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Jean-Marie Seillan

Université de Nice Côte d’Azur

 
ÉROTISME ET SAUVAGERIE

DANS LE ROMAN D’AVENTURES AFRICAINES

À LA FIN DU XIXe SIÈCLE

 

Hormis les bordels, les ateliers des peintres et les bains de mer, rares sont dans la France de la fin du XIXe siècle les « lieux où se font voir / La nudité de l’homme et celle de la femme »[1]. Les codes sociaux et vestimentaires, on le sait, y régulent avec autant de complexité que de rigueur l’exposition du corps dévêtu au regard des autres. Or, parmi les multiples découvertes qu’il occasionne, le continent africain apparaît comme un monde où les « naturels » vivent dans une nudité depuis longtemps associée à la sauvagerie et à l’érotisme. Sade déjà les conjuguait dans l’utopie africaine qui forme l’un des épisodes de L’Histoire de Sainville et de Léonore (1788)[2]. Plus récemment, on se rappelle la place occupée par la métisse Jeanne Duval dans les Fleurs du mal et la condamnation du poème « Les Bijoux » par le tribunal correctionnel (« La très chère était nue et connaissant mon cœur / Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores ») ; ou encore la contribution de Mallarmé au Nouveau Parnasse satyrique du XIXe siècle, paru en 1866, « Une négresse par le démon secouée… »[3], qui unissait corps noir, sexualité et diabolisme. Mais si cette Afrique poétique n’atteignait guère que les milieux artistes héritiers de l’orientalisme romantique, celle que diffusa le roman populaire à partir des années 1880 touchait un public moins lettré et beaucoup plus étendu.

Les récits authentiques d’explorations africaines, dans leur texte et leurs gravures, comportaient en effet une double dimension exotique (le noir) et érotique (le nu) que légitimait et innocentait, au regard de la morale publique, leur dessein ethnographique. Mais les romanciers qui puisaient leurs informations dans ces récits de voyage n’étaient pas assujettis au même degré à cette contrainte référentielle. Leur liberté d’écriture, intriquée dans les réseaux de leurs propres désirs, se mesurait en termes de recevabilité par les éditeurs, le public ou éventuellement les tribunaux. Dans le cas de la littérature de jeunesse, la question était résolue, du moins en apparence, par le refoulement systématique du désir. Asexués, les jeunes héros de Jules Verne prêtent si peu d’intérêt au corps féminin blanc ou noir qu’on les a déclarés, comme on sait, homosexuels. Mais il n’en va pas de même chez les romanciers qui visaient un public adulte, en particulier chez ceux qui écrivaient alternativement, comme Adolphe Belot ou Armand Dubarry, des romans érotiques et des romans d’aventures africaines. En mettant en scène des explorateurs privés de femmes durant des mois ou des années[4], ils devaient et souvent désiraient scénariser les phénomènes dérangeants de l’exhibition des corps noirs et nus et, au-delà, des relations sexuelles entre Blancs et Noires. Dans leurs romans, la censure n’est plus seulement imputable aux bienséances ou aux politiques éditoriales, mais au fait que ces rapports mettent le Blanc au contact d’une sauvagerie dont il apparaît très vite qu’il la vit dans une ambivalence faite de désir et de répulsion, de fascination et d’effroi. Cette littérature se trouve ainsi placée dans la singulière obligation de dire et ne pas dire le désir, de voir et ne pas voir la nudité sauvage, d’étreindre et de repousser le corps noir.

Parmi les divers moyens imaginés par les romans d’aventures pour fictionnaliser ce dilemme, on retiendra ici les trois formules les plus récurrentes[5]. La première, qui a tout l’air d’une dénégation, consiste à désamorcer l’agression du désir soit en désexualisant la nudité sauvage au moyen de l’esthétisation pratiquée dans les ateliers des peintres ou des sculpteurs académiques, soit en assurant que rien dans ce continent hideux n’est digne d’éveiller le désir du voyageur européen. Inverse dans ses procédés mais non dans son objectif, la seconde prohibe le désir sexuel suscité par la femme africaine en le fantasmant comme une perversion bestiale dans le cadre d’un darwinisme rudimentaire qui ne rapproche les races et les espèces que pour mieux les séparer. Moins brutalement exclusive et plus propice aussi à l’affabulation feuilletonesque, une dernière formule admet la femme noire comme objet de désir et d’amour, mais la parque prudemment dans un espace géographique ou mental d’où le scénario du roman, par des stratagèmes variés, l’empêche de sortir. Dans les trois cas, c’est moins par sa présence que par son éviction que la nudité noire apparaît comme l’écran obscur du fantasme masculin occidental.

            
 Dénégation

 Parmi les nombreuses procédures mises en place pour désexualiser la nudité de la femme noire et nier la tentation qu’elle menace de représenter, l’une des plus communes vise, en la transférant dans l’univers culturel occidental, à l’assujettir à des modèles iconographiques ou littéraires connus et contrôlables. La plus radicale est de la représenter, suivant l’imagerie chrétienne, comme Ève au jardin d’Éden, c’est-à-dire à un moment antérieur à la tentation et à la naissance du désir. Louis Noir décrit ainsi, dans Au pays des cannibales, la nudité des Banziris :

 Les femmes vont nues.

Elles sont aussi belles que les hommes.

Malgré le nu, malgré leur grande liberté avec les jeunes gens, elles sont très chastes, de mœurs très pures.

L’adultère non seulement est inconnu chez les Banziris ; mais ils ne le comprennent pas.

Le plus curieux, c’est que si l’on donne à des jeunes filles des étoffes pour s’habiller, elles les regardent, s’en amusent un instant, puis les abandonnent.

Elles ne veulent pas se vêtir.

Èves avant le péché. [6]

À vrai dire, cette formule extrême demeure assez rare, peut-être parce que la plupart des auteurs de romans coloniaux sont, comme Noir lui-même, des esprits laïcs et libre-penseurs. Une variante moins démesurément idéalisante apparaît dans un roman d’Edmond Deschaumes intitulé Au pays des nègres blancs[7] où l’univers biblique est remplacé par celui, inattendu, de la tragédie classique. La noblesse morale, le respect des convenances, le choix de la litote, tout vise à réfréner le surgissement du désir dans ce roman où des explorateurs, perdus entre l’Ogooué et le lac Tchad, sont conduits à traverser le royaume de la reine Gavina. Ils y découvrent une société paisible et frugale, vivant dans l’harmonie depuis que les femmes, lassées du déplorable gouvernement des hommes, leur ont confisqué le pouvoir et les ont rendus « heureux de ne plus être les maîtres ». Tandis que le roi, « gras et hilare », a réinvesti sa libido inemployée dans la gourmandise qui le fera périr d’indigestion, les femmes ont cessé d’être « perfides, coquettes, menteuses, gourmandes et paresseuses ». Reine élue et éclairée, Gavina a sublimé ses désirs : elle porte le même vêtement à l’antique que ses sujets, refuse les soieries brochées d’or qu’on lui offre et ne s’intéresse plus qu’aux sciences exactes. Mérites que l’auteur compare à ceux des cités de la Grèce antique, où elle aurait pu trouver place du fait l’hellénisme classique de sa beauté.

 

Gavina était vêtue d’une simple tunique de coton ; mais cette tunique, drapée en lignes élégantes, retombant en plis harmonieux, moulait son corps vigoureux et superbe. Le cou, les bras, les pieds, les chevilles, par la délicatesse de la peau, la régularité classique de la ligne et de la forme, évoquaient la radieuse beauté de la statuaire grecque dont la jeunesse est éternelle.[8]

 

Ainsi statufiée et marmorisée, la reine de ce Télémaque à l’africaine semble aussi libérée du désir qu’une figure de bas-relief antique. Jusqu’au jour pourtant où, incapable de réprimer l’amour qu’elle éprouve pour bel explorateur, elle décide de l’épouser, l’emprisonne et le force à se sauver à toutes jambes. Fatale à cette gynécocratie utopique, le désir a fait resurgir en elle l’Amazone guerrière que redoute l’imaginaire fin-de-siècle. Même quand elle se drape dans la dignité des héroïnes antiques, la femme africaine, bête inassouvissable, est faite pour être fuie.

