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Désillusion et frustration : l'administration coloniale contre René Maran                                                                                                      
 Lourdes Rubiales / Université Cadix 
      
(Article publié dans Jean-François Durand / Jean-Marie Seillan / Jean Sévry (éds.) Le désenchantement colonial. Les Cahiers de la SIELEC, nº6, Paris/Pondichéry, Éditions Kailash, 2009, pp. 218-237.)
                                             
   En 1948 et à soixante et un ans, René Maran (1887-1960) se présente comme un homme désillusionné. En témoignent ses propos à René Violaines au sujet de Bacouya le cynocéphale (Albin Michel, 1953) :
[une] grande nouvelle où je condenserai de mon mieux ma philosophie de l’homme et de la vie. Elle sera, elle est amère et sans illusions.[1]
    Cette philosophie de la désillusion ne s’est pas pour autant forgée à la fin de sa vie puisque nous en décelons déjà les traces visibles dès ses premières fictions et même dans ses poèmes. Au risque de simplifier, on peut affirmer que la désillusion chez Maran découle de trois sources principales : la première se rapporte aux conditions de sa vie familiale ; la deuxième, à son expérience africaine comme fonctionnaire de l’administration coloniale ; la troisième, enfin, il faut la chercher dans les rapports de l’écrivain avec le monde des Lettres. Ces trois sources de désillusion ont en commun le fait de se rapporter aux institutions (familiale, coloniale et littéraire) qu’il perçoit comme des entités pervertissant les idées mêmes sur lesquelles elles s’appuient pour exister. Mais elles se rejoignent aussi par leur portée symbolique, comme on le verra.
   Les lignes qui suivent tenteront de déceler plus précisément les enjeux de la deuxième source de désillusion dans la vie de Maran : il s’agira ici d’analyser les rapports entre Maran et l’administration coloniale de l’A.E.F. entre 1909 et 1924, à travers les documents conservés dans son dossier personnel, consulté au Centre des Archives d’Outre-mer d’Aix-en-Provence[2]. Néanmoins, un retour préalable sur la période précédente s’avère nécessaire dans la mesure où la carrière coloniale de Maran est en quelque sorte l’aboutissement d’une série de circonstances qui ont marqué sa vie à Bordeaux de 1905 à 1909.
   Rappelons rapidement la situation de départ[3] : Maran appartenait à une famille guyanaise liée au fonctionnariat de Cayenne. Né —semble-t-il— en mer, lors de la traversée menant ses parents à la Martinique, où le père avait été affecté pour un poste dans l’administration de l’île, il a trois ans lorsque, à la suite d’une nouvelle mutation du père, les Maran partent pour le Gabon. À sept ans, Maran abandonne Libreville pour entrer au Petit Lycée de Talence qui sera le théâtre du drame de l’enfant, séparé précocement de sa famille. Le sentiment d’abandon, voire de trahison, ressenti au départ de façon aiguë, sera plus tard atténué par la conscience d’une indépendance intellectuelle que seule la libération des contraintes familiales a rendue possible. Je n’insisterai pas sur ces questions-là si ce n’est pour souligner que la fin de l’adolescence, marquée par l’arrivée de la mère sur Bordeaux, sera l’occasion d’une pénible réactualisation et aggravation de la question familiale dans la vie de Maran, sous la forme d’une autorité maternelle écrasante et méprisante envers le fils. Son échec au bachot, aurait-il traduit son refus de suivre la volonté familiale de faire de lui un avocat[4] ? Ce n’est pas improbable vu, d’une part, la répugnance qu’il montrait par rapport à ce métier et, d’une autre part, le caractère apparemment peu souple de la mère qui n’appréciait pas les égarements littéraires du jeune Maran. En agissant de la sorte, c’est-à-dire en renonçant à la compétition scolaire, Maran a en effet réussi à éviter le destin que lui réservait sa famille mais, du même coup, il a considérablement restreint le champ des possibles dans son horizon professionnel. Par ailleurs, je n’ai pas trouvé de trace d’une quelconque vocation coloniale de Maran préalable à son départ pour l’Afrique en 1909. Il y aurait intérêt à mieux connaître cette période, pour laquelle je n’ai malheureusement pas trouvé beaucoup de documents, puisque ces années ont été le témoin, simultanément, de l’incertitude de Maran par rapport à son avenir professionnel, d’une ambiance familiale étouffante et d’une déception amoureuse qui l’a —dit-on— durablement marqué. On sait à peine qu’il a pratiqué le sport de compétition à cette époque et qu’il a investi dans la littérature la plupart de ses efforts[5].
