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Islam et occidentalisation dans l'autofiction d'Isabelle Eberhardt
                                                                                                                 [2/ 17]

    La volonté d'Eberhardt est de « vivre libre, sans attaches, comme le vagabond mais aussi comme l'écrivain libre d'inventer un monde»[1] Mais, n'ayant pas d'attaches, elle s'attache à tour avec des sentiments aussi forts qu'éphémères. Dans sa vie remplie de contradictions, elle cherche en même temps que la liberté et l'auto­nomie absolues, l'abandon total à Dieu. Quel Dieu ? Elle le retrouve dans l'islam ésotérique [2]  mais aussi dans les marges et les ténèbres de l'esprit humain. Le Dieu d'Eberhardt égale tout ce qui touche aux limites du possible, ce qui tend vers un absolu lointain, que l'on saisit dans de brefs moments d'extase et de transcendance.
   Eberhardt a besoin d'écrire, de raconter ses expériences, d'éla­borer ses contradictions et ses confusions intérieures, mais aussi d'agir dans le monde. Ce n'est pas assez d'embrasser l'islam dans sa vie ; elle cherche aussi, à travers ses écrits, à promouvoir l'islam chez les Européens. Elle propose ainsi un lien entre l'Occident et l'Orient qui s'oppose à la domination coloniale. Détournant l'idée du « white man's burden », Eberhardt voit dans l'islam un dernier recours pour sauver (civiliser ?) une Europe atteinte d'un vide cancéreux. Globalement, Eberhardt critique le pouvoir corrupteur de la civilisation occidentale sur l'Orient. Au niveau personnel, elle rejette l'Occident, qui ne correspond pas à sa nature portée à la dévotion. Ce qui motive Eberhardt, c'est une croyance très profonde en la vie dans ses extrêmes : un désir de tout connaître et tout saisir, vivant pleinement la condition humaine.
   En contemplant sa mort, Eberhardt écrit qu'elle veut être enterrée « dans le sable brûlé du désert, loin des banalités profanatrices de l'Occident envahisseur »[3]. Dès sa jeunesse, elle rêve de l'Orient, symbole d'un bonheur qui réside dans un ailleurs lointain. Eberhardt voit dans le colonialisme une médiocrité moderne de l'Europe qui piétine un Orient caractérisé autant par sa quête spiri­tuelle de l'absolu que par sa volupté sacrée. L'Europe, par contre, est un continent que [...J les hommes sont en train de transformer en une vaste usine, avant d'en faire une terre de désespoir [...] [4]. Dieu est remplacé par la machine ; beauté et transcendance sont éclipsées par la quête de profit et d'efficacité.

Notes
[1] Ibid., p. 12, présentation.
[2] islam ésotérique, appelé également soufisme, existe depuis le début de l'islam. Il est considéré comme le noyau caché de l'islam, destiné aux initiés. Puisque seule existe l'unité divine, ces initiés, se jugeant eux-mêmes en Dieu, peuvent même être acquittés des devoirs de l'islam exotérique destiné aux masses.
[3]
Isabelle Eberhardt, Notes de route : Maroc-Algérie-Tunisie, Actes Sud, 1998, p. 94.
[4] Isabelle Eberhardt, Rakhil: roman inédit, présenté par Danièle Masse, La Boire à Documents, p. 27. Ce livre comprend deux versions du roman. Cette citation vient de la première version, de l’autofiction, dans laquelle le protagoniste, Mahmoud, est manifestement Eberhardt/Mahmoud Saadi.
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