Un moyen de conjurer cet appétit trop ardent est de décrire la nudité africaine – tradition esthétique chère à Théophile Gautier – dans les termes d’une sculpturalité minérale ou métallique qui, en déplaçant la norme évaluative du terrain de la sensualité à celui de l’esthétique, la soumet à un jugement d’ordre plastique et finalement la désérotise. Vue par Belot dans La Vénus noire[9], la reine des Amazones, Walinda, est donnée, certes, comme une Vénus, mais une Vénus (f)rigidifiée par le matériau métaphorique qui sert à la transférer d’un règne vers un autre.

 

Elle était entièrement nue, inondée de soleil ; sa chair colorée, rouge plutôt que brune, se détachait magnifiquement des flancs ombrés et grisâtres de la montagne. Lorsqu’elle s’arrêtait, on était tenté de la prendre pour une splendide statue en terre cuite, de grandeur naturelle, incrustée dans le roc[10].

 

L’on comprend pourquoi Belot a engagé un peintre dans son expédition fictive : grâce à la médiation d’un regard d’artiste, son roman dénude les corps noirs comme on le fait des académies d’atelier et les lecteurs s’autorisent à contempler ces « belles statues en bronze clair »[11] derrière l’alibi du discours esthétique. En contrepartie, le portrait devenant ekphrasis, cette Afrique peuplée d’anatomies sculpturales à l’immobilité parnassienne finit par ressembler au catalogue d’un Salon de peinture. Tableau, ici, d’un groupe de bayadères endormies surprises par un voyeur qui se croit devant une toile d’Ingres :

 

Le dos recourbé de la femme accroupie, ses mains et ses pieds étaient d’un modelé parfait ; la statuaire antique n’eût désavoué ni les hanches de la femme penchée sur le côté, ni la ferme poitrine, ni les épaules superbes de ses deux compagnes.[12]

 

Ailleurs, c’est un jeune prisonnier nu qui cabotine en tenant la pose :     

 

Ses traits sont réguliers et d’une grande énergie, ses yeux étranges d’expression, et son sourire a quelque chose de sardonique. Une belle statue de bronze, œuvre d’un grand artiste, donnerait seule une idée de ses formes sculpturales et de sa chair d’un brun chaud avec des reflets métalliques. Malgré les liens qui l’enserrent, le captif a conservé une fière attitude. La jambe droite est bien posée, son buste se redresse, sa tête, au lieu de s’incliner sur l’épaule, est droite et ferme.[13]

 

Le procédé permet évidemment de préserver la pudeur de Laure de Guéran, l’héroïne parisienne qui « passe au milieu de toutes ces peuplades sauvages, sans songer à leur nudité, ni à leur corruption. Elle poursuit fièrement, chastement, sa route »[14].

Mais le Belot qui écrivait des romans érotiques se satisfait mal de la congélation du désir provoquée par l’académisme pictural. Jouant sur deux tableaux, il compte aussi sur l’interdit pour éveiller le désir de transgression. S’il peint les corps africains comme des compositions néo-classiques, c’est en songeant aux pudenda que l’Afrique réelle exhibe, comme il l’a lu chez Schweinfurth[15], mais que le romancier regrette de ne pouvoir nommer. Embarras dont il se tire soit en priant la nature de gazer, tel un peintre de Venus pudica, ce qu’il aurait aimé dévoiler (« Étendue sur le dos, entièrement nue, un peu cachée cepen­dant par l’herbe de la prairie, qui s’était écartée pour la recevoir et maintenant se refermait […] »[16]), soit, plus souvent, par une plaisanterie grivoise qui ajoute à la nudité un alibi mythologique et un esprit boulevardier à effet distanciateur. « Les naturelles de cette contrée, nous dit-il, sont évidemment filles de Vénus. Cette déesse de l’antiquité aura dérogé avec un dieu nègre, dont la mytho­logie, par discré­tion, ne nous a point parlé »[17]. Moins réservé parfois, il s’autorise des sous-entendus salaces, par exemple à propos de la bande de tissu servant de vêtement aux femmes Mombouttous : « Je leur donne volontiers cette attestation de pudeur, sans y joindre un certificat de vertu : mon amour de la vérité s’y oppose »[18]. Cette même combinaison de l’érotisme, de l’humour et du modèle sculptural, les deux derniers servant à voiler le premier, apparaît dans le dernier roman publié sous le nom de Verne, L’étonnante aventure de la Mission Barsac, à propos de la tenue de Malik, une jeune esclave de quinze ans achetée : « Comme elle n’a d’autre vêtement qu’une simple feuille qui ne vient évidemment ni du Louvre ni du Bon Marché, “mais peut-être du Printemps”, suggère Saint-Bérain, elle ressemble à une jolie statue de marbre noir »[19].

Un cuistre comme Louis Jacolliot choisira, lui, de confier au savoir scientifique plutôt qu’à l’humour le soin de désigner la sexualité noire tout en la tenant à distance. Il énonce une « loi physiologique » d’une « vérité absolue » selon laquelle « la femme blanche ne se donne pas au noir, et les négresses dédaignent absolument les mâles de leur race pour courir avec ardeur aux embrassements des blancs ». D’où il démontre que la race noire, stérile, est « une couche humaine qui disparaît peu à peu, comme ont disparu les anciens glaciers du Rhône », et que l’humanité entière « semble marcher à l’unité de la race blanche, c’est-à-dire la race à cheveux longs, et au type indo-européen dans le monde »[20]. Flatteuse pour la fatuité des Blancs, rassurante à long terme pour leurs angoisses racistes, cette prétendue loi atteste surtout à quel point la tentation de l’érotisme « sauvage » est jugée transgressive.

Si la fiction romanesque censure l’érotisme en niant ou en dissimulant son existence, elle y parvient aussi, inversement, par son hyperbolisation. Dans ce cas, l’explorateur ne dément nullement l’existence d’un éros sauvage, mais il se prétend saisi devant son déchaînement d’une répulsion qui le rend insensible à toute forme de séduction. La castration qui frappait la femme elle-même rejaillit alors sur le voyageur étranger. Le plus souvent en effet, la sexualité sauvage est liée, à ses yeux du moins, à la danse chargée de la préparer. Or il interprète la danse africaine au travers de modèles puisés dans son expérience de la société européenne – transgression carnavalesque, crise d’hystérie collective, séduction amoureuse – qui se révèlent également inappropriés et dépréciatifs[21].

Dans Un Capitaine de quinze ans, dont la partie africaine de l’aventure se passe en Angola, Verne, utilisant une formule qui sera inlassablement paraphrasée, décrit les danseurs comme des « singes en délire »[22]. Tout aussi réprobateur, Dubarry assure qu’en Afrique, « du premier au dernier échelon de l’échelle sociale, tout le monde se livre à une pyrrhique échevelée, même dans les circonstances graves de la vie »[23]. Les ouvrages de vulgarisation ethnologique ne sont pas en reste : dans Au Pays des nègres, sous-titré Paysages et peuplades d’Afrique, Tissot et Améro optent pour cette lecture propice à l’infantilisation ou à l’animalisation en confirmant que « ce qui est commun à tous les Africains, c’est leur penchant à jaser, rire, se livrer avec frénésie à des danses, entremêlées de mascarades grotesques »[24]. On devine que cette carnavalisation de la danse, loin d’inviter le voyageur étranger à y participer, l’isole dans un mépris hautain.

