Jean-Claude
Blachère
L’incompatibilité
d’esprit entre l’idéologie coloniale et
ses manifestations littéraires (exotisme,
réalisme) d’une part et les positions
intellectuelles, esthétiques, des « avant-garde
», d’autre part, appartient aux idées
trop vite reçues. Il y a lieu d’examiner de plus
près les articulations entre ces deux courants majeurs du
XX° siècle. On ne peut échapper
à la présence du fait colonial multiforme :
imprégnation visuelle (spectacles, publicité,
expositions, circulation d ‘objets), mentale
(littérature enfantine, romans, grands reportages). Les
écrivains de la modernité ont de fait
été perméables aux
représentations réductrices qui circulent dans
l’opinion générale : le
Nègre mystagogue chez Philippe Soupault, le mythe de
l’hyper sexualité chez Crevel, le «
primitif savant » chez Breton, etc.. D’une
manière générale, le Nègre
irréductible à l’univers blanc,
signifie l’étrangeté absolue : il est
un être de rupture. Toutefois, la cocasserie qu’il
engendre est présentée comme un des ressorts de
l’ esthétique du « saugrenu »,
défini par Aragon comme le Beau moderne, fondé
sur « l’inattendu burlesque »,
l’excentricité qui répudie la tradition
du « monde ancien » dont Apollinaire
était las.
Ainsi, les stéréotypes
dépréciatifs répandus par la
littérature coloniale, s’ils trouvent parfois un
écho dans l’expression moderne, sont le plus
souvent retournés et mis au service d’une
stratégie de disjonction qui génère un
« contre-discours colonial » parodique. On
comparera à ce sujet les propos officiels sur les
expositions coloniales, par exemple sur celle de Marseille en 1922, et
le compte-rendu ironique, qui joue sur la loufoquerie, qu’en
fait Picabia dans Littérature. On pourra aussi mettre en
regard tel récit épique de la conquête
coloniale, où l’auteur narre la mort au combat
d’officiers de spahis, et le « poème
» par lequel Benjamin Péret, dans La
Révolution surréaliste en mars 1926 tourne en
dérision le mythe de
l’héroïsme saharien, fort
répandu alors dans l’opinion publique.