Jean-Marie
Seillan
Université
de Nice Côte d’Azur
ÉROTISME
ET SAUVAGERIE
DANS LE
ROMAN D’AVENTURES AFRICAINES
À LA FIN
DU XIXe SIÈCLE
Hormis les bordels, les ateliers des peintres et les bains
de mer, rares sont dans la France de la fin du XIXe siècle les
« lieux où se font voir / La nudité de l’homme et celle de la femme ».
Les codes sociaux et vestimentaires, on le sait, y régulent avec autant de
complexité que de rigueur l’exposition du corps dévêtu au regard des autres.
Or, parmi les multiples découvertes qu’il occasionne, le continent africain
apparaît comme un monde où les « naturels »
vivent dans une
nudité depuis longtemps associée à la sauvagerie
et à l’érotisme. Sade déjà les
conjuguait dans l’utopie africaine qui forme l’un des
épisodes de L’Histoire
de Sainville et de Léonore (1788).
Plus récemment, on se rappelle la place occupée par la métisse Jeanne Duval
dans les Fleurs du mal et la condamnation du poème « Les
Bijoux » par le tribunal correctionnel (« La très chère était nue
et connaissant mon cœur / Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores ») ;
ou encore la contribution de Mallarmé au Nouveau Parnasse satyrique du XIXe
siècle, paru en 1866, « Une négresse par le démon secouée… »,
qui unissait corps noir, sexualité et diabolisme. Mais si cette Afrique
poétique n’atteignait guère que les milieux artistes héritiers de
l’orientalisme romantique, celle que diffusa le roman populaire à partir des
années 1880 touchait un public moins lettré et beaucoup plus étendu.
Les récits authentiques d’explorations africaines, dans
leur texte et leurs gravures, comportaient en effet une double dimension
exotique (le noir) et érotique (le nu) que légitimait et innocentait, au regard
de la morale publique, leur dessein ethnographique. Mais les romanciers qui
puisaient leurs informations dans ces récits de voyage n’étaient pas assujettis
au même degré à cette contrainte référentielle. Leur liberté d’écriture,
intriquée dans les réseaux de leurs propres désirs, se mesurait en termes de
recevabilité par les éditeurs, le public ou éventuellement les tribunaux. Dans
le cas de la littérature de jeunesse, la question était résolue, du moins en
apparence, par le refoulement systématique du désir. Asexués, les jeunes héros
de Jules Verne prêtent si peu d’intérêt au corps féminin blanc ou noir qu’on
les a déclarés, comme on sait, homosexuels. Mais il n’en va pas de même chez
les romanciers qui visaient un public adulte, en particulier chez ceux qui
écrivaient alternativement, comme Adolphe Belot ou Armand Dubarry, des romans
érotiques et des romans d’aventures africaines. En mettant en scène des
explorateurs privés de femmes durant des mois ou des années,
ils devaient et souvent désiraient scénariser les phénomènes dérangeants de
l’exhibition des corps noirs et nus et, au-delà, des relations sexuelles entre
Blancs et Noires. Dans leurs romans, la censure n’est plus seulement imputable
aux bienséances ou aux politiques éditoriales, mais au fait que ces rapports
mettent le Blanc au contact d’une sauvagerie dont il apparaît très vite qu’il
la vit dans une ambivalence faite de désir et de répulsion, de fascination et
d’effroi. Cette littérature se trouve ainsi placée dans la singulière
obligation de dire et ne pas dire le désir, de voir et ne pas voir la nudité
sauvage, d’étreindre et de repousser le corps noir.
Parmi les divers moyens imaginés par les romans
d’aventures pour fictionnaliser ce dilemme, on retiendra ici les trois formules
les plus récurrentes.
La première, qui a tout l’air d’une dénégation, consiste à désamorcer
l’agression du désir soit en désexualisant la nudité sauvage au moyen de
l’esthétisation pratiquée dans les ateliers des peintres ou des sculpteurs
académiques, soit en assurant que rien dans ce continent hideux n’est digne
d’éveiller le désir du voyageur européen. Inverse dans ses procédés mais non
dans son objectif, la seconde prohibe le désir sexuel suscité par la femme
africaine en le fantasmant comme une perversion bestiale dans le cadre d’un
darwinisme rudimentaire qui ne rapproche les races et les espèces que pour
mieux les séparer. Moins brutalement exclusive et plus propice aussi à
l’affabulation feuilletonesque, une dernière formule admet la femme noire comme
objet de désir et d’amour, mais la parque prudemment dans un espace géographique
ou mental d’où le scénario du roman, par des stratagèmes variés, l’empêche de
sortir. Dans les trois cas, c’est moins par sa présence que par son éviction
que la nudité noire apparaît comme l’écran obscur du fantasme masculin
occidental.
Dénégation
Parmi
les
nombreuses procédures mises en place pour désexualiser la
nudité de la femme
noire et nier la tentation qu’elle menace de représenter,
l’une des plus
communes vise, en la transférant dans l’univers culturel
occidental, à
l’assujettir à des modèles iconographiques ou
littéraires connus et
contrôlables. La plus radicale est de la représenter,
suivant l’imagerie
chrétienne, comme Ève au jardin d’Éden,
c’est-à-dire à un moment antérieur à
la
tentation et à la naissance du désir. Louis Noir
décrit ainsi, dans Au pays
des cannibales, la nudité des Banziris :
Les femmes vont nues.
Elles sont aussi belles que les hommes.
Malgré le nu, malgré leur grande liberté avec les jeunes gens, elles
sont très chastes, de mœurs très pures.
L’adultère non seulement est inconnu chez les Banziris ; mais ils
ne le comprennent pas.
Le plus
curieux, c’est que si l’on donne à des jeunes filles des étoffes pour
s’habiller, elles les regardent, s’en amusent un instant, puis les abandonnent.
Elles ne veulent pas se vêtir.
Èves avant le péché.
À vrai dire, cette formule
extrême demeure assez rare, peut-être parce que la plupart des auteurs de
romans coloniaux sont, comme Noir lui-même, des esprits laïcs et
libre-penseurs. Une variante moins démesurément idéalisante apparaît dans un
roman d’Edmond Deschaumes intitulé Au pays des nègres blancs
où l’univers biblique est remplacé par celui, inattendu, de la tragédie
classique. La noblesse morale, le respect des convenances, le choix de la
litote, tout vise à réfréner le surgissement du désir dans ce roman où des
explorateurs, perdus entre l’Ogooué et le lac Tchad, sont conduits à traverser
le royaume de la reine Gavina. Ils y découvrent une société paisible et
frugale, vivant dans l’harmonie depuis que les femmes, lassées du déplorable
gouvernement des hommes, leur ont confisqué le pouvoir et les ont rendus
« heureux de ne plus être les
maîtres ». Tandis que le roi, « gras et hilare », a réinvesti sa libido inemployée dans la
gourmandise qui le fera périr d’indigestion, les femmes ont cessé d’être
« perfides, coquettes, menteuses,
gourmandes et paresseuses ».
Reine élue et éclairée, Gavina a sublimé ses désirs : elle porte le même
vêtement à l’antique que ses sujets, refuse les soieries brochées d’or qu’on
lui offre et ne s’intéresse plus qu’aux sciences exactes. Mérites que l’auteur
compare à ceux des cités de la Grèce antique, où elle aurait pu trouver place
du fait l’hellénisme classique de sa beauté.