La mode médicale des années Charcot conduit aussi les romanciers à identifier la danse, dont la gestuelle inintelligible leur paraît pathologique, à la crise d’hystérie. La cérémonie mystico-érotique décrite sous le nom de messe noire par Huysmans dans Là-bas (1891) est manifestement présente à l’esprit d’un romancier comme Louis Noir quand il écrit Prisonnières au Dahomey. À en croire ce roman-feuilleton paru en 1892-93[25], les Grandes coutumes dahoméennes, inaugurées par des danses, versent dans une orgie collective qui sert elle-même de préalable aux jouissances du massacre. Cocktail de réminiscences classiques, de psychopathologie et de satanisme, avec pour base un racisme biologique virulent :

 

Les danses de guerre commencent ; huit mille bons soldats, quatre mille amazones, cinquante mille hommes, femmes et enfants s’agitent comme des possédés ; l’hystérie du massacre s’empare de cette multitude qui délire et pousse des hurlements ; l’orchestre précipite sa cadence ; la rage des soldats et du peuple monte à son paroxysme ; les amazones semblent des furies déchaînées ; une odeur âcre, l’odeur noire, âpre et violente senteur du nègre en sueur, émanation charnelle très musquée et très pénétrante, se dégage de cette masse en rut sanguinaire. [26]

 

Ainsi perçus, les danseurs africains s’excluent de l’humanité. Réintégrer celle-ci exigerait d’eux qu’ils s’arrachent à ce processus de désindividuation (« Hommes et femmes, maintenant, tout est mêlé, tout se trémousse, torse nu, la gorge au vent ; la masse noire semble ne plus faire qu’un tout ») et atteignent à une maîtrise pulsionnelle incompatible avec l’Afrique. Ce que confirme l’héroïne noire du roman, surnommée la Vénus de Widah en raison de sa beauté, en apprenant qu’elle a été demandée en mariage par le capitaine Jacquemart : « Je suis Française, maintenant, je suis dame, je ne danserai plus »[27].

Le plus souvent pourtant, la danse africaine reçoit une explication érotique. Civils ou militaires, les mâles français de la fin du XIXe siècle associaient en effet le corps nu aux pratiques des maisons closes. Que l’Afrique soit un monde où l’on ne couvre qu’imparfaitement la poitrine ou les parties génitales constitue à leurs yeux la preuve d’une sexualité anarchique. Présent jusque dans Voyage au bout de la nuit, le fantasme occidental d’un désir noir que ne borneraient aucune règle sociale, aucune censure, transforme la nuit africaine en une vaste orgie collective enchevêtrant Éros et Thanatos, tandis que l’angoisse provoquée par la levée des interdits protecteurs a pour effet d’animaliser et de diaboliser ceux qui s’y abandonnent. Les fêtes africaines sont censées mimer une sexualité que la culture occidentale s’enorgueillit d’avoir appris, elle, à maîtriser ou à sublimer. Le romancier Dubarry emprunte ainsi à un missionnaire anonyme un portrait de la femme dahoméenne caractéristique de son assimilation à la sorcière médiévale :

 

Ici la femme est un être abominable, sans pudeur, sans honte, et méchante comme la vipère. On la voit, la pipe à la bouche, courir de danse en danse, et se livrer ainsi du matin au soir à toutes sortes d’orgies et de crimes. Il y a possibilité de ramener les hommes, mais on n’a presque rien à espérer des femmes. [28]


Le salut consiste donc à fuir la danse et ce qu’elle préfigure. Voyageant sur les rives du Niger, Louis Jacolliot, qui se pique pourtant d’ethnologie, ne voit dans ces fêtes qu’un « grotesque charivari compliqué de danses obscènes, auxquelles un esprit un peu délicat a hâte de se soustraire »[29]. De même, il voit les habitants de la région de Khartoum « sauter comme des forcenés en poussant des cris sauvages » et jette le voile sur des assemblées nocturnes dignes selon lui « de Sodome et de Gomorrhe »[30]. De la part d’un voyageur dont les récits cultivent les tableaux grivois (long épisode libertin avec érotisme de groupe dans un harem d’Égypte) et le voyeurisme à alibi anthropologique (gros plans complaisants sur des scènes d’excision), ces prétéritions hypocrites prouvent que l’érotisme raffiné est, à ses yeux, le privilège culturel du Blanc et que le Noir demeure parqué dans une sexualité bestiale compliquée de composantes sadiques.

Qu’ils aient lu ou non Noir ou Jacolliot, la plupart les romanciers considèrent la danse africaine comme un préliminaire sexuel, un contorsionnisme aphrodisiaque auquel il est indigne de prêter attention. De ce jugement découle un effet romanesque inattendu : nombre d’expéditions fictives embarquent avec elles un héros gymnaste ou acrobate chargé – puisque le Blanc ne se laisse égaler dans aucune activité – de surpasser les Noirs sur le terrain de l’agilité physique nécessaire à la danse. Mais nul doute que cette supériorité acrobatique ne soit là pour désigner aussi sous une forme euphémisée sa supériorité sexuelle[31]. Quant à en apporter la preuve physique, le Blanc s’en garde bien. Castrat colonial au service de la France, il traverse sans émoi ni érection les scènes les plus torrides et, à l’image de la plupart des explorateurs réels, si l’on se fie du moins à leurs comptes rendus de mission, n’éprouve aucune tentation.

Louis Jacolliot par exemple, se plaît dans son Voyage aux rives du Niger, déjà cité, à décrire la beauté des jeunes esclaves que les chefs de villages lui offraient au passage de son expédition, mais n’admet jamais avoir pu éprouver pour elles le moindre désir. Dans un chapitre au ton égrillard, il raconte ainsi qu’un roi du Bénin lui fit présent, pour faire « un peu de musique de chambre » [c’est Jacolliot qui souligne], « deux jeunes négresses de quatorze ou quinze ans au plus, à la mine éveillée et presque malicieuse, noires à faire honte à l’ébène, et moulées comme des statues de la jeunesse, [n’ayant] pour tout vêtement qu’un pagne léger, qui, enroulé autour des hanches, ne descendait même pas jusqu’aux genoux ». Mais comme le roi Arobo n’aurait pas manqué, à l’en croire, de faire mettre à mort les deux jeunes filles si leur destinataire les avait refusées, Jacolliot assure les avoir reléguées sur une natte au pied de son lit avant d’expliquer à son lecteur, à grand renfort d’euphémismes et de périphrases suspectes, que « rien n’est dangereux, sous ces latitudes chaudes et humides en même temps, comme les nuits distraites de leur destination naturelle »[32].

Comme on en juge, les processus narratifs de refoulement sont multiformes, à la condition qu’ils n’empêchent pas la nudité d’apparaître, fût-ce sous forme de dénégation ou de prétérition.

  
Zoophilie

 Un moyen de satisfaire et de conjurer à la fois le désir éveillé par la nudité sauvage est de rejeter la femme africaine hors de l’humanité. Ce processus découle de la vulgate darwinienne qui, autour de 1880, avait banalisé l’idée que l’homme et le singe appartenaient à une même lignée. La porosité de la frontière séparant les règnes de l’humain et de l’animal devait développer l’idée, attestée depuis longtemps dans la littérature chez les partisans des thèses polygénistes[33], de leur faire entretenir des relations amoureuses. La fiction romanesque, dont c’est là le domaine favori, offrait un lieu propice à l’expression de cette relation ambivalente, dans sa double composante de désir et de répulsion.

On connaît ainsi le caractère simiesque accusé des amoureuses exotiques de Pierre Loti comme la Fatou-gaye du Roman d’un spahi (1881). L’étude que leur a consacrée Jennifer Yee[34] montre cependant que la frontière des règnes n’y est franchie que sur le mode comparatif ou métaphorique. Malgré ses « minauderies de ouistiti amoureux » et ses « pattes de singe », la jeune khassonké reste créditée d’une « fine petite figure grecque » qui interdit de la ranger biologiquement dans le règne animal et soustrait ses amours à la franche bestialité[35]. D’autres romanciers en revanche, plus audacieux ou plus inconscients, franchissent le pas. S’ils commencent par rappeler les différences séparant les règnes de l’animal et de l’homme, c’est dans le dessein de mettre en récit le processus même de leur transgression.