 
Maran en Afrique : les clés du conflit
  
   Voilà donc Maran parti pour l’Afrique à vingt-deux ans, sans trop d’enthousiasme mais sans trop de préjugés négatifs non plus et très probablement soulagé de pouvoir redevenir maître de son destin. De sa correspondance de l’époque, dans laquelle il raconte sa vie à son arrivé à Bangui, dans l’Oubangui-Chari, se dégage une sorte d’euphorie initiale qui n’est peut-être pas étrangère au soulagement dû à la fuite, mais qui montre tout de même les limites de la croyance généralement partagée selon laquelle Maran aurait éprouvé, à son arrivé en Afrique, un choc immédiat provoqué par l’expérience de la distance qui le séparait de ses « ancêtres », comme de celle que lui imposait une administration raciste. Il a été très souvent signalé, en effet, que Maran a subi en Afrique des comportements racistes, ce qui est avéré ; c’est d’ailleurs souvent la version que donne Maran lui-même de l’attitude de l’administration à son égard. Mais le racisme, qui s’est très nettement manifesté dans quelques incidents —dont la plupart, par ailleurs, se sont produits en dehors de l’administration—, n’explique pas tout dans le comportement de celle-ci envers le fonctionnaire. Il n’a constitué, en fait, qu’une de ses composantes. Certes, s’il avait été blanc, il aurait pu loger dans cet hôtel au Congo Belge où l’on n’acceptait pas des Noirs, et il aurait pu boire un verre dans ce café où on le lui avait refusé parce qu’une loi belge interdisait de servir de l’alcool aux Noirs. Mais s’il n’avait pas été défiant envers l’autorité ou, comme le disait un gouverneur, s’il n’avait pas eu un « caractère indomptable » ou cette fâcheuse « tendance à exagérer son importance », il est possible que les choses se fussent passées tout autrement pour lui en Afrique, tout noir qu’il était. En fin de compte, Maran n’a pas été le seul ni le premier fonctionnaire noir en Afrique mais, à ma connaissance, aucun n’a été aussi obstinément attentif envers la hiérarchie en vue de faire prévaloir ses droits. Ou, pour le dire autrement, le racisme n’a pas empêché son propre père d’occuper une position plus élevée que la sienne dans l’échelle du fonctionnariat ni son ami Félix Éboué —passé, lui, par l’École coloniale et entré dans la franc-maçonnerie— d’atteindre des positions nettement dominantes dans l’administration des colonies. Je voudrai insister sur le fait que Maran, manquant de diplômes, entre dans l’administration par « la petite porte»[6],  comme agent de police, puisque c’est cette situation de départ qui va rendre possible certaines attitudes de la hiérarchie à son égard.
 
Les appréciations...
  
   L’un des indices des rapports entre Maran et l’administration est constitué par les appréciations de ses supérieurs sur la conduite professionnelle du fonctionnaire. Ces appréciations sont passées certes par des hauts et des bas au cours de la période où Maran a servi dans l’administration, mais une vision d’ensemble permet tout de même d’observer une montée nette vers la crispation. Ainsi, pendant les premières années, l’avis sur Maran semble, en général —certaines réserves mises à part—, assez favorable, l’image qui se dégage de ces appréciations étant celle d’un jeune homme instruit, responsable et plein de volonté au travail quoique, naturellement, quelque peu immature et manquant d’expérience. Cet avis contraste avec les critiques sévères dont il sera l’objet ultérieurement même si, dès 1911, le Gouverneur Adam le décrit comme « un agent inégal, un peu fantaisiste»[7]. Il est possible d’expliquer cette irrégularité dans l’accomplissement de ses fonctions —à supposer qu’il y en ait eu— par son état de santé qui ne lui a pas toujours permis de les accomplir dans des conditions optimales. Autour de 1912, par exemple, raconte Charles Kunstler: « Étourdi par l’usage quotidien de la quinine, anémié par le climat, débilité, très las, il s’ennuyait, ne travaillait plus... »[8].
   Mais le ton de certaines critiques, surtout à partir de 1916, moment où la tension commence à monter, ne peut pas s’expliquer par un manque d’énergie qui serait dû à la maladie, à la fatigue ou à l’ennui[9]. Il est fort probable que le niveau d’empathie entre Maran et ses supérieurs —qui pouvait varier sensiblement selon les cas— ait déterminé son degré d’efficience et de zèle au travail, mais il a pu également déterminer, chez ses supérieurs, la bienveillance ou la sévérité des jugements portés sur le fonctionnaire. Le désaccord manifesté par les jugements de différents administrateurs, à peu près à la même époque, ou la persistance de la dépréciation chez quelques-uns, comme le gouverneur Adam, montrent ce qu’André Fraisse n’a pas hésité à qualifier de  « sorte de persécution intellectuelle » contre Maran qui, à son tour et comme réaction, « se ferme de plus en plus hostile »[10] :
[…] on a l’impression que les administrateurs qui le condamnent, conscients de son intelligence supérieure à la leur, mais orientée différemment, veulent l’obliger à abdiquer. Cette mesquinerie, cette inconsciente jalousie est à l’origine d’appréciations que l’on doit déjuger en raison même de leur violence. Nul ne doute qu’une façon plus souple de prendre le jeune fonctionnaire, manquant sans doute de souplesse lui-même, n’ait pourtant permis d’en obtenir une parfaite efficience[11].
   À l’analyse, les écrits émanant de l’administration contre Maran ainsi que ceux qu’a produits Maran lui-même, semblent refléter une dynamique sociale qui s’apparente beaucoup à cette persécution intellectuelle dont parle Fraisse et que j’appellerai, pour reprendre le terme actuel, harcèlement moral[12]. Quoi qu’il en soit, les incidents qui sont associés à la plupart de ces écrits et de ces jugements montrent l’existence d’un conflit orageux entre Maran et l’administration, conflit qui se termine quelque temps après l’affaire Batouala.
 
Chronologie d’un harcelement
  
   L’affaire Sampayo inaugure très tôt cette série d’incidents qui ont marqué la carrière coloniale de Maran :
   En 1910, un an après l’entrée en service du jeune homme, un incident s’est produit: un commerçant portugais, nommé Sampayo, régulièrement convoqué au Commissariat à propos d’un différend avec ses boys nègres, fait une scène violente au jeune fonctionnaire, et lui lance : « On voit bien que c’est par atavisme que vous les soutenez » et lui reproche de n’être pas civilisé[13].