Gavina était
vêtue d’une simple tunique de coton ; mais cette tunique, drapée en lignes
élégantes, retombant en plis harmonieux, moulait son corps vigoureux et
superbe. Le cou, les bras, les pieds, les chevilles, par la délicatesse de la
peau, la régularité classique de la ligne et de la forme, évoquaient la
radieuse beauté de la statuaire grecque dont la jeunesse est éternelle.
Ainsi
statufiée et marmorisée, la reine de ce Télémaque
à l’africaine semble aussi libérée du désir qu’une figure de bas-relief
antique. Jusqu’au jour pourtant où, incapable de réprimer l’amour qu’elle
éprouve pour bel explorateur, elle décide de l’épouser, l’emprisonne et le
force à se sauver à toutes jambes. Fatale à cette gynécocratie utopique, le
désir a fait resurgir en elle l’Amazone guerrière que redoute l’imaginaire
fin-de-siècle. Même quand elle se drape dans la dignité des héroïnes antiques,
la femme africaine, bête inassouvissable, est faite pour être fuie.
Un moyen
de conjurer cet appétit trop ardent est de décrire la nudité africaine –
tradition esthétique chère à Théophile Gautier – dans les termes d’une
sculpturalité minérale ou métallique qui, en déplaçant la norme évaluative du
terrain de la sensualité à celui de l’esthétique, la soumet à un jugement
d’ordre plastique et finalement la désérotise. Vue par Belot dans La Vénus
noire,
la reine des Amazones, Walinda, est donnée, certes, comme une Vénus, mais une
Vénus (f)rigidifiée par le matériau métaphorique qui sert à la transférer d’un
règne vers un autre.
Elle était entièrement nue, inondée de soleil ; sa chair colorée,
rouge plutôt que brune, se détachait magnifiquement des flancs ombrés et
grisâtres de la montagne. Lorsqu’elle s’arrêtait, on était tenté de la prendre
pour une splendide statue en terre cuite, de grandeur naturelle, incrustée dans
le roc.
L’on comprend pourquoi Belot
a engagé un peintre dans son expédition fictive : grâce à la médiation
d’un regard d’artiste, son roman dénude les corps noirs comme on le fait des
académies d’atelier et les lecteurs s’autorisent à contempler ces « belles statues en bronze clair »
derrière l’alibi du discours esthétique. En contrepartie, le portrait devenant ekphrasis,
cette Afrique peuplée d’anatomies sculpturales à l’immobilité parnassienne
finit par ressembler au catalogue d’un Salon de peinture. Tableau, ici, d’un
groupe de bayadères endormies surprises par un voyeur qui se croit devant une
toile d’Ingres :
Le dos recourbé
de la femme accroupie, ses mains et ses pieds étaient d’un modelé
parfait ; la statuaire antique n’eût désavoué ni les hanches de la femme
penchée sur le côté, ni la ferme poitrine, ni les épaules superbes de ses deux
compagnes.
Ailleurs, c’est un jeune prisonnier nu qui cabotine en tenant
la pose :
Ses traits sont
réguliers et d’une grande énergie, ses yeux étranges d’expression, et son
sourire a quelque chose de sardonique. Une belle statue de bronze, œuvre d’un
grand artiste, donnerait seule une idée de ses formes sculpturales et de sa
chair d’un brun chaud avec des reflets métalliques. Malgré les liens qui
l’enserrent, le captif a conservé une fière attitude. La jambe droite est bien
posée, son buste se redresse, sa tête, au lieu de s’incliner sur l’épaule, est
droite et ferme.
Le procédé permet évidemment
de préserver la pudeur de Laure de Guéran, l’héroïne parisienne qui « passe
au milieu de toutes ces peuplades sauvages, sans songer à leur nudité, ni à
leur corruption. Elle poursuit fièrement, chastement, sa route ».
Mais le
Belot qui écrivait des romans érotiques se satisfait mal de la congélation du
désir provoquée par l’académisme pictural. Jouant sur deux tableaux, il compte
aussi sur l’interdit pour éveiller le désir de transgression. S’il peint les
corps africains comme des compositions néo-classiques, c’est en songeant aux pudenda que l’Afrique réelle exhibe,
comme il l’a lu chez Schweinfurth,
mais que le romancier regrette de ne pouvoir nommer. Embarras dont il se tire
soit en priant la nature de gazer, tel un peintre de Venus pudica, ce qu’il aurait aimé dévoiler (« Étendue sur le dos, entièrement nue, un peu cachée cependant par
l’herbe de la prairie, qui s’était écartée pour la recevoir et maintenant se
refermait […] »),
soit, plus souvent, par une plaisanterie grivoise qui ajoute à la nudité un
alibi mythologique et un esprit boulevardier à effet distanciateur. « Les naturelles de cette contrée, nous
dit-il, sont évidemment filles de Vénus.
Cette déesse de l’antiquité aura dérogé avec un dieu nègre, dont la mythologie,
par discrétion, ne nous a point parlé ».
Moins réservé parfois, il s’autorise des sous-entendus salaces, par exemple à
propos de la bande de tissu servant de vêtement aux femmes Mombouttous :
« Je leur donne volontiers cette
attestation de pudeur, sans y joindre un certificat de vertu : mon amour
de la vérité s’y oppose ».
Cette même combinaison de l’érotisme, de l’humour et du modèle sculptural, les
deux derniers servant à voiler le premier, apparaît dans le dernier roman
publié sous le nom de Verne, L’étonnante aventure de la Mission Barsac,
à propos de la tenue de Malik, une jeune esclave de quinze ans achetée :
« Comme elle n’a d’autre vêtement
qu’une simple feuille qui ne vient évidemment ni du Louvre ni du Bon Marché,
“mais peut-être du Printemps”, suggère Saint-Bérain, elle ressemble à une jolie
statue de marbre noir ».
Un
cuistre comme Louis Jacolliot choisira, lui, de confier au savoir scientifique
plutôt qu’à l’humour le soin de désigner la sexualité noire tout en la tenant à
distance. Il énonce une « loi physiologique » d’une « vérité
absolue » selon laquelle « la femme blanche ne se donne pas au
noir, et les négresses dédaignent absolument les mâles de leur race pour courir
avec ardeur aux embrassements des blancs ». D’où il démontre que la
race noire, stérile, est « une couche humaine qui disparaît peu à peu,
comme ont disparu les anciens glaciers du Rhône », et que l’humanité
entière « semble marcher à l’unité de la race blanche, c’est-à-dire la
race à cheveux longs, et au type indo-européen dans le monde ».
Flatteuse pour la fatuité des Blancs, rassurante à long terme pour leurs
angoisses racistes, cette prétendue loi atteste surtout à quel point la
tentation de l’érotisme « sauvage » est jugée transgressive.