Sensible par convictions darwiniennes aux liens génétiques unissant l’humanité aux grands anthropoïdes, J. H. Rosny aîné imagine d’obscures affinités entre les Africaines et les grands singes. Dans Le Trésor de Mérande, roman publié en 1903 sous le pseudonyme d’Henri de Noville, il fait se rencontrer dans une forêt équatoriale un groupe d’aventuriers français et une famille de gorilles. Les premiers ayant recueilli et soigné le petit d’une des femelles qui vient le reprendre, les deux espèces s’observent d’abord mutuellement au cours d’une longue scène muette :

Il y avait quelque chose de poignant dans cette entrevue. C’était comme si, ressuscitée, une famille humaine des temps tertiaires se fût trouvée en présence de ses descendants. Trois cent mille, quatre cent mille ans peut-être séparaient ces créatures que le hasard assemblait, pour quelques minutes, dans une forêt, au crépuscule…

 
Or, au nom des affinités morphologiques liant phylogénétiquement les Noirs et les singes (le gorille, explique Rosny dans la même page, a « exactement le visage d’un nègre, mais d’un nègre aux mâchoires immenses et de l’espèce la plus dégradée »[36]), c’est à une jeune Africaine nommée Diola qu’il confie la tâche de franchir, en médiatrice maternelle et pacifique, l’espace symbolique la séparant de la femelle gorille et de lui restituer son petit. Mais Diola, une esclave libérée quelques semaines auparavant et dont la beauté est décrite dans les termes les plus admiratifs, est devenue entre-temps la compagne de l’un des voyageurs français. En assurant la transition entre le héros blanc et le primate, Dioula, femme d’Afrique, illustre la contiguïté des règnes humain et animal ainsi que la continuité de la vie depuis son origine.

Si Rosny en reste là, sa pudeur constitue sur ce point une exception. Pour la plupart des romanciers, en effet, la forêt équatoriale métaphorise l’inconscient et ses désirs obscurs. Parce qu’il est pensé comme un « naturel » non encore assujetti à la répression pulsionnelle, le Noir s’autorise ce que le Blanc s’interdit, et ce que le Noir lui-même s’interdit, c’est l’animal qui s’y livre. De là la fascination des romanciers français pour l’hypersexualité prêtée aux grands singes et le succès remporté par le motif de la femme séduite ou enlevée par un gorille. En associant humanité et animalité, sexualité prédatrice et victimisation plus ou moins complice, ce motif dérivé par désymbolisation du mythe de la Belle et la Bête forme un cocktail érotique propre à fasciner l’imaginaire de la fin du XIXe siècle.

À notre connaissance, ses manifestations ont été plastiques avant d’être romanesques. En 1859, le sculpteur Emmanuel Frémiet soumet au jury du Salon un groupe (détruit) intitulé Orang-outang entraînant une femme au fond des bois dont Baudelaire démêle sans tarder les composantes et condamne le caractère équivoque:

 Songez bien qu’il ne s’agit pas de manger, mais de violer. Or le singe seul, le singe gigantesque, à la fois plus et moins qu’un homme, a manifesté quelquefois un appétit humain pour la femme. Voilà donc le moyen d’étonnement trouvé ! ‘Il l’entraîne ; saura-t-elle résister ?’ telle est la question que se fera le public féminin. Un sentiment bizarre, compliqué, fait en partie de terreur et en partie de curiosité priapique, enlèvera le succès.[37]

 
Frémiet, dont le jury refuse l’œuvre, récidive trente ans plus tard et reçoit une médaille d’honneur au Salon de 1887 pour un Gorille du Gabon enlevant une femme[38]. Car les temps ont changé. Sensible aux thématiques nouvelles de l’imaginaire décadent, La Revue illustrée du 15 juin décrit élogieusement le groupe (« la femme se balance dans le vide, torturée, lacérée de coups de griffes, tenus à la hauteur des seins, étouffée contre le poitrail du gorille ») avant d’y reconnaître – avec des mots introduits par Baudelaire dans le langage de la critique – « le symbole atroce de la brutalité sans frein qui a raison de la beauté […] et, dans sa bizarrerie, une modernité spéciale et violente ».

La spécialisation des gorilles – « ces frères effrayants de l’homme » selon l’un des stéréotypes africains que le Georges Duroy de Bel-ami rassemble pour écrire son premier article[39] – dans la lascivité hyperbolique semble s’être assez vite banalisée dans l’imaginaire littéraire. Dès 1867, les Goncourt avaient commenté dans Manette Salomon une toile du peintre Coriolis représentant un vieux paillard tout près d’une jeune fille. « Dans ce contraste, écrivaient-ils, de la femme et du monstre, du vieillard et de la jeune fille, de la Belle et de la Bête, le peintre avait mis l’espèce d’horreur de l’approche d’une blanche par un gorille », scène dont ils faisaient « la plus épouvantable, la plus révoltante, la plus sacrilège et la plus antinaturelle des antithèses »[40]. Dans le même esprit, À rebours donnait en 1884 aux derniers descendants de l’aristocratie décadente « des instincts de gorille fermentés dans des crânes de palefreniers »[41].

Mais c’est aux feuilletonistes qu’il revenait d’acclimater ce scénario scabreux. Certains d’entre eux se gardent de le traiter avec une brutalité excessive. Ils humanisent le singe et lui prêtent une galanterie troublante. Tel est le cas de Louis Noir en 1869 dans le Lion du Soudan, roman dont les aventures se déroulent dans une Afrique subsaharienne où les frontières délimitant les interdits moraux se franchissent aisément. Noir consacre un long épisode à l’enlèvement par des gorilles de deux fillettes de douze ans, métisses de noir et d’arabe, dont les héros du roman ont fait leurs maîtresses[42]. Il justifie cette passion zoophile par une vague théorie évolutionniste qui rapproche l’homme et le singe jusqu’à les confondre.

 
Pour nous, explique-t-il, le singe, à part la parole articulée, vaut le nègre ; c’est un nègre à peu près muet, qui ne peut formuler qu’une série très restreinte de sons ; faute de souplesse dans la voix, cette espèce humaine est restée en arrière de toutes les autres, mais de bien peu. […] Les négresses enlevées par les gorilles n’ont pas eu à se plaindre des mâles qui les ont prises pour compagnes, – un peu par la douceur, un peu par la violence.

 
Comprenons que reconnaître la quasi-humanité du singe permet au romancier d’affirmer la quasi-animalité du nègre. Dans son esprit, les deux héros Blancs se sont autant écartés de leur « race » en couchant avec des Africaines que le font les jeunes filles elles-mêmes en se laissant aimer par des gorilles. Car le romancier décrit tout un marivaudage entre les singes qui « couvraient de baisers, tout en courant, le front et les joues de leurs victimes » et les fillettes sensibles à leur tendresse : « Leur jolie tête s’inclina peu à peu et se posa sur celle des gorilles. Leurs bras charmants enlacèrent les cous velus de leurs ravisseurs. Elles les tinrent enlacés pour ne pas tomber ». La scène de séduction – qui n’aboutira pas à une union physique dont Louis Noir assure par ailleurs qu’il existe des précédents heureux – humanise le singe amoureux au détriment des Africains animalisés par comparaison :

 
Il voulait… Il n’osait…

En ce moment, toutes ses impressions, ses poses, ses tressaillements, étaient bien d’un homme ; qui l’eût vu, se fût cru en présence d’un nègre.

Et encore. Que de nègres eussent été plus brutes, moins élégants dans leurs gestes, moins discrets… dans leur indiscrétion que ce singe-là.

Les fillettes elles-mêmes sont touchées par sa délicatesse et, n’étaient les mérites inoubliables de leurs amants – des Français évidemment – qui les rattachent fragilement à leur problématique humanité, elles y céderaient volontiers :

 

– Vois-tu, Leïda, ces gorilles, moi, je crois décidément que ce sont des hommes muets.

Ils nous comprennent.

Ils font des choses étonnantes.

