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Compte rendu de Claude Wauthier paru dans le dernier numéro de « Notre Librairie »
( n° 161 , p.141
"Histoire : vues littéraires", mars-avril 2006)

 Les Cahiers de la SIELEC, n° 3
 

    « Grand'mère Kalle », une ancienne esclave, annonçait la mort par un rire démoniaque du fond du gouffre où elle était tombée. Il n’y a pas si longtemps cette sinistre légende  était partagée par tous les habitants de l'île de la Réunion, Blancs et Noirs. Cette superstition, relatée par Jean Arrouye, est un des « faits religieux et des résistances culturelles » à l'évangélisation recensés dans Les Cahiers de la SIELEC, n° 3 — la Société Internationale d'Études des Littératures de l'Ère Coloniale — qu’animent Jean-François Durand et Jean Sevry. Cette livraison rassemble les communications présentées sur ce thème lors de son congrès en 2003 à Montpellier.

    La partie consacrée à l’Afrique du Nord contient une étude de Paul Siblot sur le prétendu « fanatisme musulman ». Guy Riegert étudie le « roman berbère » de Ferdinand Duchêne, Aux pieds des monts éternels, et Jean-François Durand les livres de Pierre Loti (Au Maroc) et des frères 'I'haraud (La fête arabe). Katherine Roussos retrace l'aventure en Algérie d'Isabelle Eberhardt, convertie à l'Islam. Elle y mourut noyée à 27 ans, en 1904. Le destin de Mouloud Feraoun, instituteur kabyle assassiné par l’OAS en 1962, est relaté par Samira Sayeh. Rosalia Bivona évoque les fantasmes que suscita la confrérie des Senoussis, installée en Libye, entre autres chez Jules Verne dans son roman Mathias Sandorf. Pour Jean-Marie Seillan, le combat au Tchad des Français contre les Senoussis (qualifiés de « calotins musulmans ») s'inscrivait dans le climat anticlérical de la Ill° République . Jean-Claude Blachère s'est intéressé aux souvenirs de Mauritanie chez Psichari, Saint Exupéry et Jean d'Esme, et Alioune Sow au sultan de Segou, Ahmadou, fils d'El Fladj Omar. Bernard Mouralis analyse la guerre contre Samory d'après des lettres à sa famille du général Charles Mangin (alors lieutenant). Buata Malek dépeint « l'angoisse du déracinement »  dans  L'Aventure  ambiguë de  Cheikh  Hamidou  Kane  et  Gérard  Chalaye  étudie le  « hamallisme » — un soufisme africain — dans l'oeuvre d'Ahmadou Kourouma. Cheikh M.S. Diop retrace l'histoire du fondateur sénégalais de la secte des mourides, Cheikh Ahmadou Bamba. Dans sa communication sur « l'échec » des missionnaires au Gabon, Romain Meko Diamba relate l'émergence d'un culte éphémère, dit de Mademoiselle », une apparition féminine blanche qui prônait la destruction des fétiches et l'abstinence sexuelle durant la journée.

Richard Laurent Ombga relève la résistance religieuse dans les ouvrages des Camerounais Mongo Beti et René Philombe. Il a noté aussi le « fétichisme déguisé » du christianisme, souligné par Charly Gabriel Mbock dans son roman La Croix du coeur. Mahougnon Kakpo a analysé les romans d'Olympe Bhély-Quenum, et en particulier la résistance culturelle du vaudou dans Le Chant du lac. Dominique Ranaivoson examine l’aspect antichrétien des révoltes malgaches de 1904 et 1905 et Denise Coussy retrace l'itinéraire du Kenyan Ngugi wa Thiong'o. Ses romans, dit-elle, remettent en question la religion chrétienne imposée : ainsi dans Matisari, l'auteur imagine Jésus faisant de l'auto-stop. Jean Sevry s'est penché sur les cultes syncrétiques d'Afrique du Sud à travers les romans de Sarah Gertrude Millin, Mike Nicol et Zakes Vida. Richard Samin met en perspective l'histoire de Nsikana, le premier Noir sud-africain converti au christianisme en pays xhosa au début du XIX° siècle.

Gilles Danroc évoque la figure emblématique de Las Casas et Jean François Zorn la « littérature antiesclavagiste » de B.S. Frossard et de Guillaume de Félice, dont les ouvrages datent respectivement de 1789 et 1846. Daniel Delas relève le « progressisme » de Jacques Roumain face au vaudou haïtien. Enfin, Kusum Aggarval compare les « regards croisés » de Mongo Beti et V.S. Naipaul sur le christianisme et l'islam en Afrique.

Claude Wauthier