Si la
fiction romanesque
censure l’érotisme en niant ou en dissimulant son
existence, elle y parvient
aussi, inversement, par son hyperbolisation. Dans ce cas,
l’explorateur ne
dément nullement l’existence d’un éros
sauvage, mais il se prétend saisi devant
son déchaînement d’une répulsion qui le rend
insensible à toute forme de
séduction. La castration qui frappait la femme elle-même
rejaillit alors sur le
voyageur étranger. Le plus souvent en effet, la sexualité
sauvage est liée, à
ses yeux du moins, à la danse chargée de la
préparer. Or il interprète la danse
africaine au travers de modèles puisés dans son
expérience de la société
européenne – transgression carnavalesque, crise
d’hystérie collective,
séduction amoureuse – qui se révèlent
également inappropriés et dépréciatifs.
Dans Un Capitaine de quinze
ans, dont la partie africaine de l’aventure se passe en Angola, Verne,
utilisant une formule qui sera inlassablement paraphrasée, décrit les danseurs
comme des « singes en délire ».
Tout aussi réprobateur, Dubarry assure qu’en Afrique, « du premier au
dernier échelon de l’échelle sociale, tout le monde se livre à une pyrrhique
échevelée, même dans les circonstances graves de la vie ».
Les ouvrages de vulgarisation ethnologique ne sont pas en reste : dans Au
Pays des nègres, sous-titré Paysages et peuplades d’Afrique, Tissot
et Améro optent pour cette lecture propice à l’infantilisation ou à l’animalisation
en confirmant que « ce qui est commun à tous les Africains, c’est leur
penchant à jaser, rire, se livrer avec frénésie à des danses, entremêlées de
mascarades grotesques ».
On devine que cette carnavalisation de la danse, loin d’inviter le voyageur
étranger à y participer, l’isole dans un mépris hautain.
La mode médicale des années
Charcot conduit aussi les romanciers à identifier la danse, dont la gestuelle
inintelligible leur paraît pathologique, à la crise d’hystérie. La cérémonie
mystico-érotique décrite sous le nom de messe noire par Huysmans dans Là-bas
(1891) est manifestement présente à l’esprit d’un romancier comme Louis
Noir quand il écrit Prisonnières au Dahomey. À en croire ce
roman-feuilleton paru en 1892-93,
les Grandes coutumes dahoméennes, inaugurées par des danses, versent dans une
orgie collective qui sert elle-même de préalable aux jouissances du massacre.
Cocktail de réminiscences classiques, de psychopathologie et de satanisme, avec
pour base un racisme biologique virulent :
Les
danses de
guerre commencent ; huit mille bons soldats, quatre mille
amazones,
cinquante mille hommes, femmes et enfants s’agitent comme des
possédés ;
l’hystérie du massacre s’empare de cette multitude
qui délire et pousse des
hurlements ; l’orchestre précipite sa cadence ;
la rage des soldats
et du peuple monte à son paroxysme ; les amazones semblent
des furies
déchaînées ; une odeur âcre,
l’odeur noire, âpre et violente senteur du
nègre en sueur, émanation charnelle très
musquée et très pénétrante, se
dégage
de cette masse en rut sanguinaire.
Ainsi perçus, les danseurs africains s’excluent de
l’humanité. Réintégrer celle-ci exigerait d’eux qu’ils s’arrachent à ce
processus de désindividuation (« Hommes et femmes, maintenant, tout est
mêlé, tout se trémousse, torse nu, la gorge au vent ; la masse noire
semble ne plus faire qu’un tout ») et atteignent à une maîtrise
pulsionnelle incompatible avec l’Afrique. Ce que confirme l’héroïne noire du
roman, surnommée la Vénus de Widah en raison de sa beauté, en apprenant qu’elle
a été demandée en mariage par le capitaine Jacquemart : « Je suis
Française, maintenant, je suis dame, je ne danserai plus ».
Le plus souvent pourtant, la
danse africaine reçoit une explication érotique. Civils ou militaires, les mâles
français de la fin du XIXe siècle associaient en effet le corps nu
aux pratiques des maisons closes. Que l’Afrique soit un monde où l’on ne couvre
qu’imparfaitement la poitrine ou les parties génitales constitue à leurs yeux
la preuve d’une sexualité anarchique. Présent jusque dans Voyage au bout de
la nuit, le fantasme occidental d’un désir noir que ne borneraient aucune
règle sociale, aucune censure, transforme la nuit africaine en une vaste orgie
collective enchevêtrant Éros et Thanatos, tandis que l’angoisse provoquée par
la levée des interdits protecteurs a pour effet d’animaliser et de diaboliser
ceux qui s’y abandonnent. Les fêtes africaines sont censées mimer une sexualité
que la culture occidentale s’enorgueillit d’avoir appris, elle, à maîtriser ou
à sublimer. Le romancier Dubarry emprunte ainsi à un missionnaire anonyme un
portrait de la femme dahoméenne caractéristique de son assimilation à la
sorcière médiévale :
Ici la femme
est un être abominable, sans pudeur, sans honte, et méchante comme la vipère.
On la voit, la pipe à la bouche, courir de danse en danse, et se livrer ainsi
du matin au soir à toutes sortes d’orgies et de crimes. Il y a possibilité de
ramener les hommes, mais on n’a presque rien à espérer des femmes.
Le salut consiste donc à fuir la danse et ce qu’elle
préfigure. Voyageant sur les rives du Niger, Louis Jacolliot, qui se pique
pourtant d’ethnologie, ne voit dans ces fêtes qu’un « grotesque
charivari compliqué de danses obscènes, auxquelles un esprit un peu délicat a
hâte de se soustraire ».
De même, il voit les habitants de la région de Khartoum « sauter comme
des forcenés en poussant des cris sauvages » et jette le voile sur des
assemblées nocturnes dignes selon lui « de Sodome et de Gomorrhe ».
De la part d’un voyageur dont les récits cultivent les tableaux grivois (long
épisode libertin avec érotisme de groupe dans un harem d’Égypte) et le
voyeurisme à alibi anthropologique (gros plans complaisants sur des scènes
d’excision), ces prétéritions hypocrites prouvent que l’érotisme raffiné est, à
ses yeux, le privilège culturel du Blanc et que le Noir demeure parqué dans une
sexualité bestiale compliquée de composantes sadiques.
Qu’ils aient lu ou non Noir ou
Jacolliot, la plupart les romanciers considèrent la danse africaine comme un
préliminaire sexuel, un contorsionnisme aphrodisiaque auquel il est indigne de
prêter attention. De ce jugement découle un effet romanesque inattendu :
nombre d’expéditions fictives embarquent avec elles un héros gymnaste ou
acrobate chargé – puisque le Blanc ne se laisse égaler dans aucune
activité – de surpasser les Noirs sur le terrain de l’agilité physique
nécessaire à la danse. Mais nul doute que cette supériorité acrobatique ne soit
là pour désigner aussi sous une forme euphémisée sa supériorité sexuelle.
Quant à en apporter la preuve physique, le Blanc s’en garde bien. Castrat
colonial au service de la France, il traverse sans émoi ni érection les scènes
les plus torrides et, à l’image de la plupart des explorateurs réels, si l’on se
fie du moins à leurs comptes rendus de mission, n’éprouve aucune tentation.
