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PRESENTATION DU COLLOQUE


LE REPORTAGE DE PRESSE  EN SITUATION COLONIALE
        


   
Rirra21. Axe de recherche « L’imaginaire culturel de l’ère des Empires : nouveaux mondes, nouvelles esthétiques»
 
 
Colloque des 4, 5, 6 juin 2014
UPV Montpellier
 
Le reportage de presse en situation coloniale
 
 
Plusieurs études, ces dernières années, ont souligné l’importance du journalisme dans la formation d’un imaginaire culturel spécifique, particulièrement lié à l’expansion coloniale. Il est vrai que le champ d’investigation est immense, surtout avec la politique républicaine de la « deuxième colonisation », à la fin du XIXe siècle, qui coïncida avec l’essor de la presse écrite et les commencements du journalisme de grand reportage, de la Tunisie au Maroc, de l’Afrique noire à l’Indochine. Mais au-delà du seul exemple français, ce colloque se propose d’analyser quelques moments forts de cette littérature de reportage extrêmement variée et qui a si puissamment contribué à façonner l’imaginaire moderne. Plusieurs points seront abordés, et en particulier les suivants :
 
1) Reportage et littérature. On sait que dans les années 1850, l’intérieur de l’Afrique est encore en partie inconnu. La découverte de nouvelles géographies, de cultures africaines mystérieuses est un aliment pour une presse avide, déjà, de sensationnel, et qui reprend à son compte un imaginaire exotique que de nombreux récits de voyage et romans ont largement illustré. Mais contre certains récits de pure fiction, à la base documentaire faible, le reportage affiche souvent un désir de vérité et de réalisme. Poursuivant les travaux de Myriam Boucharenc (L’Écrivain reporter au cœur des années trente, Lilles, Presses Universitaires du Septentrion, coll. « Objet », 2004), associée aussi à Deluche Joëlle (Littérature et reportage, PULIM, coll. « Médiatextes », 2001), le colloque s’intéresse à des questions d’identité générique qui évidemment soulèvent de nombreux et intéressants problèmes. Profondément lié à l’événement qu’est la guerre – le grand reportage prend réellement son essor en France à l’occasion de la guerre entre le Japon et la Russie en 1905 –, le grand reportage colonial implique un certain type d’écriture qui fait la part du sensationnel mais aussi de la description au long cours. Afin de bien se distinguer de la littérature, il doit surtout donner des gages concernant sa véracité et il met donc en place toute une série de procédés rhétoriques et une certaine posture d’auteur censés la garantir – ce qui n’empêche nullement l’imaginaire d’être lui aussi présent.
 
2) Un imaginaire héroïque. Comme l’a montré Edward Berenson dans Heroes of Empire : five charismatic men and the conquest of Africa, (Berkeley, University of California Press, 2011 ; trad. fr. Les Héros de l’Empire : Brazza, Marchand, Lyautey, Gordon et Stanley à la conquête de l’Afrique, Paris, Perrin, 2012), l’aventure coloniale s’accompagne d’une véritable littérature de propagande et de popularisation du thème colonial où la presse trouve toute sa part. Ainsi s’imposent les figures d’un nouvel héroïsme contemporain, ces « vies exemplaires » qui contribuent à forger une certaine sensibilité de l’ère des Empires. Les nombreux épisodes de résistance à la pénétration coloniale sont des moments prisés par des journalistes en quête d’atmosphères viriles, et qui souvent exaltent des valeurs de courage qui les concernent eux aussi comme témoins intrépides de l’événement. C’est tout un rapport à l’histoire qui se lit ici, objet de rêveries pour les plus jeunes, d’engagements bien concrets pour les hommes dans la force de l’âge, et qui cherche à asseoir la légitimité de l’entreprise coloniale par la vertu de ses héros venus de métropole pour pacifier et civiliser les populations indigènes.
 
3) Entre domination et reconnaissance. Le reportage colonial contribue souvent à la collecte d’informations (mœurs, coutumes, organisation sociale, économie) et il apporte ainsi sa pierre à cette vaste littérature que l’on qualifie parfois dans le domaine anglo-saxon, de « magistrale », et dont l’intention finale est d’aider à connaître des peuples que l’on veut soumettre à l’hégémonie européenne. Cela n’empêche toutefois nullement qu’une autre sensibilité se fasse entendre à l’occasion. À côté des sectateurs de l’idéologie coloniale (qui elle-même n’est pas homogène) tombant sous le coup d’un orientalisme bien identifié par Edward Said dans son livre Orientalism (1978, trad. fr. L’Orientalisme, Le Seuil, 1980), certains journalistes prennent ainsi ouvertement fait et cause pour les peuples colonisés, soit qu’ils en soient eux-mêmes issus, soit qu’ils se désolidarisent de leur propre pays pour des raisons diverses (simple humanisme, refus de l’exploitation économique, engagement communiste, etc.). L’histoire ne se fait plus seulement en Europe mais dans des colonies dont on pressent peu à peu qu’elles vont accéder à l’indépendance – ce qui pose à nouveaux frais la question des relations entre les peuples et entre les cultures.
 