Vrai, les nègres de mon père ne sont pas aussi vifs, aussi adroits qu’eux ; s’ils parlaient…

– Et s’ils étaient beaux…

– Il y a des femmes qui pourraient les aimer.

– Pas moi, pourtant.

– Ni moi !…

Mais c’est parce que nous avons le cœur pris.

 

C’est à un scénario voisin que recourt Léo Dex, spécialiste du roman d’aérostation, dans Du Tchad au Dahomey en ballon (1897)[43]. Il y montre, certes, que la sexualité relève de l’animalité et doit être contenue, mais aussi que le grand singe sait traiter avec courtoisie la femelle humaine qu’il désire. On y voit l’un de ces anthropoïdes, « redoutable frère de notre race », escalader la nacelle d’un ballon pour enlever un passager, un jeune Français dont ses compagnons de voyage, à la différence du lecteur mis dans la confidence, ignorent s’il est un garçon ou une fille. Or le désir du singe, lui, ne s’y est pas trompé : c’était bien une jeune fille. « Ainsi s’expliquait en même temps, et pourquoi l’anthropoïde avait enlevé l’enfant, et pourquoi il l’avait traité avec douceur… ». Et c’est seulement après cet épisode que le chef de l’expédition vérifie fortuitement par l’encolure de la jeune fille évanouie que l’animal perspicace avait raison.

Telle est la puissance fantasmatique de cette scène que Rosny la reprend en 1919 dans L’étonnant voyage de Hareton Ironcastle[44], un roman d’aventures situé dans une Afrique centrale touchant encore aux âges préhistoriques. C’est aux « Trapus », des êtres d’une extrême sauvagerie à peine entrés dans le processus d’hominisation, qu’il livre sa jeune héroïne Muriel. Mais, si cruels et primitifs qu’ils soient, ces Trapus, loin de violenter leur captive, rendent un culte à sa beauté au fond des galeries souterraines où ils vivent. Pourtant, à l’instant de la délivrance, Rosny ne résiste pas à la tentation de jeter Muriel aux bras du primate qui l’emporte et d’unir dans la même image « la tête du sauvage et celle de la jeune fille » comme une allégorie de la Civilisation menacée par la Sauvagerie. Il faut croire que la scène est devenue alors un poncif associé à l’Afrique puisque Céline y fait encore allusion en 1932, au détour d’une comparaison, dans l’épisode de l’Amiral Bragueton : « Ça valait un viol par gorille », écrit-il dans Voyage au bout de la nuit à propos de l’institutrice aux « ovaires fripés » qui (se ré)jouit à l’idée de voir Bardamu lynché[45].

Tous les gorilles, cependant, ne sont pas aussi délicats. Habile à exploiter les modes décadentes, le romancier Oscar Méténier publie en 1891 un roman antisémite (daté par l’auteur de 1883) intitulé Le Gorille[46]. Seul le prologue y raconte une aventure africaine, le mot gorille désignant métaphoriquement, dans le roman lui-même, un banquier juif peint avec les couleurs les plus odieuses. Méténier commence par résumer le peu que l’on sait alors de ces grands singes. « Pour les nègres de Guinée, explique-t-il, les gorilles sont d’assez méchants nègres, velus comme les troncs séculaires ou les roches où ils vivent, faisant des fagots, construisant des cabanes, enlevant des négresses pour leur sérail, mais ne sachant ni parler un idiome, ni faire du feu, les deux apanages de l’humanité »[47]. Après quoi il décrit une scène de chasse au cours de laquelle un go­rille kidnappe la fille, évidemment belle, innocente et vierge, d’un clergyman anglais évangélisant l’Afrique. Mais ce gorille-là ne badine pas avec l’amour. Méténier le laisse emporter sa proie et aide le lecteur à imaginer les sévices subis par une victime de dix-huit ans livrée aux désirs de la bête. « Nous retrouvâmes, sous un grand arbre, Esther gisant meurtrie, presque méconnaissable, roulée dans ses vêtements foulés et tachés de sang. […] Elle avait été guettée, emportée et violentée […] », écrit Méténier en révélant ici la prédilection pour l’érotisme sanguinolent qui fera en 1898 le succès de son Théâtre du Grand-Guignol. Mais il tire bénéfice de la découverte du corps de la victime et du massacre du gorille pour en conclure que le banquier juif mérite le même sort et le faire liquider comme une bête nuisible par le héros du roman.

C’est cependant chez Armand Dubarry que le motif zoophile semble avoir connu son plus riche développement. Le romancier l’ébauche en 1879 dans Voyage au Dahomey. Comme Méténier après lui, il rapporte les légendes courant sur le gorille chez les Guinéens et les ordonne selon une gradation significative du rôle imaginaire qu’il va lui prêter. « Suivant eux, explique-t-il, il ne tremble devant aucun animal […] il se construit des cabanes, enterre ses morts, arrache les dents d’ivoire des cadavres des pachydermes et les porte en guise de massue ; […] les femmes surtout ont tout à craindre de lui »[48]. C’est ce que mettent en scène les Aventures périlleuses de Narcisse Nicaise au Congo parues quelques années plus tard. Dubarry commence, selon l’usage, par établir une équivalence entre le singe et l’homme noir, le Congolais étant à l’en croire « une sorte de gorille qui ne s’apprivoise pas et chez lequel la captivité entretient et augmente les mauvais instincts »[49]. De fait, un long épisode du roman raconte avec complaisance comment une bande de vingt mandrills incarnant « la sensualité la plus bestiale, la passion la plus désordonnée » profitent de l’absence des hommes pour venir enlever les femmes d’un village congolais, car « on n’échappe pas à un mandrill surexcité quand on est femme ou enfant ».

 Les premières qui s’enfuirent furent rejointes d’un bond et étranglées ou assommées, ou mordues ; les autres, traînées hors des huttes, allaient subir des violences plus atroces […]. Douze femmes ou filles, abîmées, méconnaissables, baignaient dans une mare de sang.

 
Il revient évidemment à Narcisse Nicaise, seul représentant à titre d’homme blanc de l’humanité achevée et seul possesseur d’un fusil, d’endiguer ce flot de sensualité et de cruauté sauvages en massacrant les singes en rut, tout comme ceux-ci ont massacré les épouses. Et comme le chef du village reconnaissant le remercie en lui offrant une de ses femmes, Narcisse, confirmant que la femme noire est au Blanc ce que le mandrill est à la femme noire, observe avec consternation : « Et voilà le prix de ma victoire sur les mandrills : voilà la guenon avec laquelle on prétendrait me contraindre à passer le reste de mes jours !… »[50]

Suit alors, dans un chapitre entier[51], le singulier récit de l’opération de séduction amoureuse dont Narcisse se juge victime, la nuit suivante, de la part de sa nouvelle compagne. Nuit de noces cocasse et terrible ressemblant davantage à un récit de rêve qu’à un épisode de roman destiné à la jeunesse. Peuplée de tout un bestiaire phallique et castrateur, la scène révèle la force de l’interdit pesant non seulement sur le désir de l’homme blanc, mais aussi sur le droit à avouer ce désir, puisque le roman allègue des raisons culturelles euphémisantes (le chant et la danse) pour expliquer le désir-horreur éprouvé par le héros à l’idée de faire l’amour avec une femme noire :

 
La femme, indécise, embarrassée, attendait qu’il s’approchât d’elle ; elle semblait implorer une parole engageante, un appel […].

– Retournez auprès de votre mari, madame, lui ordonna-t-il ; votre place n’est pas ici.

La négresse comprit en partie, par le geste, ce qu’il avait proféré ; mais comme son devoir lui commandait de rester, elle s’accroupit sur la natte, à côté du lampion, espérant qu’elle gagnerait à être mieux vue, et se mit à psalmodier, pour tuer l’ennui, un chant décousu dont la mélopée monotone finit par agacer Pierrot et Narcisse, au point que l’un hurla et que l’autre s’élança irrité vers la chanteuse et lui signifia de se taire.