Louis Jacolliot par exemple, se
plaît dans son Voyage aux rives du Niger, déjà cité, à décrire la
beauté des jeunes esclaves que les chefs de villages lui offraient au passage de
son expédition, mais n’admet jamais avoir pu éprouver pour elles le moindre
désir. Dans un chapitre au ton égrillard, il raconte ainsi qu’un roi du Bénin
lui fit présent, pour faire « un peu de musique de chambre »[c’est Jacolliot qui souligne], « deux
jeunes négresses de quatorze ou quinze ans au plus, à la mine éveillée et
presque malicieuse, noires à faire honte à l’ébène, et moulées comme des
statues de la jeunesse, [n’ayant] pour tout vêtement qu’un pagne léger, qui,
enroulé autour des hanches, ne descendait même pas jusqu’aux genoux ».
Mais comme le roi Arobo n’aurait pas manqué, à l’en croire, de faire mettre à
mort les deux jeunes filles si leur destinataire les avait refusées, Jacolliot
assure les avoir reléguées sur une natte au pied de son lit avant d’expliquer à
son lecteur, à grand renfort d’euphémismes et de périphrases suspectes, que
« rien n’est dangereux, sous ces latitudes chaudes et humides en même
temps, comme les nuits distraites de leur destination naturelle ».
Comme on en juge, les processus narratifs de refoulement
sont multiformes, à la condition qu’ils n’empêchent pas la nudité d’apparaître,
fût-ce sous forme de dénégation ou de prétérition.
Zoophilie
Un moyen de satisfaire et de conjurer à la fois le désir
éveillé par la nudité sauvage est de rejeter la femme africaine hors de
l’humanité. Ce processus découle de la vulgate darwinienne qui, autour de 1880,
avait banalisé l’idée que l’homme et le singe appartenaient à une même lignée.
La porosité de la frontière séparant les règnes de l’humain et de l’animal
devait développer l’idée, attestée depuis longtemps dans la littérature chez
les partisans des thèses polygénistes,
de leur faire entretenir des relations amoureuses. La fiction romanesque, dont
c’est là le domaine favori, offrait un lieu propice à l’expression de cette
relation ambivalente, dans sa double composante de désir et de répulsion.
On connaît ainsi le caractère simiesque accusé des
amoureuses exotiques de Pierre Loti comme la Fatou-gaye du Roman d’un spahi
(1881). L’étude que leur a consacrée Jennifer Yee
montre cependant que la frontière des règnes n’y est franchie que sur le mode
comparatif ou métaphorique. Malgré ses « minauderies de ouistiti
amoureux » et ses « pattes de singe », la jeune
khassonké reste créditée d’une « fine petite figure grecque »
qui interdit de la ranger biologiquement dans le règne animal et soustrait ses
amours à la franche bestialité.
D’autres romanciers en revanche, plus audacieux ou plus inconscients,
franchissent le pas. S’ils commencent par rappeler les différences séparant les
règnes de l’animal et de l’homme, c’est dans le dessein de mettre en récit le
processus même de leur transgression.
Sensible par convictions darwiniennes aux liens génétiques
unissant l’humanité aux grands anthropoïdes, J. H. Rosny aîné imagine
d’obscures affinités entre les Africaines et les grands singes. Dans Le
Trésor de Mérande, roman publié en 1903 sous le pseudonyme d’Henri de
Noville, il fait se rencontrer dans une forêt équatoriale un groupe d’aventuriers
français et une famille de gorilles. Les premiers ayant recueilli et soigné le
petit d’une des femelles qui vient le reprendre, les deux espèces s’observent
d’abord mutuellement au cours d’une longue scène muette :
Il y avait quelque
chose de poignant dans cette entrevue. C’était comme si, ressuscitée, une
famille humaine des temps tertiaires se fût trouvée en présence de ses
descendants. Trois cent mille, quatre cent mille ans peut-être séparaient ces
créatures que le hasard assemblait, pour quelques minutes, dans une forêt, au
crépuscule…
Or,
au nom des affinités morphologiques liant phylogénétiquement les Noirs et les
singes (le gorille, explique Rosny dans la même page, a « exactement le
visage d’un nègre, mais d’un nègre aux mâchoires immenses et de l’espèce la
plus dégradée »),
c’est à une jeune Africaine nommée Diola qu’il confie la tâche de franchir, en
médiatrice maternelle et pacifique, l’espace symbolique la séparant de la
femelle gorille et de lui restituer son petit. Mais Diola, une esclave libérée
quelques semaines auparavant et dont la beauté est décrite dans les termes les
plus admiratifs, est devenue entre-temps la compagne de l’un des voyageurs
français. En assurant la transition entre le héros blanc et le primate, Dioula,
femme d’Afrique, illustre la contiguïté des règnes humain et animal ainsi que
la continuité de la vie depuis son origine.
Si Rosny en reste là, sa pudeur constitue sur ce point une
exception. Pour la plupart des romanciers, en effet, la forêt équatoriale
métaphorise l’inconscient et ses désirs obscurs. Parce qu’il est pensé comme un
« naturel » non encore assujetti à la répression pulsionnelle,
le Noir s’autorise ce que le Blanc s’interdit, et ce que le Noir lui-même
s’interdit, c’est l’animal qui s’y livre. De là la fascination des romanciers
français pour l’hypersexualité prêtée aux grands singes et le succès remporté
par le motif de la femme séduite ou enlevée par un gorille. En associant
humanité et animalité, sexualité prédatrice et victimisation plus ou moins complice,
ce motif dérivé par désymbolisation du mythe de la Belle et la Bête forme un
cocktail érotique propre à fasciner l’imaginaire de la fin du XIXe
siècle.
À notre connaissance, ses manifestations ont été plastiques
avant d’être romanesques. En 1859, le sculpteur Emmanuel Frémiet soumet au jury
du Salon un groupe (détruit) intitulé Orang-outang entraînant une femme au
fond des bois dont Baudelaire démêle sans tarder les composantes et
condamne le caractère équivoque:
Songez bien qu’il ne s’agit pas de manger,
mais de violer. Or le singe seul, le singe gigantesque, à la fois plus et moins
qu’un homme, a manifesté quelquefois un appétit humain pour la femme. Voilà
donc le moyen d’étonnement trouvé ! ‘Il l’entraîne ; saura-t-elle
résister ?’ telle est la question que se fera le public féminin. Un
sentiment bizarre, compliqué, fait en partie de terreur et en partie de
curiosité priapique, enlèvera le succès.
Frémiet,
dont le jury refuse l’œuvre, récidive trente ans plus tard et reçoit une
médaille d’honneur au Salon de 1887 pour un Gorille
du Gabon enlevant une femme. Car les temps ont changé. Sensible aux
thématiques nouvelles de l’imaginaire décadent, La Revue illustrée du 15 juin décrit élogieusement le groupe
(« la femme se balance dans le vide, torturée, lacérée de coups de
griffes, tenus à la hauteur des seins, étouffée contre le poitrail du gorille »)
avant d’y reconnaître – avec des mots introduits par Baudelaire dans le langage
de la critique – « le symbole
atroce de la brutalité sans frein qui a raison de la beauté […] et, dans sa
bizarrerie, une modernité spéciale et violente ».
