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René Euloge entre tradition berbère et modernité coloniale  [2/8] 
Gérard Chalaye    
 

éléments constitutifs de cet univers[1]. C’est dans cette optique qu’il faut appréhender la violence extrême de phrases de ce type : « Les populations de la montagne protesteront de leur loyauté avec d’autant plus de chaleur qu’elles nous redouteront davantage. C’est de la sagesse, non de la peur car le chacal sait qu’il ne peut rien faire quand les chiens mordent »[2].
     Là où certains ont cru déceler l’expression d’un racisme atavique[3], il faut voir, croyons-nous, l’observation de réactions humaines qui sont, hélas, parmi les plus partagées[4]. Appréhension très pragmatique du terrain comme il le reconnaît volontiers[5]...  Mais comment croire à la xénophobie fondamentale de ce jurassien, berbérophone heureux[6]aux sentiments complexes et finalement divisés entre sympathie passionnée et réalisme pratique ?
    « J’aime la montagne, j’aime les rudes montagnards au milieu desquels j’ai déjà passé plusieurs années, et si le voyage de la vie était à recommencer, c’est au Maroc que je voudrais le faire. Cependant ma sympathie n’est pas aveugle. Ce souci d’exacte et d’impartiale observation m’a convaincu que les sentiments qu’inspire ce spectacle sont aussi souvent de haine et d’envie que d’émulation. Et il doit en être ainsi pour tous les pays envahis par la civilisation européenne »[7], déclare-t-il, en effet.
     Loin d’être, comme on l’a dit, le chantre du colonialisme triomphant, Euloge est le gestionnaire, sans illusions, du fait accompli à l’intérieur d’un monde qu’il ne lui appartient pas de changer mais dont il reconnaît la richesse prodigieuse.
 
 II - PRIMITIVISME  ET  PROGRES

  Dans sa préface aux merveilleux Chants de la Tassaout, l’auteur écrit que « la rudesse des monts explique la rudesse des gens qui les habitent, de ces esprits farouches en proie aux appétits violents de primitifs, de ces cœurs qui n’ont pas les loisirs de s’émouvoir, au sein d’une nature ingrate où le souci du noir pain quotidien subjugue toute une vie, de l’enfance laborieuse à la vieillesse résignée »[8]
   Pour résoudre ses contradictions intellectuelles, Euloge a, en effet, à sa disposition, les outils que lui fournit l’anthropologie positiviste de l’époque (Durkheim, Mauss, Lévy-Bruhl..), à savoir le concept de Primitivisme lié à celui de Progrès. Là encore nous nous trouvons devant un nœud inextricable de problèmes entremêlés… Tout d’abord, l’écrivain rejette violemment et sans ambiguïté, lathéorie des races de Gobineau, ce qui, en 1928, n’allait pas totalement de soi :
  « L’étude des coutumes berbères prises dans leur ensemble et considérées, sans prévention, nous a conduit à cette conclusion que l’humanité a, partout, le cerveau fait de même et qu’elle est, partout, susceptible des mêmes errements. Il s’est introduit, de nos jours, une théorie singulièrement flatteuse pour notre amour-propre puisqu’elle tend à ressusciter, au profit de notre race, ce droit et ce pouvoir aristocratiques que nos sociétés civilisées s’appliquent à détruire pour leur propre compte, en sorte que nous transposons, dans l’humanité générale, les distinctions dont nous ne voulons plus nous-mêmes »[9].
     Mais, pour asseoir son jugement, Euloge se trouve contraint, dans son contexte, de rallier l’autre mythe de l’époque, celui du Progrès : si les Berbères ne sont pas une race

NOTES

[1] ibid., p. 124
[2] ibid., p. 123
[3] Maroc, littérature et peintures coloniales, actes du colloque, Faculté des Lettres, Rabat, 1996
[4] Le Serment, p. 123
[5] ibid., p. 125
[6] René Euloge, Marjana, in  Silhouettes du pays chleuh, p. 219
[7] René Euloge, Des horizons d’hier aux horizons d’aujourd’hui, texte non censuré in Les derniers fils de l’ombre, éditions de la Tighermt, Bellegarde, imp. SADAG, Marrakech, 1952,  p. 19
[8] René Euloge, in  Mririda N’Aït Attik, Les Chants de la Tassaout, traduits du dialecte par René Euloge, éditions de la Tighermt Bellegarde, imp. SADAG, Marrakech, 1963, p. 10
[9] Des horizons d’hier aux horizons d’aujourd’hui, p. 17 


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