« Il n’aime pas la musique, parut se dire la négresse avec surprise ; essayons de la danse, nous serons peut-être plus heureuse… »

Et elle se livra à une sorte de bamboula qu’elle accompagna en faisant claquer ses doigts et en poussant des ho ! des ah ! des ih ! auxquels Pierrot mêla ses mélodies tapageuses, et que Narcisse fit cesser par une attitude tellement menaçante que la danseuse eut peur et se réfugia à l’extrémité de la case, où elle demeura silencieuse.

– Je préfère cela, mâchonna Narcisse, blême de colère ; qu’elle dorme et cesse de m’importuner ou je ne réponds plus de moi ; je la mets à la porte et la renvoie à celui qui m’en a gratifié. C’est déjà trop supporter sa puanteur. Pouah !

La répression du désir ne pouvant pas, chez un Blanc civilisé, donner une satisfaction physique à la violence intérieure qu’elle déclenche, c’est alors par transfert vers le monde animalier que celle-ci trouve à s’exprimer. Durant la nuit de noces (« Nuit blanche », dit le titre du chapitre) qui aurait dû être consacrée à l’amour, la case des amants impossibles est attaquée par une jungle en délire. D’abord par un léopard, puis par deux éléphants dont Narcisse voit dans son demi-sommeil les trompes effectuer ce qu’il rêve mais s’interdit lui-même de faire, c’est-à-dire s’introduire « dans des vases pour les mariés », enfin par des hyènes – hyènes issues d’un cauchemar enfantin, « sales, laides, désagréables, d’apparence hideuse, difformes, brutes, voraces, viles et lâches » – qui attaquent et emportent par la jambe la mariée que Narcisse avait mise à la porte de sa case et qu’il tente avec mille peines de leur disputer. Le matin venu, Narcisse, qui est étudiant en pharmacie, essaie sans plus de succès de rafistoler la jambe symboliquement sectionnée (« les dents du carnassier avaient coupé les nerfs et broyé l’os ; la fracture était irrémédiable ; il fallait amputer la jambe ») avec un sentiment de culpabilité proportionnel à la force du désir-terreur du viol réprimé en lui, cependant que, dans un long monologue, il cherche à plaider sa cause et à se disculper devant un tribunal intérieur présidé par un Surmoi qu’on devine impitoyable : « moi qui ne la désirais, ni ne la convoitais, j’en jure ». Révélatrice des « mystères sanglants et lascifs au fond des forêts »[52] que la nuit africaine réveille dans la fantasmatique du Blanc, cette scénographie délirante s’achève par une sorte de pandémonium macabre : des esclavagistes allument dans le village un immense incendie au sein duquel, comme par un effet de censure survenant à point nommé, le corps mutilé de la femme noire est réduit en cendres, tandis que Narcisse qui l’a refusée, frappé par un processus d’autopunition tout aussi opportun, est traîné en esclavage « comme un simple noir » avec ceux des habitants du village qui ont survécu. L’extrême violence de cet érotisme onirique laisse deviner à quel point le désir-dégoût suscité par la nudité de la femme noire peut être perçu comme pathologique.

 
 
Schizophrénie

 À en juger par les romans d’aventures que nous venons de citer, rares sont ceux qui osent, dans le dernier quart du XIXe siècle, mettre en scène des personnages assumant leur désir pour une femme d’Afrique. Il arrive cependant que le héros colonial s’attache à l’une d’elle au point de la choisir pour maîtresse ou compagne. Mais dans ce cas, il ne s’autorise à le faire qu’après avoir vaincu une longue résistance intérieure, génératrice d’un système quasi schizophrénique qui prend des formes narratives variables mais dans le fond similaires.

Un premier scénario consiste pour le romancier à réserver à la femme noire un rôle de victime tragique qui la fera disparaître au moment propice. Ainsi dans la Vénus noire de Belot (1877) dont l’héroïne possède le premier titre pour prétendre à ce rôle, celui de reine. Malgré sa nudité et sa sauvagerie, cette Amazone farouche a su séduire et retenir auprès d’elle l’explorateur de Guéran, considéré en France comme disparu. L’embarras commence lorsque Mme de Guéran arrive dans le royaume des Amazones à la recherche de son mari : comment cette Parisienne raffinée pourrait-elle reprendre sans s’humilier un époux qui a vécu des mois dans la case et les bras d’une sauvage vivant toute nue ? M. de Guéran lui-même acceptera-t-il l’apostasie amoureuse qui lui ferait abandonner celle qui a fini par devenir sa reine ? L’orgueilleuse reine Walinda se laissera-t-elle dérober sans résistance l’homme blanc dont elle est sauvagement éprise ? Questions feuilletonesques dont la solution, fidèle à l’éthique romanesque en cours dans les années 1870, ne réserve aucune surprise : il faut éliminer la reine noire et son amant blanc, coupables d’un péché racial originel. Walinda poignarde de Guéran par méprise et, inconsolable, finit par mettre fin à ses jours. Alors sa veuve pourra, en épousant un autre Français, reformer un couple qui n’aura pas été entaché par des mélanges inacceptables au regard supposé du lecteur. Le seul bénéfice pour la femme africaine aura donc été d’assumer, telle une Dame aux camélias noire, le rôle de l’héroïne qui se sacrifie.

C’est un scénario voisin que le capitaine Danrit recycle dans L’Invasion noire[53] (1894) en racontant les hésitations amoureuses d’un officier français de l’armée d’Afrique entre la fidélité due à la fiancée restée au pays et les tentations de l’érotisme colonial. Au capitaine de Melval, Danrit prête en effet une compagne nommée Nedjma, délicieuse mauresque de quatorze ans vêtue d’une cotonnade « drapée très artistiquement autour de son corps et laissant voir un sein nu »[54]. Comme l’exige le fantasme du colon, celle-ci a pour lui « le dévouement du chien pour son maître » du fait qu’il l’a, selon un scénario inusable, arrachée à l’esclavage. C’est bien le moins qu’en échange elle lui donne son sang à boire le jour où il meurt de soif dans le désert. Mais, si dévouée et désirable que soit Nedjma, de Melval la respecte par fidélité pour Christiane, la promise alsacienne dont le portrait ne le quitte jamais. Et pourtant, songe-t-il avec regret, « quelle différence entre ces splendides créatures du désert, aux vêtements bibliques, aux regards d’étoile, et ces poupées civilisées, au corps comprimé dans des fourreaux rigides, à la démarche étudiée, à la chevelure savamment apprêtée »[55]. Pour qu’il cède à son désir d’exotisme, il faut qu’un traître lui fasse croire que sa fiancée, là-bas, a trahi sa promesse – car un héros de roman ne s’autorise à coucher avec une femme noire que par désespoir. Mais qui peut croire que l’Alsace soit infidèle à la France ? qu’une Africaine puisse lutter avec les femmes de France dans un cœur de patriote ? Nedjma devra donc débarrasser le roman et l’officier, au moment où celui-ci rentre en France, de son encombrante beauté de quatorze ans. Forcé d’accomplir cet acte d’euthanasie romanesque, le romancier lui ménage un suicide opportun et distingué (elle se jette dans ses voiles blancs du haut d’une falaise), assorti d’une belle oraison funèbre :

Née à l’amour à un âge où elle n’en connaissait même pas le nom, elle s’était donnée tout entière à celui qu’avait choisi son cœur d’enfant, et elle était morte pour garder intact le trésor d’amour, qu’insouciante des haines de races et des rivalités de continents, elle avait prodigué hors de sa race et de son pays[56].