   Devant ce fait, Maran n’a pas hésité à porter plainte contre le commerçant laquelle, bien que souscrite par le chef de circonscription, semble avoir éveillé un certain malaise au sein de la hiérarchie à l’égard de la susceptibilité du subalterne et, peut-être, de ses manières un peu trop guindées.
   Cependant, comme il a déjà été dit, les mésententes qui se sont produites dans ces premières années n’ont revêtu ni l’ampleur ni la radicalité des événements postérieurs. Entre 1915 et 1919, une série de conflits se sont produits qui peuvent être regroupés en trois périodes: 1) entre 1915 et 1916 Maran a été l’objet d’un comportement discriminatoire et raciste lors de son passage par le Congo Belge ; 2) de 1916 à 1917 Maran aura des frictions avec ses supérieurs à cause de sa gestion financière à Sibut ; 3) finalement, entre 1918 et 1919, Maran sera accusé de brutalité envers les indigènes lorsqu’il participait aux campagnes du Docteur Jamot contre la maladie du sommeil[14].
   1) En effet, le passage obligé par le Congo Belge, qui reliait l’A.E.F. à la mer, a été le théâtre de quelques incidents, difficiles à accepter pour le fonctionnaire français qu’était Maran. On lui a refusé le logement dans un hôtel, par exemple, parce qu’on n’y acceptait pas de Noirs. Maran fit part de l'incident au Gouverneur du Congo au moyen d'une lettre où il laissait voir son indignation: il s'offusquait de ce que les preuves montrant qu'il n'était pas un indigène et qu'il avait déjà logé dans ce même hôtel à une autre occasion n'avaient pas réussi à infléchir la décision de l'établissement. [15].
   La réaction de Maran ne s’est pas limitée à une simple protestation. Le député pour la Guadeloupe Gratien Candace a été également mis au courant et l’affaire est arrivée jusqu’au Ministre des colonies, Gaston Doumergue à l’époque, que Candace a incité à porter plainte auprès du Gouvernement belge pour dénoncer le fait. Dans une lettre de janvier 1916, après une enquête ordonnée par le Conseiller d’État et Ministre des Affaires Étrangères, celui-ci affirmait avoir exigé aux autorités belges que les fonctionnaires de passage par leur territoire « fussent traités de façon convenable, quelle que fût leur couleur »[16]. Or l’enquête a révélé que l’hôtel en question était géré par un citoyen français, un fonctionnaire « ancien agent consulaire de France à Matadi et administrateur de la compagnie du Haut Congo »[17]...
   Quelques mois plus tard, Maran se plaignait, dans une lettre adressée au Gouverneur Merlin, que, lors de son passage par Matadi (Congo Belge), en avril 1916, on ne lui avait pas permis de consommer de l’alcool dans un local public. Ce fait s’expliquait, d’après le consul français à Matadi, par l’application d’un texte de l’administration belge selon lequel la consommation d’alcool de plus de 8º était interdite « aux personnes de race africaine »[18]...
   2) La période suivante (1916-1917) a été marquée par l’affrontement direct avec la hiérarchie coloniale. À cette époque, Maran se trouvait à Sibut comme Agent spécial chargé de la comptabilité. Le fonctionnaire ne semblait pas trop apprécier cette tâche, raison pour laquelle des tensions sont rapidement survenues. Le Gouverneur de l’Oubangui-Chari, Leprince, à qui Maran s’était adressé directement sans respecter la voie hiérarchique, lui a rendu sa demande et, s’adressant au Chef de circonscription de Kemo (Sibut) par qui devait passer la correspondance, il ajoutait:
Je n’ai pas d’autre emploi à lui donner; s’il ne veut pas rester Agent spécial, qu’il démissionne ou s’il veut faire du sport comme il le prétend, qu’il demande à être mobilisé.[19]
   Si le sentiment patriotique avait éveillé son désir d’être mobilisé depuis le début de la guerre —il a effectivement demandé à plusieurs reprises d’être muté sans que sa demande soit acceptée—, à cette occasion, Maran a peut-être recherché une voie d’évasion à son inconfortable situation professionnelle.
   À cette époque, les rapports entre Maran et certains membres de la hiérarchie se caractérisaient déjà par une tension frôlant l’inimitié ou du moins, une manifeste antipathie. Pour en rester à l’essentiel, les nombreux quiproquos et les interminables querelles entre Maran et ses supérieurs répondaient, selon l’une des parties impliquées, à l’attitude arrogante et indisciplinée du fonctionnaire envers l’autorité et, selon l’autre, à la persécution injuste et intolérable dont il était l’objet de la part de ladite autorité[20]. En effet, le ton des écrits de Maran n’a pas été bien accueilli par certains supérieurs qui déploraient sa « tendance à exagérer son importance et à prendre des mesures intempestives et maladroites »[21]. Il n’est pas étonnant que le Gouverneur de l’Oubangui-Chari l’ait accusé de « susceptibilité exagérée » : outre le caractère intransigeant et pointilleux de Maran lui-même, qui manifestement crispait la hiérarchie, il est évident que l’administration ne voyait pas d’un bon œil un fonctionnaire insoumis et obstiné à refuser les petits arrangements, étrangers à la haute politique coloniale mais pratiques pour maintenir l’équilibre entre les acteurs locaux de la colonisation. Pour d’aucuns, Maran était simplement « un irrégulier de la vie qui ne souffre pas d’être commandé »[22].
