ce genre
insouciant et désabusé qui ne peut que lui
attirer des mecomptes »,
« Note au sujet de M. Maran » le
Secrétaire Général du Gouverneur,
Bangui, 9-3-1917 (CAOM, FP).
[43] Je prépare
actuellement une étude qui tente de montrer le
parallélisme entre ces deux
écrivains.