La spécialisation des gorilles – « ces frères
effrayants de l’homme » selon l’un des stéréotypes africains que le
Georges Duroy de Bel-ami rassemble pour écrire son premier article
– dans la lascivité hyperbolique semble s’être assez vite banalisée dans
l’imaginaire littéraire. Dès 1867, les Goncourt avaient commenté dans Manette
Salomon une toile du peintre Coriolis représentant un vieux paillard tout
près d’une jeune fille. « Dans ce contraste, écrivaient-ils, de
la femme et du monstre, du vieillard et de la jeune fille, de la Belle et de la
Bête, le peintre avait mis l’espèce d’horreur de l’approche d’une blanche par
un gorille », scène dont ils faisaient « la plus épouvantable,
la plus révoltante, la plus sacrilège et la plus antinaturelle des antithèses ».
Dans le même esprit, À rebours donnait en 1884 aux derniers descendants
de l’aristocratie décadente « des instincts de gorille fermentés dans
des crânes de palefreniers ».
Mais c’est aux feuilletonistes qu’il revenait d’acclimater
ce scénario scabreux. Certains d’entre eux se gardent de le traiter avec une
brutalité excessive. Ils humanisent le singe et lui prêtent une galanterie
troublante. Tel est le cas de Louis Noir en 1869 dans le Lion du Soudan,
roman dont les aventures se déroulent dans une Afrique subsaharienne où les
frontières délimitant les interdits moraux se franchissent aisément. Noir
consacre un long épisode à l’enlèvement par des gorilles de deux fillettes de
douze ans, métisses de noir et d’arabe, dont les héros du roman ont fait leurs
maîtresses. Il
justifie cette passion zoophile par une vague théorie évolutionniste qui
rapproche l’homme et le singe jusqu’à les confondre.
Pour nous, explique-t-il, le singe, à part la parole articulée, vaut le
nègre ; c’est un nègre à peu près muet, qui ne peut formuler qu’une série
très restreinte de sons ; faute de souplesse dans la voix, cette espèce
humaine est restée en arrière de toutes les autres, mais de bien peu. […] Les
négresses enlevées par les gorilles n’ont pas eu à se plaindre des mâles qui
les ont prises pour compagnes, – un peu par la douceur, un peu par la violence.
Comprenons
que reconnaître la quasi-humanité du singe permet au romancier d’affirmer la
quasi-animalité du nègre. Dans son esprit, les deux héros Blancs se sont autant
écartés de leur « race » en couchant avec des Africaines que le
font les jeunes filles elles-mêmes en se laissant aimer par des gorilles. Car
le romancier décrit tout un marivaudage entre les singes qui « couvraient de baisers, tout en courant, le
front et les joues de leurs victimes » et les fillettes sensibles à
leur tendresse : « Leur jolie tête
s’inclina peu à peu et se posa sur celle des gorilles. Leurs bras charmants
enlacèrent les cous velus de leurs ravisseurs. Elles les tinrent enlacés pour
ne pas tomber ». La scène de séduction – qui n’aboutira pas à une union
physique dont Louis Noir assure par ailleurs qu’il existe des précédents
heureux – humanise le singe amoureux au détriment des Africains animalisés par
comparaison :
Il voulait… Il n’osait…
En ce moment, toutes ses impressions, ses
poses, ses tressaillements, étaient bien d’un homme ; qui l’eût vu, se fût
cru en présence d’un nègre.
Et encore. Que de
nègres eussent été plus brutes, moins élégants dans leurs gestes, moins
discrets… dans leur indiscrétion que ce singe-là.
Les
fillettes elles-mêmes sont touchées par sa délicatesse et, n’étaient les
mérites inoubliables de leurs amants – des Français évidemment – qui les
rattachent fragilement à leur problématique humanité, elles y céderaient
volontiers :
– Vois-tu,
Leïda, ces gorilles, moi, je crois décidément que ce sont des hommes muets.
Ils nous
comprennent.
Ils font des
choses étonnantes.
Vrai, les nègres
de mon père ne sont pas aussi vifs, aussi adroits qu’eux ; s’ils
parlaient…
– Et s’ils
étaient beaux…
– Il y a des
femmes qui pourraient les aimer.
– Pas moi,
pourtant.
– Ni moi !…
Mais c’est parce
que nous avons le cœur pris.
C’est à un scénario voisin que recourt Léo Dex, spécialiste
du roman d’aérostation, dans Du Tchad au Dahomey en ballon (1897).
Il y montre, certes, que la sexualité relève de l’animalité et doit être
contenue, mais aussi que le grand singe sait traiter avec courtoisie la femelle
humaine qu’il désire. On y voit l’un de ces anthropoïdes, « redoutable
frère de notre race », escalader la nacelle d’un ballon pour enlever
un passager, un jeune Français dont ses compagnons de voyage, à la différence
du lecteur mis dans la confidence, ignorent s’il est un garçon ou une fille. Or
le désir du singe, lui, ne s’y est pas trompé : c’était bien une jeune fille.
« Ainsi s’expliquait en même temps, et pourquoi l’anthropoïde avait
enlevé l’enfant, et pourquoi il l’avait traité avec douceur… ». Et
c’est seulement après cet épisode que le chef de l’expédition vérifie
fortuitement par l’encolure de la jeune fille évanouie que l’animal perspicace
avait raison.
Telle est la puissance fantasmatique de cette scène que
Rosny la reprend en 1919 dans L’étonnant voyage de Hareton Ironcastle,
un roman d’aventures situé dans une Afrique centrale touchant encore aux âges
préhistoriques. C’est aux « Trapus », des êtres d’une extrême
sauvagerie à peine entrés dans le processus d’hominisation, qu’il livre sa
jeune héroïne Muriel. Mais, si cruels et primitifs qu’ils soient, ces Trapus,
loin de violenter leur captive, rendent un culte à sa beauté au fond des
galeries souterraines où ils vivent. Pourtant, à l’instant de la délivrance,
Rosny ne résiste pas à la tentation de jeter Muriel aux bras du primate qui
l’emporte et d’unir dans la même image « la tête du sauvage et celle de
la jeune fille » comme une allégorie de la Civilisation menacée par la
Sauvagerie. Il faut croire que la scène est devenue alors un poncif associé à
l’Afrique puisque Céline y fait encore allusion en 1932, au détour d’une
comparaison, dans l’épisode de l’Amiral Bragueton : « Ça
valait un viol par gorille », écrit-il dans Voyage au bout de la
nuit à propos de l’institutrice aux « ovaires fripés » qui
(se ré)jouit à l’idée de voir Bardamu lynché.
Tous les gorilles, cependant, ne sont pas aussi délicats.
Habile à exploiter les modes décadentes, le romancier Oscar Méténier publie en
1891 un roman antisémite (daté par l’auteur de 1883) intitulé Le Gorille.
Seul le prologue y raconte une aventure africaine, le mot gorille désignant
métaphoriquement, dans le roman lui-même, un banquier juif peint avec les
couleurs les plus odieuses. Méténier commence par résumer le peu que l’on sait
alors de ces grands singes. « Pour les nègres de Guinée,
explique-t-il, les gorilles sont d’assez méchants nègres, velus comme les
troncs séculaires ou les roches où ils vivent, faisant des fagots, construisant
des cabanes, enlevant des négresses pour leur sérail, mais ne sachant ni parler
un idiome, ni faire du feu, les deux apanages de l’humanité ».