   3) Entre 1917 et 1919, la trame se complique. Lamblin, Gouverneur de l’Oubangui-Chari, avait émis un rapport négatif sur Maran —ce qui mettait des entraves à sa promotion—[23], des mois après que ce dernier eut occupé un nouveau poste à Fort-Crampel en mai 1917, et que le nouveau Chef de circonscription, Baudon, eut montré sa satisfaction pour les services rendus par le fonctionnaire. Selon Baudon, Maran accomplissait ses fonctions de façon satisfaisante quoique, à cause de son caractère distrait, son travail dût être entièrement révisé[24]. Que Maran ait changé ou non son attitude après les dures critiques de Lamblin, le fait est que Baudon n’a pas tardé à partager l’avis du Gouverneur, comme le montrent ses appréciations postérieures[25].
   En février 1918, Maran fut chargé d’accompagner le Docteur Jamot dans une campagne prophylactique contre la maladie du sommeil menée dans la circonscription de Kemo-Gribingui. Jamot y Maran ont été accusés d’utiliser la manière forte contre les indigènes lors des rassemblements des villages, accusations dont Maran s’est défendu par écrit devant le Chef de circonscription. Suite à ces accusations, en juin 1918, l’Adjoint Bonneveau transcrit le témoignage de Doungouyolo, chef d’un village banda, qui aurait dénoncé la manière dont Maran administrait des gifles et des coups de poings aux indigènes tandis que son boy aurait frappé une femme enceinte « parce qu’elle n’avait pas répondu assez vite à l’appel de son nom »[26]. Préalablement au témoignage de Doungouyolo, Maran s’était adressé au Gouverneur général de l’A.E.F. pour protester contre ces accusations et pour offrir sa version de ce qui s’était passé entre Jamot et Baudon[27]. Dans cette missive, Maran avait reconnu, selon Lamblin, avoir maltraité plusieurs porteurs qui l’avaient traité de boy, et avait émis une série de « commentaires intolérables » et d’« allusions désobligeantes et haineuses » contre son chef Baudon ce qui, ajouté à une révision du dossier conflictuel du fonctionnaire, amena le Gouverneur à la conclusion suivante :
  il me semble que la seule solution est qu’il soit invité à aller chercher ailleurs, hors de l’Administration coloniale, d’autres chefs auxquels il lui répugnera moins d’obéir. Conserver un agent dont la valeur est nulle, qui ne se distingue que par sa suffisance et son incapacité; dont l’orgueil est indomptable et ne lui permet pas d’obéir; qui ne fait usage des ses facultés que pour critiquer ses chefs, enfin qui ne peut être qu’une charge pour la Colonie, serait infiniment regrettable[28].
  Suite au rapport de Lamblin, le Gouverneur général manifesta sa certitude qu’il y avait des motifs suffisants pour imposer un blâme disciplinaire au fonctionnaire, ce qui devait arriver en décembre de cette même année[29] « pour négligence dans son service et actes d’incorrection et d’indiscipline vis-à-vis de ses supérieurs »[30].
   L’accusation de Doungouyolo, cependant, ne peut pas se comprendre sans tenir compte du contexte des tensions qui n’ont pas tardé à se produire entre Maran, Agent spécial à Fort-Crampel, Baudon, Chef de circonscription de la Kemo-Gribingui et Bonneveau, son adjoint. Une altercation entre Maran et un distributeur de viande appelé Cheffou, qui l’accusait de l’avoir intimidé, a déclenché un affrontement qui a provoqué à son tour une abondante correspondance officielle entre les acteurs du conflit et l’autorité de Brazzaville. Dans sa défense, Maran expliquait que Baudon s’était adressé à lui devant les indigènes, « comme on n’engueule pas un boy »[31] et se plaignait de l’attitude méprisante affichée par ses supérieurs immédiats à son égard. Le récit de Doungouyolo, minutieusement consigné par Bonneveau, semble n’avoir eu d’autre but que celui d’appuyer la position de Baudon et Bonneveau contre les accusations de Maran.