À cette incapacité des romans du XIXe siècle d’admettre un couple biracial sur le sol de France, Rosny aîné apporte une solution similaire mais inversée lorsqu’il donne à aimer à Montrose, l’un des aventuriers du Trésor de Mérande, déjà cité, la jeune esclave noire qu’il a libérée. Tout dans le portrait de cette dernière – références à la mythologie grecque, à la Renaissance, à l’Espagne ou aux femmes mauresques – vise à la désafricaniser. Chacun de ses traits, outre qu’il permet de composer un nu exotique de type pictural, récuse la morphologie africaine pour se modeler sur les canons esthétiques occidentaux :

 
C’était une fille, magnifique, qui justifiait amplement l’expression d’Aphrodite noire que venait d’employer Montrose. Elle était très grande, les extrémités fines, les jambes souples, aussi harmonieusement tournées que les jambes fuselées des jolies femmes de la Renaissance ; les bras ronds et charmants, la poitrine ample, rattachée aux épaules par des lignes délicates ; de petits seins à peine allongés, élastiques et durs ; un cou bien rond, bien doux, avec trois plis délicieux ; des cheveux abondants, plutôt crespelés que crépus, formant un grand buisson sombre ; enfin un visage rond, aux traits agréables, et qui rappelait le visage mauresque. Les lèvres, à la vérité, étaient un peu charnues, mais éclatantes de vie, et, à chaque mouvement, découvraient la ligne éblouissante des dents. Elle avait un nez presque droit et des yeux larges, violets plutôt que noirs, comparables aux plus beaux yeux espagnols.

– Ce n’est pas là une négresse ! s’exclama Montrose, ébahi, du charme de la N’gamana.

 
De fait, nous explique-t-on aussitôt pour rendre admissible la liaison qui va s’ensuivre, les N’gamanas « n’ont du nègre vulgaire que la couleur noire ». Montrose, qui n’a pourtant pas de fiancée alsacienne, n’en hésitera pas moins à posséder la « belle sauvage »[57]. Pour s’y résoudre, il attend d’être sûr de leur commun amour, sollicite l’accord de sa future épouse et pratique un rituel de mariage africain. Mais la transgression, même ritualisée, trouve ses limites : jamais il ne la ramènera en France. En épousant une femme noire, il s’expatrie à vie, il épouse un continent qu’il ne quittera plus. Le déchirement géographique remplace ici le déchirement affectif.

À cette alternative (rentrer en France sans la femme noire/rester avec la femme noire sans rentrer en France), le feuilletoniste Louis Noir trouve d’autres issues définies en termes d’alternance. Avec des variantes qui différencient Le Lion du Soudan de Prisonnières au Dahomey, il invente des personnages géographiquement et mentalement partagés entre les deux continents. Dans le premier roman, paru en 1869, ses héros vivent dans une sorte de schize imaginaire, partagés qu’ils sont entre le pays colonisateur et le pays non encore colonisé. Aussi longtemps qu’ils résident en France, lieu de la contention pulsionnelle, ils sont les hommes les plus galants et policés du monde ; comme les mondains les mieux rôdés, ils pratiquent la musique de chambre et le baise-main, admettent les règles de l’amour courtois, les bienséances sociales, se plient sans résistance aux interdits juridiques et moraux. Mais qu’ils viennent à franchir, au sud de l’Algérie, la limite des régions soumises au pouvoir colonial et le fauve qui sommeillait en eux se décage : ils violent, égorgent, décapitent avec allégresse, tandis que leurs douces compagnes décorent l’entrée de leur tente avec des colliers d’oreilles humaines qu’elles ont elles-mêmes coupées. La sauvagerie que le romancier prête généreusement aux populations sahariennes légitime, dans une spirale sans fin de vengeance, les actes de ses héros, une sorte de darwinisme social primaire accordant au plus fort le droit d’exercer une cruauté illimitée sur les faibles et les vaincus. Livré à une animalité primitive qui dilapide les vies sans compter, l’espace pré-colonial autorise et déchaîne sans mesure les pulsions que la loi française réprime et refoule. L’Afrique non encore colonisée est donc à la France ce qu’est l’univers onirique par rapport à la socialité diurne : le lieu de la libération libidinale, du retour du refoulé et du passage à l’acte[58]. Continent noir et face ténébreuse du désir, elle est le Ça de la France coloniale.

Un quart de siècle plus tard, cette même schizophrénie reparaît dans Prisonnières au Dahomey du même Louis Noir, mais à front renversé. Épris de la Vénus de Widah, la plus belle femme du Dahomey, le capitaine Jacquemart, chevalier d’industrie français aussi amoral et féroce que ses prédécesseurs, choisit cette fois de l’épouser et dresse le bilan des avantages présentés par ce mariage exotique :

Les préjugés, je m’en moque et je n’en souffrirai pas […] ; j’ai une fortune très convenable ; je suis fiancé à la Vénus de Widah, une des plus belles filles qui soient au monde, quoique noire ; je passerai tous les ans trois mois à Paris en garçon et je mènerai entre deux voyages une vie de patriarche à Widah ou à Kotonou. Mes enfants seront de moi, car une Dahoméenne ne trompe jamais son mari ; étant de moi et de ma Vénus, ma progéniture sera belle et intelligente ; je serai le plus heureux des hommes. [59]

D’un roman à l’autre, on voit de nouveau que les temps ont changé : c’est désormais l’Afrique, et plus exactement la société dahoméenne, qui incarne la loi morale répressive. Louis Noir, qui puise ses informations dans le témoignage d’E. Chaudoin, Trois mois de captivité au Dahomey[60], offre en effet de cette société une image terrifiante : si les épouses y sont fidèles, c’est que le moindre soupçon d’adultère y est puni de mort. Quant à imaginer qu’elles puissent refuser un Européen, la question ne se pose même pas. À en croire le romancier, « le blanc est un être d’essence supérieure ; un blanc fait beaucoup d’honneur à une négresse en daignant l’aimer ; comme mère, elle est incomparablement orgueilleuse de mettre au monde des petits messieurs blancs »[61]. Mais si la France devient pour Jacquemart le lieu des récréations et des raffinements érotiques prohibés par la saine morale conjugale, elle est aussi trop policée pour offrir un exutoire aux pulsions sadiques que ses prédécesseurs allaient satisfaire en Afrique. Ce dernier ajoutera donc un troisième volet à sa double vie : il conduira à l’intérieur de l’Afrique des expéditions paramilitaires tournant en de beaux carnages qui, décrits avec jubilation, forment l’essentiel du roman de Louis Noir.

 
Dénégation, zoophilie, schizophrénie : l’éros colonial, tel qu’il affleure dans les fictions d’aventures africaines publiées autour de 1900, paraît décidément bien malade. De fait, il n’y a pas d’amour heureux, à notre connaissance, entre Blancs et noires. Et, on l’a deviné, par d’amour du tout entre – impensable absolu – Noir et Blanches. Pas de cohabitation entre les deux espaces géographiques et mentaux, entre les deux modes d’expression et de satisfaction du désir, entre ce que l’époque de Taine et de Barrès appelait les deux « races ». Mais cet éclatement, s’il témoigne du clivage bourgeois fin-de-siècle entre les deux fonctions de la sexualité que représentent l’épouse et la prostituée, la chambre conjugale et le bordel, prend avec la colonisation une expansion continentale, au point de régir un vaste système imaginaire binaire opposant la France à l’Afrique et, avec elles, l’amour à la cruauté bestiale, la beauté à la hideur, le présent au passé archaïque, la conscience à l’inconscient, l’humanité à l’animalité.

Tout se joue évidemment sur la barre séparant les deux ensembles. De 1870 à 1910, on voit s’affaiblir les oppositions, naître des incertitudes et des mouvements de réversions. Certains personnages franchissent cette barre, sur le mode fantasmatique le plus souvent. Peu en reviennent, aucun ne l’efface. C’est évidemment qu’elle n’est pas de nature géographique. À une époque où les théories évolutionnistes mettent en cause l’essentielle différence séparant l’homme du singe, où les interrogations protofreudiennes esquissent pour la brouiller aussitôt la frontière séparant le Moi de ce qui le travaille par en-dessous et qui n’a pas encore de nom, c’est bien devant son inquiétante étrangeté intérieure que la découverte de l’intérieur de l’Afrique – « “l’Afrique intérieure” de notre Inconscient domaine »[62] selon la formule lucide de Jules Laforgue – place la conscience occidentale.

