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Conrad, « Au Cœur des ténèbres », ou la question coloniale          Jean Sévry , Université de Montpellier III                                                [1/6                                                                  
      Quelle vie étonnante que celle de Joseph Conrad ! Elle se divise en deux parties qui ne vont cesser d’échanger entre elles. De 1874 à 1896, il parcourt mers et océans, à savoir la Méditerranée, l’océan indien, le Pacifique, navigue dans les Antilles, à Java, etc… 1884 est pour lui une date importante, car c‘est alors qu’il devient un citoyen anglais et se voit attribuer le Brevet de Maître de la marine marchande, diplôme qui lui permet de commander à bord, ce dont il a toujours été très fier et qui est plus important qu’il n’y paraît , comme nous le verrons par la suite [1] . Après quoi il va se lancer dans la littérature, une vie venant puiser dans l’autre, et en pratiquant alors une sorte de navigation linguistique, ce Polonais qui maîtrisait également le français utilise l’anglais comme moyen d’expression, avec une dextérité qui vous laisse pantois.
   Comment a-t-il pu s’intéresser à l’Afrique noire et au phénomène colonial ?  On rapporte qu’enfant, il avait déclaré en posant son doigt sur un espace encore non exploré d’une carte de l’Afrique : « Quand je serai grand, j’irai là-bas ! ». C’est effectivement ce qui s’est produit en 1890. A Bordeaux, il monte à bord de « La ville de Maccésio ». Le 13 juin 1890, il débarque à Matadi et une marche des plus éprouvantes l’amène le 1° août à Kinshasa, où il va rejoindre son poste. Il doit remonter le Congo en tant que commandant en second du « Roi des Belges », pour récupérer un agent commercial à la réputation sulfureuse, un certain G.A.Klein, qui mourra à bord lors du voyage de retour. On reconnaît ici l’origine très probable du personnage de Kurtz dans Heart of Darkness, l’un de ses livres majeurs paru en 1902 : c’est son sixième roman. Un autre récit traite de l’Afrique et de la question coloniale, une nouvelle intitulée « An Outpost of Progress » (1897) que nous examinerons un  peu plus loin.
Heart of Darkness (Au cœur des Ténèbres) a connu un succès prodigieux. Mais il a eu droit aussi à des critiques très virulentes de la part  d’un écrivain africain, Chinua Achebe, dans un article intitulé « An Image of Africa : Racism in Conrad’s Heart of Darkness » [2]. Comme le titre l’indique bien , Achebe n’est pas tendre avec Conrad, puisqu’il lui reproche de manifester son racisme en ne présentant au lecteur qu’une Afrique sombre et encombrée de sorcellerie, une Afrique qui ne donne naissance à aucun personnage en faisant sombrer tous ses protagonistes dans l’anonymat le plus obscur. Ce ne sont que sauvages aux mouvements désordonnés ou incohérents. Ce point de vue, même s’il est discutable, mérite que l’on s’y attarde. L’œuvre de Chinua Achebe, l’un des pionniers de ces nouvelles écritures, se situe comme une réaction aux images de l’Afrique données aux lecteurs occidentaux par les littératures de l’ère coloniale de cette période. Achebe réagira tout aussi fortement au Mister Johnson de Joyce Cary (1939), paru plus tard. Et l’on peut même aller jusqu’à dire que ce sont ces réactions aux productions européennes qui sont en partie à l’origine des littératures africaines.       


[1] Lettre de Conrad, du 28 nov.1889, retrouvée par son traducteur G.J.Aubry : « Je suis prêt à produire des copies des certificats signés par les capitaines et armateurs qui m’ont employé pendant mes 15 ans de service sur mer, témoignant de mon habileté en matière du métier, et de ma bonne conduite en général ». In Le Mercure de France, Paris, 15 octobre 1925, p 27.
[2] In Hopes & Impediments, Selected Essays, New York, Doubleday, Anchor Books, 1990.
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