   Mais dans le récit de Doungouyolo, un fâcheux détail, si l’on peu dire, s’était glissé, qui allait être l’objet d’une enquête supplémentaire. Une nouvelle accusation retombait sur Maran à cause d’une série d’événements survenus avant la campagne de Jamot, selon lesquels, un indigène serait mort en novembre de 1917 à cause des coups que Maran lui aurait administrés. Maran s’est défendu de ces accusations dans une lettre au Gouverneur où il donnait sa version des faits. Selon cette version, la mort de Mongo aurait été due aux effets du soleil et à l’épuisement causé par les charges excessives imposées aux porteurs. Il ajoutait, en outre, qu’il avait déjà eu connaissance d’autres morts dont les causes étaient à trouver dans « un portage intensif sur la nécessité, l’utilité et la portée duquel notre attention avait été tirée de façon toute spéciale et pour lequel on avait fait appel à notre esprit d’initiative, notre zèle, notre activité et notre dévouement »[32]. Constituant une attaque plutôt qu’une défense, l’explication de Maran n’a pas contribué à aplanir les tensions entre le fonctionnaire et l’administration dont les rapports, au contraire, commençaient à se durcir. Quoi qu’il en soit, l’enquête a débouché sur un procès concluant à la responsabilité de Maran, condamné finalement par le tribunal de première instance de Bangui à 50 francs d’amende avec sursis, le 26 juin 1919[33]. À la suite de ce procès, Maran s’est à nouveau adressé à Gratien Candace pour se plaindre des actions judiciaires menées contre lui, et pour attirer son attention
sur les agissements d’un grand nombre d’administrateurs coloniaux à l’égard des indigènes et même des fonctionnaires de race noire qu’ils traitent avec un mépris absolu de la dignité humaine ou un parti pris voulu de diminuer l’autorité attachée à leurs fonctions. [34]
    Les accusations de Maran s’appuyaient, semble-t-il, sur une série de documents que le député affirmait joindre à son intervention. Mais Henri Simon —Ministre des colonies entre 1917 et 1920— déclarait un peu plus tard n’avoir point reçu de document joint à ladite intervention[35]. La question fut résolue provisoirement par le rejet de la demande qui, selon le Ministre, manquait de fondement[36]. Or cette affaire s’est ravivée à la suite de l’attribution du prix Goncourt en 1921 à Batouala, texte que l’administration n’a manifestement pas apprécié. J’ai analysé ailleurs les connexions entre ces deux affaires, l’affaire Maran et l’affaire Batouala, sur lesquelles je ne reviendrai pas ici[37]. Il faut tout de même en retenir que, du fait de la célébrité que le Goncourt a procuré à Maran, les documents perdus sont devenus l’épée de Damoclès pour l’administration qui spéculait sur leur contenu et sur leur possible relation avec quelque scandale de l’administration française en A.E.F.[38]. Le lien entre l’affaire Maran et l’affaire Batouala a eu pour effet une scission au sein de l’autorité, entre ceux qui travaillaient à la disqualification publique du fonctionnaire et ceux qui, au contraire, préféraient suivre la consigne du silence. Or cette consigne a nui à la possibilité d’une défense de Maran contre les accusations qu’il subissait pour l’affaire Mongo, défense qu’il avait demandé de pouvoir soutenir à Paris et qu’Albert Sarraut, alors Ministre des colonies, lui aurait refusée :
  Je me cache si peu de ce que l’on me reproche, que c’est pour déclencher une enquête que j’ai écrit la préface de Batouala. En 1921-1922, une mission d’inspection séjournait à Fort-Archambault, poste qui est sis à 130 km de Fort-Crampel. En ce moment-là, la campagne contre Batouala battait son plein. Des journaux comme Le Temps, des revues comme La Renaissance me jetaient à plein nez la mort de Mongo. J’avais demandé à rentrer en France pour venir me défendre. Par l’intermédiaire de M. Gratien Candace, député de la Guadeloupe ―j’ai cette lettre en ma possession― Monsieur Albert Sarraut, ministre des colonies, refusa de m’accorder cette permission. Bien plus, et j’ai la conviction que les renseignements qu’on m’a donnés à ce sujet sont exacts, ordre fut donné à la mission d’inspection de se refuser de déférer aux demandes d’enquête que je pouvais formuler.[39]
   La carrière coloniale de Maran se poursuit, après Batouala, par de nouvelles mésententes, dues au retour irrégulier par le Nigeria —le fonctionnaire se disant menacé de mort—, ce qui a encore une fois exaspéré l’autorité qui interprétait cette menace comme un nouveau produit de sa fantaisie.
 
En guise de conclusion
  
   Revenons donc à la désillusion. On ne peut pas ignorer la désillusion politique chez Maran à la suite de son expérience coloniale. Cette désillusion, il l’a très fréquemment exprimée en recourant au motif de la double France : celle, abstraite et positive, des principes de la Révolution qui avait soutenu et légitimé l’expansion, et celle, concrète et néfaste, de la pratique coloniale. La « nouvelle politique indigène », défendue dans l’après-guerre par les principaux théoriciens de la colonisation, a été perçue par la plupart des colonisés à l’époque comme le renoncement officiel à la première et la légitimation de la deuxième et, dans ce sens, la position de Maran rejoint celle majoritairement partagée par les colonisés de l’après-guerre telle qu’elle a été exprimée dans le Libéré, l’Action coloniale ou les Continents. Comme l’écrivait le dahoméen Kojo Tovalou dans le nº 5 des Continents :
Le programme colonial est donc le suivant : pas d’instruction, pas de liberté civile, économique, politique, la condamnation de toute la race noire aux travaux forcés, comme justice, la loi du vainqueur : le fouet. Maintien des coutumes pour arrêter et figer toute évolution. L’enseignement du français considéré comme un crime. Quand je vous dis que ces messieurs du ministère des Colonies et de l’Éducation coloniale font une œuvre anti-française. (p. 1)
   Mais l’expérience africaine de Maran est intéressante pour d’autres questions qu’il convient de rappeler ici pour mieux saisir cette figure controversée et cette personnalité complexe. Comme je le disais au début, les proches de Maran, surtout après la mort du père en 1910, n’accueillaient pas bien les penchants littéraires de l’aîné, car « dans sa famille on n’aimait pas les livres »[40]. De ce fait,
on lui reprochait d’égarer vers la poésie son temps, ses prédilections, son argent de poche. On lui déniait le sens commun, on lui contestait toute influence, on écartait narquoisement ou sournoisement ses avis. Sa lucidité, son expérience lui faisaient apercevoir immédiatement la cruelle ironie de cette situation de  chef de famille exploité et sans autorité[41].