Après quoi il décrit une scène de chasse au cours de laquelle un gorille
kidnappe la fille, évidemment belle, innocente et vierge, d’un clergyman anglais
évangélisant l’Afrique. Mais ce gorille-là ne badine pas avec l’amour. Méténier
le laisse emporter sa proie et aide le lecteur à imaginer les sévices subis par
une victime de dix-huit ans livrée aux désirs de la bête. « Nous
retrouvâmes, sous un grand arbre, Esther gisant meurtrie, presque
méconnaissable, roulée dans ses vêtements foulés et tachés de sang. […] Elle
avait été guettée, emportée et violentée […] », écrit Méténier en
révélant ici la prédilection pour l’érotisme sanguinolent qui fera en 1898 le
succès de son Théâtre du Grand-Guignol. Mais il tire bénéfice de la découverte
du corps de la victime et du massacre du gorille pour en conclure que le
banquier juif mérite le même sort et le faire liquider comme une bête nuisible
par le héros du roman.
C’est cependant chez Armand Dubarry que le motif zoophile
semble avoir connu son plus riche développement. Le romancier l’ébauche en 1879
dans Voyage au Dahomey. Comme Méténier après lui, il rapporte les
légendes courant sur le gorille chez les Guinéens et les ordonne selon une
gradation significative du rôle imaginaire qu’il va lui prêter. « Suivant
eux, explique-t-il, il ne tremble devant aucun animal […] il se
construit des cabanes, enterre ses morts, arrache les dents d’ivoire des
cadavres des pachydermes et les porte en guise de massue ; […] les femmes
surtout ont tout à craindre de lui ».
C’est ce que mettent en scène les Aventures périlleuses de Narcisse Nicaise
au Congo parues quelques années plus tard. Dubarry commence, selon l’usage,
par établir une équivalence entre le singe et l’homme noir, le Congolais étant
à l’en croire « une sorte de gorille qui ne s’apprivoise pas et chez
lequel la captivité entretient et augmente les mauvais instincts ».
De fait, un long épisode du roman raconte avec complaisance comment une bande
de vingt mandrills incarnant « la sensualité la plus bestiale, la
passion la plus désordonnée » profitent de l’absence des hommes pour
venir enlever les femmes d’un village congolais, car « on n’échappe pas
à un mandrill surexcité quand on est femme ou enfant ».
Les premières qui
s’enfuirent furent rejointes d’un bond et étranglées ou assommées, ou
mordues ; les autres, traînées hors des huttes, allaient subir des
violences plus atroces […]. Douze femmes ou filles, abîmées,
méconnaissables, baignaient dans une mare de sang.
Il
revient évidemment à Narcisse Nicaise, seul représentant à titre d’homme blanc
de l’humanité achevée et seul possesseur d’un fusil, d’endiguer ce flot de
sensualité et de cruauté sauvages en massacrant les singes en rut, tout comme
ceux-ci ont massacré les épouses. Et comme le chef du village reconnaissant le
remercie en lui offrant une de ses femmes, Narcisse, confirmant que la femme
noire est au Blanc ce que le mandrill est à la femme noire, observe avec
consternation : « Et voilà le prix de ma victoire sur les
mandrills : voilà la guenon avec laquelle on prétendrait me contraindre à
passer le reste de mes jours !… »
Suit alors, dans un chapitre entier,
le singulier récit de l’opération de séduction amoureuse dont Narcisse se juge
victime, la nuit suivante, de la part de sa nouvelle compagne. Nuit de noces
cocasse et terrible ressemblant davantage à un récit de rêve qu’à un épisode de
roman destiné à la jeunesse. Peuplée de tout un bestiaire phallique et
castrateur, la scène révèle la force de l’interdit pesant non seulement sur le
désir de l’homme blanc, mais aussi sur le droit à avouer ce désir,
puisque le roman allègue des raisons culturelles euphémisantes (le chant et la
danse) pour expliquer le désir-horreur éprouvé par le héros à l’idée de faire
l’amour avec une femme noire :
La femme, indécise, embarrassée, attendait qu’il s’approchât
d’elle ; elle semblait implorer une parole engageante, un appel […].
– Retournez auprès de votre mari, madame,
lui ordonna-t-il ; votre place n’est pas ici.
La négresse
comprit en partie, par le geste, ce qu’il avait proféré ; mais comme son devoir
lui commandait de rester, elle s’accroupit sur la natte, à côté du lampion,
espérant qu’elle gagnerait à être mieux vue, et se mit à psalmodier, pour tuer
l’ennui, un chant décousu dont la mélopée monotone finit par agacer Pierrot et
Narcisse, au point que l’un hurla et que l’autre s’élança irrité vers la
chanteuse et lui signifia de se taire.
« Il n’aime pas la musique, parut se dire la
négresse avec surprise ; essayons de la danse, nous serons peut-être plus
heureuse… »
Et elle se livra à une sorte de bamboula
qu’elle accompagna en faisant claquer ses doigts et en poussant des ho !
des ah ! des ih ! auxquels Pierrot mêla ses
mélodies tapageuses, et que Narcisse fit cesser par une attitude tellement
menaçante que la danseuse eut peur et se réfugia à l’extrémité de la case, où
elle demeura silencieuse.
– Je préfère cela, mâchonna Narcisse, blême
de colère ; qu’elle dorme et cesse de m’importuner ou je ne réponds plus de moi
; je la mets à la porte et la renvoie à celui qui m’en a gratifié. C’est déjà
trop supporter sa puanteur. Pouah !
La répression
du désir ne pouvant pas, chez un Blanc civilisé, donner une satisfaction
physique à la violence intérieure qu’elle déclenche, c’est alors par transfert
vers le monde animalier que celle-ci trouve à s’exprimer. Durant la nuit de
noces (« Nuit blanche », dit le titre du chapitre) qui aurait dû être
consacrée à l’amour, la case des amants impossibles est attaquée par une jungle
en délire. D’abord par un léopard, puis par deux éléphants dont Narcisse voit
dans son demi-sommeil les trompes effectuer ce qu’il rêve mais s’interdit
lui-même de faire, c’est-à-dire s’introduire « dans des vases pour les
mariés », enfin par des hyènes – hyènes issues d’un cauchemar
enfantin, « sales, laides, désagréables, d’apparence hideuse,
difformes, brutes, voraces, viles et lâches » – qui attaquent et
emportent par la jambe la mariée que Narcisse avait mise à la porte de sa case
et qu’il tente avec mille peines de leur disputer. Le matin venu, Narcisse, qui
est étudiant en pharmacie, essaie sans plus de succès de rafistoler la jambe
symboliquement sectionnée (« les dents du carnassier avaient coupé les
nerfs et broyé l’os ; la fracture était irrémédiable ; il fallait
amputer la jambe ») avec un sentiment de culpabilité proportionnel à
la force du désir-terreur du viol réprimé en lui, cependant que, dans un long
monologue, il cherche à plaider sa cause et à se disculper devant un tribunal
intérieur présidé par un Surmoi qu’on devine impitoyable : « moi
qui ne la désirais, ni ne la convoitais, j’en jure ». Révélatrice des
« mystères sanglants et lascifs au fond des forêts »
que la nuit africaine réveille dans la fantasmatique du Blanc, cette
scénographie délirante s’achève par une sorte de pandémonium macabre : des
esclavagistes allument dans le village un immense incendie au sein duquel,
comme par un effet de censure survenant à point nommé, le corps mutilé de la
femme noire est réduit en cendres, tandis que Narcisse qui l’a refusée, frappé
par un processus d’autopunition tout aussi opportun, est traîné en esclavage « comme
un simple noir » avec ceux des habitants du village qui ont survécu.
