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Jean-François Durand et Jean Sevry (sous la direction de), Nudité, sauvagerie, fantasmes coloniaux, Cahiers du SIELEC no 2, Paris-Pondicherry, Kailash, 2004, 198 pages, ISBN 2-84268-115-0, 15 euros.

 

 

 

Compte rendu par Dominique Ranaivoson, Bulletin Critique du Livre Français (BCLF), rubrique 193696, décembre 2004.

 

            Ce volume collectif est la deuxième publication de la jeune Société internationale d’étude des littératures coloniales qui rassemble depuis 2000 des universitaires de différentes disciplines (littérature française, anglaise, histoire) qui revisitent avec les outils apportés par la critique moderne le corpus vieilli, souvent oublié, presque toujours désavoué, des littératures occidentales écrites du temps des Empires coloniaux. L’approche thématique permet d’analyser comment la littérature a rendu compte de la nudité des peuples visités, comment le regard porté sur celle-ci fut construit par les idéologies et les fantasmes occidentaux coloniaux. Entre signe d’harmonie et de liberté primitives et indice de barbarie menaçante et d’érotisme sauvage, la nudité fascine, menace et conforte le Blanc vêtu qui paraît maîtriser sa sexualité dans sa conviction de supériorité. Les analyses de ces mécanismes permettent au lecteur d'appréhender la peinture occidentale de Géricault et Gauguin avec Claude Tournay,  les romans français sur l’Afrique avec Jean-Claude Blachère et Jean-Marie Seillan, les œuvres sur l’Inde et Ceylan de Chevrillon avec Jean-François Durand, sur Madagascar de Charles Renel avec Dominique Ranaivoson, sur le Haut-Alas de Euloge avec Gérard Chalaye. Le corpus est élargi à la zone anglophone avec les analyses de l’ Anglais Rider Haggard  par Laïli Dor et Gilles Teullié, l’orientaliste Aphra Behn par Aïda Balvannanadham (dont la contribution est en anglais). Tous soulignent que la description de la nudité est plutôt le résultat de la construction occidentale faite de fantasme et d’idéologie sur les populations regardées et dominées qu’une authentique rencontre de cultures. Enfin, deux articles de Daouda Mar et Françoise Rémond analysent comment ces fantasmes d’un autre temps produisent actuellement des mécanismes de déconstruction, par l’ironie chez les romanciers africains, par la violence chez les poètes noirs sud-africains qui renversent les schémas et font des Blancs les nouveaux sauvages. Loin d’être simplement de vieux témoins d’un temps honteux, ces littératures coloniales sont les lieux où l’analyse contemporaine peut trouver les éléments qui ont abouti aux évolutions politiques et sociales que l’on sait. Démonter les mécanismes et le jeu des imbrications littéraires, idéologiques, esthétiques, permet de comprendre aussi comment ces schémas fonctionnent comme contre-modèles. Circuler entre auteurs, zones et périodes permet également de nuancer les prises de position, de situer dans le temps et l’espace les schémas qui ont prévalu, et finalement de se libérer des généralités abruptes qui, en s’inversant, ont dominé dans tous les camps les débats.

La SIELEC annonce un prochain volume en 2004 qui reprendra les contributions de son congrès sous le thème « Fais religieux et résistances culturelles dans les littératures de l’ère coloniale ».

 

 

Public concerné : Public cultivé

Ouvrage essentiel : oui

Lectures recommandées en rapport avec l’ouvrage:

Pierre Halen et Janos Riez (sous la direction de), Images de l’Afrique et du Congo/Zaïre, Bruxelles, Textyles-éditions, 1993.

Jean-François Durand (sous la direction de), Regards sur les littératures coloniales, Paris, L’Harmattan, 1999.

Revue Notre Librairie, Voyages en Afrique de l’explorateur à l’expert, no 153, janvier-mars 2004, Paris.