   Si l’on tient compte du fait que l’un de ses supérieurs l’ait traité de « poète décadent, très neurasthénique » qui, par ses activités littéraires, éludait sa responsabilité envers sa famille[42], on peut deviner la portée de la désillusion coloniale de Maran pour qui la Mère-Patrie n’a pas constitué un substitut positif de la mère biologique. Un élément semble crucial dans la situation de Maran en Afrique : le fait que son capital social soit extrêmement faible par rapport à son capital culturel. Il a ressenti en effet très tôt le décalage douloureux entre celui-ci et son rang subalterne au sein d’une administration qui a voulu finalement l’écraser. La hiérarchie, de son côté, a trouvé insupportable le manque d’adéquation entre, d’une part, l’attitude et les manières, surtout écrites, du fonctionnaire et, d’autre part, la position occupée par celui-ci dans l’échelle professionnelle et sociale. Par ailleurs, le capital symbolique qu’aurait pu lui procurer la publication à Paris de ses deux premiers livres de poèmes en 1909 et en 1912 non seulement ne lui a pas constitué un capital utilisable dans les colonies : bien au contraire, sa qualité de poète lui fut reprochée explicitement ou implicitement comme provenant d’une attitude non conforme à sa position et traduisant, à la limite, des prétentions illégitimes ou inappropriées. En Afrique, donc, les blessures infligées à son amour-propre se sont ajoutées à une personnalité déjà fragilisée mais pas du tout encline à abdiquer.
   On est en droit de se demander comment Maran a pu, dans ces conditions professionnelles et psychologiques, produire une infatigable correspondance officielle pour assurer la défense de ses droits et poursuivre en même temps une carrière littéraire qui dépendait à son tour d’une formidable correspondance avec des écrivains de la métropole. Le premier fait est explicable par le refus de Maran de s’accommoder d’une position de soumission que la hiérarchie exigeait d’un subalterne, « nègre » de surcroît. Le deuxième provient de la certitude que ce n’était tout de même pas dans ce domaine-là qu’il voulait régner, pour reprendre le terme d’André Suarès (1868-1948), écrivain dont on peut rapprocher Maran à bien des égards et notamment, pour ce qui nous concerne ici, dans leur commune considération de la langue comme patrie[43]. L’investissement intellectuel de Maran en Afrique, malgré la fatigue et les humiliations dont il fut victime, montre en effet à quel point il croyait à la possibilité que son talent soit reconnu par des instances supérieures, idéales, étrangères aux mesquineries et aux bassesses de l’administration. Or il allait bientôt découvrir que le moyen de parvenir en littérature n’était pas très dissemblable de celui qu’il fallait adopter pour parvenir dans l’administration. Celle-ci sera, par ailleurs, la dernière en date et la plus amère des illusions perdues de René Maran.   


Notes
[1] Lettre du 29-3-1948, reproduite par René Violaines, « Mon ami René Maran », in Hommage à René Maran, Paris : Présence Africaine, p. 28.
[2] Je me rapporterai notamment à deux dossiers conservés au Centre des Archives d’Outre-mer (Aix-en-Provence) : Fonds Ministériel, EE II 6175, dossier 35 et Papiers Fraisse, FP, 8 APOM 4. Le premier est constitué des lettres et des pièces administratives concernant la période coloniale de Maran ; le deuxième contient des documents d’archives concernant la même période qu’André Fraisse, secrétaire général du gouverneur général à Brazzaville, à sauvé des termites en 1952. Ces dossiers seront cités désormais comme CAOM DP et CAOM FP respectivement. Je remercie encore une fois feu M. Pierre Soumille de m’avoir facilité la consultation de ces documents.
[3] Outre les documents cités en note 2, les sources documentaires utilisées pour l’étude de la situation familiale de Maran se rapportent à la correspondance de l’écrivain reproduite, certes de façon lacunaire, dans le collectif Hommage à René Maran, Paris : Présence Africaine, 1965 ; dans la préface de Léon Bocquet à Le Petit Roi de Chimérie, Paris : Albin Michel, 1924 ; et dans le mémoire de Boniface Musoni René Maran et son œuvre, Université de Louvain, 1962. Je tiendrai compte également de ses deux romans d’inspiration autobiographique Le cœur serré, Paris : Albin Michel, 1931 et Un homme pareil aux autres Paris, Albin Michel, 1947. Sur le caractère autobiographique : de ces romans, voir L. Rubiales, « René Maran et l’écriture du Moi » in L’autobiographie dans l’espace francophone. II. L’Afrique, I. Díaz (éd.), Cádiz :  Servicio de publicaciones de la UCA, 2005, pp. 53-83.
[4] L’hypothèse que Maran serait passé par la faculté de Droit, suggérée par René Violaines (op. cit. : 15) ou Madeleine Carbet (« René Maran », Hommes et Destins, t. II, vol. 2, Paris : Académie des Sciences d’Outre-Mer, 1977, p. 304) est intenable à la lumière du rapport de la Préfecture de la Gironde selon lequel Maran n’aurait passé que la première partie du baccalauréat « latin-langues », mention « passable » (CAOM DP). Dans Le cœur serré, la mère du héros annonce à la fin du récit : « Jo fera son Droit [...] Je crois qu’il a tout ce qu’il faut pour devenir un excellent avocat » (p. 229). Mais la réponse de celui-ci permet de mettre en question ses dispositions à l’égard de la volonté maternelle: « D’abord, j’ai le mensonge en horreur [...]. Ensuite, c’est bien simple: j’ai horreur des bavards et des bavardages. Alors, tu vois ça d’ici, l’avocat Georges Lindre ? » (Ibid.).