L’extrême violence de cet érotisme onirique laisse deviner à quel point le
désir-dégoût suscité par la nudité de la femme noire peut être perçu comme
pathologique.
Schizophrénie
À en juger par les romans d’aventures que nous venons de
citer, rares sont ceux qui osent, dans le dernier quart du XIXe
siècle, mettre en scène des personnages assumant leur désir pour une femme
d’Afrique. Il arrive cependant que le héros colonial s’attache à l’une d’elle
au point de la choisir pour maîtresse ou compagne. Mais dans ce cas, il ne
s’autorise à le faire qu’après avoir vaincu une longue résistance intérieure,
génératrice d’un système quasi schizophrénique qui prend des formes narratives
variables mais dans le fond similaires.
Un premier scénario consiste pour le romancier à réserver à
la femme noire un rôle de victime tragique qui la fera disparaître au moment
propice. Ainsi dans la Vénus noire de Belot (1877) dont l’héroïne
possède le premier titre pour prétendre à ce rôle, celui de reine. Malgré sa
nudité et sa sauvagerie, cette Amazone farouche a su séduire et retenir auprès
d’elle l’explorateur de Guéran, considéré en France comme disparu. L’embarras
commence lorsque Mme de Guéran arrive dans le royaume des Amazones à la
recherche de son mari : comment cette Parisienne raffinée pourrait-elle
reprendre sans s’humilier un époux qui a vécu des mois dans la case et les bras
d’une sauvage vivant toute nue ? M. de Guéran lui-même acceptera-t-il
l’apostasie amoureuse qui lui ferait abandonner celle qui a fini par devenir sa
reine ? L’orgueilleuse reine Walinda se laissera-t-elle dérober sans
résistance l’homme blanc dont elle est sauvagement éprise ? Questions
feuilletonesques dont la solution, fidèle à l’éthique romanesque en cours dans
les années 1870, ne réserve aucune surprise : il faut éliminer la
reine noire et son amant blanc, coupables d’un péché racial originel. Walinda
poignarde de Guéran par méprise et, inconsolable, finit par mettre fin à ses
jours. Alors sa veuve pourra, en épousant un autre Français, reformer un couple
qui n’aura pas été entaché par des mélanges inacceptables au regard supposé du
lecteur. Le seul bénéfice pour la femme africaine aura donc été d’assumer,
telle une Dame aux camélias noire, le rôle de l’héroïne qui se sacrifie.
C’est un scénario voisin que le capitaine Danrit recycle
dans L’Invasion noire (1894)
en racontant les hésitations amoureuses d’un officier français de l’armée
d’Afrique entre la fidélité due à la fiancée restée au pays et les tentations
de l’érotisme colonial. Au capitaine de Melval, Danrit prête en effet une
compagne nommée Nedjma, délicieuse mauresque de quatorze ans vêtue d’une
cotonnade « drapée très artistiquement autour de son corps et laissant
voir un sein nu ».
Comme l’exige le fantasme du colon, celle-ci a pour lui « le dévouement
du chien pour son maître » du fait qu’il l’a, selon un scénario
inusable, arrachée à l’esclavage. C’est bien le moins qu’en échange elle lui
donne son sang à boire le jour où il meurt de soif dans le désert. Mais, si
dévouée et désirable que soit Nedjma, de Melval la respecte par fidélité pour
Christiane, la promise alsacienne dont le portrait ne le quitte jamais. Et
pourtant, songe-t-il avec regret, « quelle différence entre ces
splendides créatures du désert, aux vêtements bibliques, aux regards d’étoile,
et ces poupées civilisées, au corps comprimé dans des fourreaux rigides, à la
démarche étudiée, à la chevelure savamment apprêtée ».
Pour qu’il cède à son désir d’exotisme, il faut qu’un traître lui fasse croire
que sa fiancée, là-bas, a trahi sa promesse – car un héros de roman ne
s’autorise à coucher avec une femme noire que par désespoir. Mais qui peut
croire que l’Alsace soit infidèle à la France ? qu’une Africaine puisse
lutter avec les femmes de France dans un cœur de patriote ? Nedjma devra donc
débarrasser le roman et l’officier, au moment où celui-ci rentre en France, de
son encombrante beauté de quatorze ans. Forcé d’accomplir cet acte d’euthanasie
romanesque, le romancier lui ménage un suicide opportun et distingué (elle se
jette dans ses voiles blancs du haut d’une falaise), assorti d’une belle
oraison funèbre :
Née
à l’amour à un
âge où elle n’en connaissait même pas le nom,
elle s’était donnée tout entière
à celui qu’avait choisi son cœur d’enfant, et
elle était morte pour garder
intact le trésor d’amour, qu’insouciante des haines
de races et des rivalités
de continents, elle avait prodigué hors de sa race et de son pays.
À cette incapacité des romans du XIXe siècle
d’admettre un couple biracial sur le sol de France, Rosny aîné apporte une
solution similaire mais inversée lorsqu’il donne à aimer à Montrose, l’un des
aventuriers du Trésor de Mérande, déjà cité, la jeune esclave noire
qu’il a libérée. Tout dans le portrait de cette dernière – références à la
mythologie grecque, à la Renaissance, à l’Espagne ou aux femmes mauresques –
vise à la désafricaniser. Chacun de ses traits, outre qu’il permet de composer
un nu exotique de type pictural, récuse la morphologie africaine pour se
modeler sur les canons esthétiques occidentaux :
C’était une
fille, magnifique, qui justifiait amplement l’expression d’Aphrodite noire que
venait d’employer Montrose. Elle était très grande, les extrémités fines, les
jambes souples, aussi harmonieusement tournées que les jambes fuselées des
jolies femmes de la Renaissance ; les bras ronds et charmants, la poitrine
ample, rattachée aux épaules par des lignes délicates ; de petits seins à peine
allongés, élastiques et durs ; un cou bien rond, bien doux, avec trois plis
délicieux ; des cheveux abondants, plutôt crespelés que crépus, formant un grand
buisson sombre ; enfin un visage rond, aux traits agréables, et qui rappelait
le visage mauresque. Les lèvres, à la vérité, étaient un peu charnues, mais
éclatantes de vie, et, à chaque mouvement, découvraient la ligne éblouissante
des dents. Elle avait un nez presque droit et des yeux larges, violets plutôt
que noirs, comparables aux plus beaux yeux espagnols.
– Ce n’est pas là une négresse ! s’exclama
Montrose, ébahi, du charme de la N’gamana.
De
fait, nous explique-t-on aussitôt pour rendre admissible la liaison qui va
s’ensuivre, les N’gamanas « n’ont du nègre vulgaire que la couleur
noire ». Montrose, qui n’a pourtant pas de fiancée alsacienne, n’en
hésitera pas moins à posséder la « belle sauvage ».