 


[1] Baudelaire, « J’aime le souvenir… », Les Fleurs du mal, pièce V.

[2] Édition de G. Lély, U.G.E., coll. 10-18, p.43-98.

[3] Œuvres Complètes, Pléiade, éd. Mondor et Jean-Aubry, 1945, p. 31. Le poème avait d’abord paru sous le titre d’ « Image grotesque ».

[4] Comme le rappelle Isabelle Guillaume (Le Roman d’aventures depuis ‘L’Île au trésor’, L’Harmattan, 1999, p. 163), l’absence des femmes est une caractéristique du roman d’aventures : l’univers viril les exclut en même temps qu’il n’a de sens que par le désir qu’elles suscitent. Le mariage final est la récompense sexuelle d’une longue période d’ascétisme et de renoncement pulsionnel, épreuve grâce à laquelle le héros gagne son brevet de virilité.

[5] Cette étude se fonde sur un corpus d’une centaine de romans publiés par plus de cinquante romanciers différents entre les années 1863 et 1914.

[6] Au Pays des cannibales – La Mission Dybowski, 1894, Fayard, 1894, p. 113-114.

[7] Les Aventures d’un Français sur la route du Tchad. Le Pays des nègres blancs, Paris, Marpon et Flammarion, 1893.

[8] P. 87.

[9] Série composée de trois volumes : La Sultane parisienne, La Fièvre de l’inconnu et La Vénus noire, Dentu, 1877.

[10] Ibid., p. 631.

[11] Ibid., p. 542.

[12] Ibid., p. 78.

[13] Ibid., p. 290.

[14] Ibid., p. 372.

[15] Belot emprunte largement au livre du Dr Schweinfurth, Au Cœur de l’Afrique, 1868-1871. Trois ans de voyages et d’aventures dans les régions inexplorées de l’Afrique centrale, traduit par Henriette Loreau, Hachette, 1875, 2 vol.

[16] La Vénus noire, p. 604.

[17] Ibid., p. 542.

[18] Ibid., p. 368.

[19] Hachette, Les Intégrales Jules Verne, 1987, p. 74. Rédigé par Michel Verne sur une ébauche écrite par son père, le roman a été publié en feuilleton dans Le Matin en 1914, puis en volume chez Hachette en 1919.

[20] Voyage aux rives du Niger, dans le Bénin et dans le Bornou, Flammarion, 1879, p. 138-139.

[21] Un esprit formé au relativisme du XVIIIe siècle n’a pas cette vue dépréciative : le Voyage en Amérique de Chateaubriand, par exemple, analyse les danses indiennes dans une perspective ethnologique et religieuse (éd. de P. Barbéris, J.-C. Godefroy, 1982, p. 170-171).

[22] Hetzel, 1878. Rééd. Hachette, Les Intégrales Jules Verne, 1978, p. 346.

[23] Voyage au Dahomey, Dreyfous, 1879, p. 92.

[24] Firmin-Didot, 1887, p. 79.

[25] Prisonnières au Dahomey – La Vénus de Widah, Paris, F. Roy, 1892-93, 91 livraisons, 728 p.

[26] Ibid., p. 5. Noir fait sacrifier la toute dernière victime « au pied d’un phallus énorme qui avait été arrosé de sang humain » (p. 6).

[27] Ibid., p. 26.

[28] Voyage au Dahomey, Dreyfous, 1879, p. 165-166.

[29] Op. cit., p. 283.

[30] Dans Les Chasseurs d’esclaves, Flammarion, 1888, p. 286-287.

[31] Comme le faisaient déjà le serviteur Joe de Cinq semaines en ballon (p. 114 et 118) et Passepartout, ancien écuyer de cirque et professeur de gymnastique, dans Le Tour du monde en quatre-vingts jours. Dans Du Tchad au Dahomey en ballon de Léo Dex (Hachette, 1897) le journaliste Phocle est un ancien artiste de cirque spécialisé dans le rôle d’homme-serpent.

[32] Op. cit., p. 207-213.

[33] « Il n’est pas improbable, écrivait Voltaire dans l’Essai sur les mœurs, que dans les pays chauds des singes aient subjugué des filles » (éd. Pomeau, Garnier, 1963, t. 1, p. 8). La question est reposée au chapitre XVI de Candide dans l’épisode des Oreillons : « Pourquoi trouvez-vous si étrange que dans quelques pays il y ait des singes qui obtiennent les bonnes grâces des dames ? » (éd. Pomeau, Garnier-Flammarion, 1966, p. 212).

[34] Clichés de la femme exotique. Un regard sur la littérature coloniale française entre 1871 et 1914, L’Harmattan, 2000, p. 117-177. L’auteur observe justement que « le transformisme semble avoir eu, auprès du grand public, l’effet de renforcer l’idée de la différence entre les races humaines » (p. 176).

[35] Le Roman d’un spahi (1881), rééd. Presses Pocket, 1987, p. 33-34.

[36] Henri de Noville, Le Trésor de Mérande, roman d’aventures contemporaines, Plon, 1903, p. 281-282.

[37] Salon de 1859, éd. du livre de Poche, t. II, p. 109. Ce groupe, que les organisateurs du Salon avaient dissimulé au public derrière un rideau, s’intitulait, contrairement à l’affabulation de Baudelaire sur le viol, Gorille femelle. On trouvera une photographie hors-texte du plâtre détruit dans Baudelaire, Actes du colloque de Nice, Minard, 1968.

[38] Aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Nantes.

[39] 1885, ch. III, Le Livre de poche, p. 48.

[40] Ed. 10-18, p. 336.

[41] Ed. de P. Cogny, Garnier-Flammarion, p. 235.

[42] Paris, Degorce-Cadot, t. IV, p. 125.

[43] Op. cit., p. 155.

[44] Paris, Ferenczi et fils.

[45] Ed. Folio, p. 155.

[46] Paris, Victor Havard, 1891. « Savez-vous qu’il y a des gorilles ailleurs que dans les forêts du Gabon ? Seulement, ils sont impitoyables » (p. 7).

[47] P. 3-4

[48] Op. cit., p. 128.

[49] Charavay, Bibliothèque d’éducation moderne, 1885, p. 186.

[50] Ibid., p. 148-152.

[51] Ibid., ch. XIV, p. 162-176.

[52] Ibid., p. 199.

[53] Série composée de 4 volumes : La mobilisation africaine, Concentration et pèlerinage à la Mecque, À travers l’Europe, Autour de Paris, Paris, Flammarion, 1894, 1279 p.

[54] Ibid., p. 83.

[55] Ibid., p. 99.

[56] Ibid., p. 715.

[57] « Qui sait […] si ce n’est pas là la femme que le hasard m’envoie ? […] Pourquoi ne prendrais-je pas ma compagne dans le pays même où je compte vagabonder ? » (op. cit., p. 158)

[58] Cette proclamation d’amoralisme individualiste reparaît inversée dans l’argumentaire du Jardin des supplices (1899) où Octave Mirbeau, anticolonialiste déclaré, fait dire à Clara : « Vous avez de stupides scrupules, comme en Europe… En Chine, la vie est libre, heureuse, totale, sans conventions, sans préjugés, sans lois… pour nous, du moins… Pas d’autres limites à la liberté que soi-même… à l’amour que la variété triomphante de son désir… » (éd. M. Delon, Folio, p. 133).

[59] Prisonnières au Dahomey. La Vénus de Widah, op. cit., p. 6.

[60] Hachette 1891, XI-409 p.

[61] Prisonnières au Dahomey, op. cit., p. 424. Selon Noir, cet avantage devrait inciter les chrétiens à se convertir : « Musulmans, vous pouvez avoir autant de ménages que vous voudrez. C’est utile pour ceux qui parcourent le Soudan. On a une femme à Porto-Novo, une autre à Saint-Louis du Sénégal, une autre ailleurs ; elle tient votre maison de commerce dans chaque station et veille à vos intérêts » (ibid., p. 547).

[62] In Feuilles volantes, Le Sycomore, 1981, p. 103.

 fg