Jean-François
Compte rendu par Dominique Ranaivoson,
Bulletin Critique du Livre Français (BCLF), rubrique 193696, décembre 2004.
Ce volume collectif est la deuxième publication de la
jeune Société internationale d’étude des littératures coloniales qui rassemble
depuis 2000 des universitaires de différentes disciplines (littérature
française, anglaise, histoire) qui revisitent avec les outils apportés par la
critique moderne le corpus vieilli, souvent oublié, presque toujours désavoué,
des littératures occidentales écrites du temps des Empires coloniaux.
L’approche thématique permet d’analyser comment la littérature a rendu compte
de la nudité des peuples visités, comment le regard porté sur celle-ci fut
construit par les idéologies et les fantasmes occidentaux coloniaux. Entre
signe d’harmonie et de liberté primitives et indice de barbarie menaçante et
d’érotisme sauvage, la nudité fascine, menace et conforte le Blanc vêtu qui
paraît maîtriser sa sexualité dans sa conviction de supériorité. Les analyses
de ces mécanismes permettent au lecteur d'appréhender la peinture occidentale
de Géricault et Gauguin avec Claude Tournay,
les romans français sur l’Afrique avec Jean-Claude Blachère
et Jean-Marie Seillan, les œuvres sur l’Inde et
Ceylan de Chevrillon avec Jean-François Durand, sur Madagascar de Charles Renel avec Dominique Ranaivoson,
sur le Haut-Alas de Euloge
avec Gérard Chalaye. Le corpus est élargi à la zone anglophone avec les
analyses de l’ Anglais Rider Haggard par Laïli Dor et Gilles Teullié,
l’orientaliste Aphra Behn par
Aïda Balvannanadham (dont la contribution est en
anglais). Tous soulignent que la description de la nudité est plutôt le
résultat de la construction occidentale faite de fantasme et d’idéologie sur
les populations regardées et dominées qu’une authentique rencontre de cultures.
Enfin, deux articles de Daouda Mar
et Françoise Rémond analysent comment ces fantasmes
d’un autre temps produisent actuellement des mécanismes de déconstruction, par
l’ironie chez les romanciers africains, par la violence chez les poètes noirs
sud-africains qui renversent les schémas et font des Blancs les nouveaux
sauvages. Loin d’être simplement de vieux témoins d’un temps honteux, ces
littératures coloniales sont les lieux où l’analyse contemporaine peut trouver
les éléments qui ont abouti aux évolutions politiques et sociales que l’on
sait. Démonter les mécanismes et le jeu des imbrications littéraires,
idéologiques, esthétiques, permet de comprendre aussi comment ces schémas
fonctionnent comme contre-modèles. Circuler entre
auteurs, zones et périodes permet également de nuancer les prises de position,
de situer dans le temps et l’espace les schémas qui ont prévalu, et finalement
de se libérer des généralités abruptes qui, en s’inversant, ont dominé dans
tous les camps les débats.
La SIELEC annonce un
prochain volume en 2004 qui reprendra les contributions de son congrès sous le
thème « Fais religieux et résistances culturelles dans les littératures de
l’ère coloniale ».
Public concerné :
Public cultivé
Ouvrage
essentiel : oui
Lectures
recommandées en rapport avec l’ouvrage:
Pierre Halen et Janos Riez (sous la
direction de), Images de l’Afrique et du
Congo/Zaïre, Bruxelles, Textyles-éditions, 1993.
Jean-François Durand
(sous la direction de), Regards sur les
littératures coloniales, Paris, L’Harmattan,
1999.
Revue Notre Librairie, Voyages en Afrique de
l’explorateur à l’expert, no 153, janvier-mars
2004, Paris.