[5] J’ai analysé les débuts littéraires de l’écrivain dans ma thèse encore inédite : René Maran o la emergencia de un escritor en el contexto colonial y negro-africano francófono,  Universidad de Cadiz.
[6] Charles Bareilley, « Souvenirs », in Hommage à René Maran, op. cit., p. 234.
[7] Bangui, 15-5-1911 (CAOM, FP).
[8] Charles Kunstler, « Le cœur, l’esprit et la raison », in Hommage à René Maran, op. cit., p. 47.
[9] Depuis Grimari, Maran écrivait : « Je m’ennuie désespérément », lettre du 7-7-1913, reproduite par Manoël Gahisto, « La genèse de Batouala », in Hommage à René Maran, op. cit., p. 125.
[10] André Fraisse, « René Maran », in Hommage à René Maran, op. cit., p. 274.
[11] Ibid.
[12] Voir, entre autres, A. Biheran,  Le harcelèment moral, Paris : Armand Colin, 2006.
[13] Id. : 272-273.
[14] Je reprends la périodisation établie par Pierre Soumille dans son article inédit « À travers les archives. Quelques aspects de la carrière de Maran avant et après Batouala » (s.l.n.d.), qui a constitué sa contribution à la « Journée des littératures coloniales », Paris, CEA-EHESS, 16 octobre 2000.
[15] Thysville (Congo Belge), lettre de Maran au Gouverneur du Congo à Brazzaville, 25-6-1915 (CAOM, FP).
[16] Paris, lettre du Conseiller d’État et Ministre d’Affaires Étrangères au Ministre des colonies, 6-1-1916, (CAOM, FP).
[17] Ibid.
[18] Ainsi qu’on peut le lire dans la lettre du Gouverneur général de A.E.F. au Ministre des colonies, Brazzaville, ?-?-1916 (CAOM, FP, 235c). Le document est rongé par les termites.
[19] Bangui, 26-2-1917 (CAOM, FP, 24c).
[20] Un détail peut donner une idée de l’extrême sensibilité que montraient les deux parties devant le moindre des incidents: le Chef de circonscription, De Kermadec, demandait dans un télégramme au Gouverneur à Bangui « si la signature de l’agent spécial de Sibut peut se réduire à une simple lettre initiale M ainsi que le fait Maran sur les pièces officielles », Bangui, 8-3-1917 (CAOM, FP, 9c), ce que la hiérarchie a considéré comme une preuve de mauvaise foi de la part du fonctionnaire. Pour sa part, celui-ci se plaignait auprès du Gouverneur du refus du dit Chef de circonscription de reconnaître la valeur des documents où sa signature apparaissait, simplement abrégée, ajoutant qu’il s’agissait là d’une « question ridicule ».
[21] Le Chef de circonscription De Kermadec, Fort Sibut, 30-11-1916 (CAOM, FP, « Appréciations »).
[22] Sibut, « Note » de De Kermadec, 8-3-1917 (CAOM, DP, 10c).
[23] « M. Maran est un agent inégal, d’une susceptibilité exagérée et manquant souvent d’esprit de discipline. Il a fait preuve dans les fonctions d’Agent Spécial dont il était chargé à Fort-Sibut avant d’être désigné pour Fort-Crampel d’une très grande négligence », Bangui, 25-9-1917 (CAOM, FP, « Appréciations »).
[24] Fort-Crampel, 12-7-1917 (CAOM, FP, « Appréciations »).
[25] « M. Maran, extrêmement distrait, travaillant très lentement et très irrégulièrement, ne rend pas les services qu’on serait en droit d’exiger de lui. Tout ce qu’il fait doit être vérifié soigneusement de telle sorte que bien souvent on hésite à lui confier un travail qui serait à refaire », Fort-Crampel, 20-2-1918 (CAOM, FP, « Appréciations »).
[26] Fort-Crampel, rapport de Bonneveau au Gouverneur de l’Oubangui-Chari, 10-6-1918 (CAOM, FP).
[27] Cette lettre manque dans les documents conservés au CAOM, mais les allusions de Lamblin, par qui devait passer la correspondance, permettent d’en connaître en partie le contenu et le ton : « René Maran affirme que son caractère est indomptable, qu’il tient à la liberté de penser, parler, écrire, se plaint de ses chefs qui ignorent la civilité; qu’il ne peut pas leur obéir, leurs commandements ayant l’allure d’insulte », Bangui, lettre de Lamblin au Gouverneur général de l’A.E.F., Frédéric Estèbe, 15-7-1918 (CAOM  FP, « Cabinet » 75c).
[28] Ibid.
[29] En octobre 1918, les appréciations du Gouverneur Lamblin s’étaient encore durcies : « Agent faisant preuve du plus mauvais esprit. Manque totalement de conscience professionnelle et montre constamment de la négligence et de l’indiscipline. Cherche à détruire l’effet des appréciations défavorables dont il est l’objet de la part de ses chefs par des appréciations malveillantes et haineuses et par des critiques violentes et injustifiées. L’administration ne pourra que gagner à ne plus compter M. Maran parmi son personnel. Il sera prochainement l’objet d’une proposition pour une peine disciplinaire », Bangui, 1-10-1918 (CAOM, FP, « Appréciations »). C’est à cette époque que, comme le soilignait Pierre Soumille, « le gouverneur se livre à un véritable éreintement de René Maran qui désormais commence à se considérer victime d’une cabale administrative » (Soumille, s.l.n.d).
