L’Angleterre et ses littératures coloniales :
quelques repères Jean Sévry
[2/8 ]
Un ancêtre : la littérature des voyages.
Dans le monde anglophone, elle est d’une extraordinaire richesse et variété.
Trop négligée par la critique savante, d’un point de vue générique, elle est
indéniablement à l’origine de la littérature coloniale en tant que telle, de
sorte qu’elle n’en est pas dissociable. Tout commence en 1356 avec
The
Travels of Sir John Mandeville, récit fabuleux qui nous entraîne jusqu’en
Chine, et qui supporte fort bien une comparaison avec celui de Marco Polo. Cet
ancêtre de la littérature coloniale manifeste de la part de ces voyageurs et
explorateurs autant de préjugés (chaque époque a les siens) qu’un intérêt
réel pour les populations rencontrées lors de leurs périples. Ce fut le cas de
James Cook, à propos des habitants des îles, avec son V
oyage autour du
monde, 1768-1771. Il sera le modèle de Bougainville et de beaucoup
d’autres. De la même manière, plus tard, avec son
Travels into the Interior
of Africa, 1795-1804, Mungo Park effectue à l’occasion (ainsi à propos de
la civilisation mandingue) un véritable travail d’ethnologue. Quant à David
Livingstone, dans ses
Travels & Researches in South Africa qui se
déroulent de 1867 à 1873, il est resté célèbre pour sa dénonciation de
l’esclavage sous toutes ses formes. Le récit de voyages annonce et précède la
colonisation, il suscite des vocations, et lance un appel à cette aventure, ce
qui lui vaut célébrité et gloire, ainsi avec les funérailles nationales
organisées à Westminster pour le même Livingstone en 1874. Mais en même temps,
comme Livingstone, le journal d’exploration lance des avertissements
salutaires : est-ce que cette entreprise en vaut la peine ?
Stanley, un journaliste américain qui ne s’encombre pas de scrupules,
représente une sorte de contre-modèle avec
Through the Dark Continent
(1878), titre dont Conrad se souviendra, car Stanley se met au service de
l’impérialisme belge dans son exploitation féroce du Congo.
Enfin, ce genre de récits
d’aventures permettent à la femme de s’émanciper, de jeter aux orties les
bienséances de la métropole, ce qui fut le cas de Mary Kingsley dans
Une
odyssée africaine, une exploratrice victorienne chez les mangeurs d’hommes (1893-1895),
ouvrage beaucoup moins fantaisiste que son titre ne pourrait le laisser croire,
puisqu’il comporte également de solides enquêtes à caractère ethnologique.