Pour s’y résoudre, il attend d’être sûr de leur commun amour, sollicite
l’accord de sa future épouse et pratique un rituel de mariage africain. Mais la
transgression, même ritualisée, trouve ses limites : jamais il ne la
ramènera en France. En épousant une femme noire, il s’expatrie à vie, il épouse
un continent qu’il ne quittera plus. Le déchirement géographique remplace ici
le déchirement affectif.
À cette alternative (rentrer en France sans la femme
noire/rester avec la femme noire sans rentrer en France), le feuilletoniste
Louis Noir trouve d’autres issues définies en termes d’alternance. Avec des
variantes qui différencient Le Lion du Soudan de Prisonnières au
Dahomey, il invente des personnages géographiquement et mentalement
partagés entre les deux continents. Dans le premier roman, paru en 1869, ses
héros vivent dans une sorte de schize imaginaire, partagés qu’ils sont entre le
pays colonisateur et le pays non encore colonisé. Aussi longtemps qu’ils
résident en France, lieu de la contention pulsionnelle, ils sont les hommes les
plus galants et policés du monde ; comme les mondains les mieux rôdés, ils
pratiquent la musique de chambre et le baise-main, admettent les règles de
l’amour courtois, les bienséances sociales, se plient sans résistance aux
interdits juridiques et moraux. Mais qu’ils viennent à franchir, au sud de
l’Algérie, la limite des régions soumises au pouvoir colonial et le fauve qui
sommeillait en eux se décage : ils violent, égorgent, décapitent avec
allégresse, tandis que leurs douces compagnes décorent l’entrée de leur tente
avec des colliers d’oreilles humaines qu’elles ont elles-mêmes coupées. La
sauvagerie que le romancier prête généreusement aux populations sahariennes
légitime, dans une spirale sans fin de vengeance, les actes de ses héros, une
sorte de darwinisme social primaire accordant au plus fort le droit d’exercer
une cruauté illimitée sur les faibles et les vaincus. Livré à une animalité
primitive qui dilapide les vies sans compter, l’espace pré-colonial autorise et
déchaîne sans mesure les pulsions que la loi française réprime et refoule.
L’Afrique non encore colonisée est donc à la France ce qu’est l’univers
onirique par rapport à la socialité diurne : le lieu de la libération
libidinale, du retour du refoulé et du passage à l’acte.
Continent noir et face ténébreuse du désir, elle est le Ça de la France
coloniale.
Un quart de siècle plus tard, cette même schizophrénie
reparaît dans Prisonnières au Dahomey du même Louis Noir, mais à front
renversé. Épris de la Vénus de Widah, la plus belle femme du Dahomey, le capitaine
Jacquemart, chevalier d’industrie français aussi amoral et féroce que ses
prédécesseurs, choisit cette fois de l’épouser et dresse le bilan des avantages
présentés par ce mariage exotique :
Les préjugés, je
m’en moque et je n’en souffrirai pas […] ; j’ai une fortune très
convenable ; je suis fiancé à la Vénus de Widah, une des plus belles
filles qui soient au monde, quoique noire ; je passerai tous les ans trois
mois à Paris en garçon et je mènerai entre deux voyages une vie de patriarche à
Widah ou à Kotonou. Mes enfants seront de moi, car une Dahoméenne ne trompe
jamais son mari ; étant de moi et de ma Vénus, ma progéniture sera belle
et intelligente ; je serai le plus heureux des hommes.
D’un
roman à l’autre, on voit de nouveau que les temps ont changé : c’est
désormais l’Afrique, et plus exactement la société dahoméenne, qui incarne la
loi morale répressive. Louis Noir, qui puise ses informations dans le
témoignage d’E. Chaudoin, Trois mois de captivité au Dahomey,
offre en effet de cette société une image terrifiante : si les épouses y
sont fidèles, c’est que le moindre soupçon d’adultère y est puni de mort. Quant
à imaginer qu’elles puissent refuser un Européen, la question ne se pose même
pas. À en croire le romancier, « le blanc est un être d’essence
supérieure ; un blanc fait beaucoup d’honneur à une négresse en daignant
l’aimer ; comme mère, elle est incomparablement orgueilleuse de mettre au
monde des petits messieurs blancs ».
Mais si la France devient pour Jacquemart le lieu des récréations et des
raffinements érotiques prohibés par la saine morale conjugale, elle est aussi
trop policée pour offrir un exutoire aux pulsions sadiques que ses
prédécesseurs allaient satisfaire en Afrique. Ce dernier ajoutera donc un
troisième volet à sa double vie : il conduira à l’intérieur de l’Afrique des
expéditions paramilitaires tournant en de beaux carnages qui, décrits avec
jubilation, forment l’essentiel du roman de Louis Noir.
Dénégation, zoophilie, schizophrénie : l’éros
colonial, tel qu’il affleure dans les fictions d’aventures africaines publiées
autour de 1900, paraît décidément bien malade. De fait, il n’y a pas d’amour
heureux, à notre connaissance, entre Blancs et noires. Et, on l’a deviné, par
d’amour du tout entre – impensable absolu – Noir et Blanches. Pas de
cohabitation entre les deux espaces géographiques et mentaux, entre les deux
modes d’expression et de satisfaction du désir, entre ce que l’époque de Taine
et de Barrès appelait les deux « races ».
Mais cet éclatement,
s’il témoigne du clivage bourgeois fin-de-siècle
entre les deux fonctions de la
sexualité que représentent l’épouse et la
prostituée, la chambre conjugale et
le bordel, prend avec la colonisation une expansion continentale, au
point de
régir un vaste système imaginaire binaire opposant la
France à l’Afrique et,
avec elles, l’amour à la cruauté bestiale, la
beauté à la hideur, le présent au
passé archaïque, la conscience à
l’inconscient, l’humanité à
l’animalité.
Tout
se joue évidemment sur la barre séparant les deux
ensembles. De 1870 à 1910, on voit s’affaiblir les
oppositions, naître des
incertitudes et des mouvements de réversions. Certains
personnages franchissent
cette barre, sur le mode fantasmatique le plus souvent. Peu en
reviennent,
aucun ne l’efface. C’est évidemment qu’elle
n’est pas de nature géographique. À
une époque où les théories évolutionnistes
mettent en cause l’essentielle
différence séparant l’homme du singe, où les
interrogations protofreudiennes
esquissent pour la brouiller aussitôt la frontière
séparant le Moi de ce qui le
travaille par en-dessous et qui n’a pas encore de nom,
c’est bien devant son
inquiétante étrangeté intérieure que la
découverte de l’intérieur de l’Afrique
– « “l’Afrique intérieure” de notre Inconscient domaine »
selon la formule lucide de Jules Laforgue – place la conscience occidentale.
Comme le rappelle Isabelle
Guillaume (Le Roman d’aventures depuis ‘L’Île au trésor’, L’Harmattan,
1999, p. 163), l’absence des femmes est une caractéristique du roman
d’aventures : l’univers viril les exclut en même temps qu’il n’a de sens
que par le désir qu’elles suscitent. Le mariage final est la récompense
sexuelle d’une longue période d’ascétisme et de renoncement pulsionnel, épreuve
grâce à laquelle le héros gagne son brevet de virilité.
Firmin-Didot, 1887, p. 79.
Henri de Noville, Le
Trésor de Mérande, roman d’aventures contemporaines, Plon, 1903, p. 281-282.