[30] Brazzaville, 24-9-1919 (CAOM, DP, « Cabinet » 232c). Les raisons de la sanction sont détaillées dans un rapport du Gouverneur général de l’A.E.F. au Ministre des colonies, en réponse à l’intervention du député Candace en défense de Maran quelques mois plus tard.
[31] Lettre de Maran au Gouverneur de l’Oubangui-Chari, 6-6-1918 (CAOM, FP, 697).
[32] Bangui, lettre de Maran au Gouverneur de l’Oubangui-Chari, 13-9-1918 (CAOM, FP, 131). Selon les propos de Maran lui même plus tard, il aurait plutôt couvert un européen sous ses ordres. Kotchy affirme dans ce sens: « Ses adversaires ne l’ont-ils pas d’ailleurs accusé à tort du meurtre du porteur Mongo sachant pertinemment qu’il a été commis par Le Clech? » Il cite Maran (sans référence): « Cet Européen était sous mes ordres. Sachant les difficultés que nous avions à vaincre, j’avais appris à mon compte ses erreurs et ses débordements » (Barthélemy Kotchy, « Un Antillais et le monde africain noir: René Maran », Négritude Africaine, Négritude Caraïbe, Paris : Éditions de la Francité, 1973, p. 51). Voir dans ce même sens la lettre de Maran à André Fraisse que je reproduis dans le nº 14 de Francofonía, 2005, pp. 11-13.
Ce texte est disponible en ligne à l’adresse suivante :
http://redalyc.uaemex.mx/redalyc/src/inicio/ArtPdfRed.jsp?iCve=29501401
[33] Maran est revenu en France en 1919, y restant pour des raisons de santé jusqu’en février 1921.
[34] Intervention de Candace, adressée au Ministre des colonies, demandant une enquête sur la question. Paris, 27-8-1919 (CAOM, DP).
[35] Paris, 18-10-1919 (CAOM, DP, 4797B). Cette question des documents sera l’objet d’une correspondance suivie entre le Ministère des colonies et l’autorité coloniale en Afrique.
[36] Réponse d’Albert Sarraut —Ministre des colonies entre 1920 et 1924—, à Gratien Candace, insistant sur l’inexistence des documents que Maran et Candace disaient avoir transmis. Paris, 10-5-1920 (CAOM, DP, 2799B).
[37] Voir à ce sujet L. Rubiales « Notes sur la réception du Goncourt 1921 en France », in Francofonía, nº 14, 2005, pp. 123-145.
L’article est consultable en ligne à l’adresse suivante :
http://redalyc.uaemex.mx/redalyc/src/inicio/ArtPdfRed.jsp?iCve=29501409
&iCveNum=6033
[38] Tel était, semble-t-il, le cas d’un fonctionnaire appelé Vendôme, censé être l’auteur de crimes et d’abus contre la population indigène dont l’affaire était entre les mains de la justice à ce moment-là. Ainsi semble le confirmer un courrier confidentiel envoyé par le Gouverneur général de l’A.E.F., Victor Augagneur, au Ministre des colonies, dans lequel il fait référence à l’intervention du Député Boisneuf, rappelant, en pleine polémique sur Batouala, la question des documents : « Les actes reprochés à M. Vendôme (administrateur de 1ère classe en service dans l’Oubangui-Chari) pourraient en effet présenter une certaine connexité avec ceux rapportés par M. Maran et il serait indispensable que la Justice, pour être complètement éclairée, ait connaissance du dossier constitué par M. Maran et dont le Département aurait pu être saisi. » Brazzaville, lettre confidentielle du Gouverneur de l’A.E.F. au Ministre des colonies, 19-8-1922 (CAOM, DP, 346c).
[39] Lettre à Mualdes, non datée, reproduite par Boniface Musoni, op. cit., pp. 46-47. Effectivement, en 1924, Maran publie un article dans Les Continents, « Ma condamnation », dans lequel il accuse l’administration d’avoir dévié l’affaire Mongo pour éviter que la vérité sur les abus commis en A.E.F. voie le jour : « L’affaire Mongo relevait de la Cour d’Assises. On l’a correctionnalisée justement parce que l’on a senti que l’on avait d’autres moyens de m’atteindre. En Cour d’Assises, il m’aurait en effet été plus facile de faire ressortir lumineusement toutes les responsabilités de la haute administration coloniale et des fonctionnaires, mes chefs, qu’elle a couvert comme j’ai couvert mon subordonné européen » (15-11-1924 : 1-2). Voir supra note 32.
[40] Manoël Gahisto, op. cit., p. 101.
[41] Ibid.
[42] « [...] poète décadent très neurasthénique qu’il faut secouer en lui faisant comprendre qu’il est le seul soutien de ses deux jeunes frères, qu’il a besoin de gagner sa vie, d’être mieux considéré pour gravir des grades, alors qu’il cultive ce genre insouciant et désabusé qui ne peut que lui attirer des mecomptes », « Note au sujet de M. Maran » le Secrétaire Général du Gouverneur, Bangui, 9-3-1917 (CAOM, FP).
[43] Je prépare actuellement une étude qui tente de montrer le parallélisme entre ces deux écrivains. 
                               
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