 
Liste des INTERVENantS Ayant confirmÉ leur participation au colloque
 
1. Slimane Aït Sidhoum, doctorant (Montpellier 3/RIRRA 21) : Le recyclage et le détournement du topos des Ouled Nail dans le reportage en Algérie au XIXe siècle

Qu’ils soient militaires, fonctionnaires ou scientifiques, différents voyageurs ont publié des reportages dans des journaux de voyage ou dans des revues faisant une certaine place à la figure de la danseuse prostituée, dite Ouled Nail (du nom de la tribu à laquelle elle appartient). Au Sahel et au Sahara, ces voyageurs insistent dans leurs récits sur la présence des Ouled Nail comme un élément incontournable qui ne peut échapper au regard du visiteur. Leur engouement s’explique par leur spécificité à la fois réelle et fantasmée dans le paysage social algérien. Les Ouled Nail présentent en effet la double singularité d’être les seules femmes autochtones à exercer le métier de prostituées et de danseuses dans les régions steppiques et sahariennes. Dès leur jeune âge, elles y sont encouragées par leur famille pour se constituer une dot. L’irruption des Ouled Nail dans l’espace public perturbe l’ordre colonial, et elle met le monde autochtone, imprégné de culture islamique, devant ses propres contradictions. Il s’agit de voir dans quelle mesure les voyageurs, qui ont beaucoup écrit sur elles, se sont limités dans leurs récits aux aspects anecdotiques et folkloriques, inhérents à leurs conditions de courtisanes et de danseuses, ou ont réussi à aller plus loin dans l’investigation ethnologique, voire dans la sympathie.
 
2. Sarah Al-Matary, MCF (Lyon 2/Passages XX-XXI) : L’« Affaire » Olivier Pain

Sous la IIIerépublique, les affaires coloniales prennent parfois une majuscule. Ainsi de l’« Affaire Olivier Pain » qui suscite autour de 1885 une véritable crise diplomatique, et alimente l’anti-britannisme né de la concurrence que se livrent les puissances impériales anglaise et française. Le reporter Olivier Pain, disparu au Soudan, qu’il traversait dans l’espoir d’interviewer le Mahdi en révolte, devient à cette occasion un véritable héros national. Le mystère entourant sa mort (chute de chameau, maladie, exécution par les autorités britanniques ?) consolide le mythe qui nimbait depuis les années 1870 la figure de ce journaliste militant. Cet ancien chef de cabinet du gouvernement de la Commune s’était en effet évadé de Nouvelle-Calédonie, où il avait été déporté. Là, il avait fréquenté les insurgés algériens de 1871, qu’il défendra lorsque l’amnistie politique ne leur sera pas appliquée. Ses campagnes en faveur du droit de vote des indigènes lui valent alors de passer pour un « délégué des bureaux arabes ». Correspondant de guerre pendant le conflit turco-russe (1877-1878), il se distingue également par l’antibritannisme qui caractérise les articles qu’il confie au Temps, au Figaro et à L’Intransigeant. C’est pour ce dernier organe que Pain part au Soudan, où il se propose d’apporter le soutien du peuple français à la lutte de l’armée mahdiste. Qu’on le tourne en dérision, comme le font de nombreuses brochures, ou qu’on l’idéalise (certains indigènes voient en lui le « Roi de France »), Pain se trouve au cœur d’une importante production périodique et fictionnelle, que nous nous proposons de replacer dans le cadre des débats opposant les différentes conceptions « nationales » de la colonisation.
 
3. Jean Arrouye, PR émérite (université de Provence/LESA) : Afrique noire, terre du grotesque. Le regard critique des reportages de Georges Simenon

En octobre et novembre 1932, Georges Simenon publie dans l’hebdomadaire Voilà six articles sur l’Afrique dans lesquels il raconte ce qu’il a vu en Guinée, au Gabon et au Congo Belge et, en avril 1933, dans l’hebdomadaire Police et reportage, sous le pseudonyme de Georges Caraman, un dernier reportage qui, à l’occasion d’un voyage qui le mène du Caire au pays des Pygmées, généralise ses impressions. Le journaliste qu’est alors Simenon s’intéresse, d’une part, au mode de vie des Européens expatriés et à leurs rapports avec les indigènes et, d’autre part, aux mœurs de ces derniers et à la façon dont ils réagissent aux exigences de ceux qui les gouvernent. Observant les « Nègres », il reprend bien des lieux communs du discours colonialiste sur ces « grands enfants », indifférents à la volonté des Européens d’exploiter les ressources de leur pays et « paresseux », mais par ailleurs il rapporte sans complaisance les comportements abusifs des Européens et juge avec ironie, quand ce n’est pas sarcastiquement, le caractère grotesque ou absurde de certains agissements administratifs. De plus, constatant que l’Afrique use et met à mal les Européens et que certains Africains, assimilant la culture de ceux-ci, occupent progressivement postes administratifs et fonctions d’autorité, il en déduit que finalement les colonisés pourront se passer de ceux qui les gouvernent. Ainsi, moins d’un an après que Paul Reynaud, dans le livre d’or de l’exposition coloniale de 1931, qui célèbre la colonisation, a affirmé qu’ « aujourd’hui la conscience coloniale est en pleine ascension », un témoin met en cause son bien-fondé et en prédit la fin.
 
4. Maéva Bovio, doctorante (Grenoble 3/Traverses 19-21) : Les reporters français face aux « secrets de l’Arabie » (années 1930)

Dans l’entre-deux-guerres, les royaumes du Nedj et du Hedjaz (future Arabie Saoudite) ainsi que le Yémen sont le terrain privilégié des activités de l’
Intelligence Service. Sans mettre en place un régime colonial explicite, la Grande-Bretagne semble diriger en sous-main la politique régionale, faisant rayonner sa puissance au-delà de ses mandats en Palestine et en Mésopotamie et de son protectorat à Aden. Mais la France, qui possède une colonie à Djibouti ainsi que des mandats dans le Levant, suit également de très près la politique régionale, tout comme l’Italie et l’Allemagne. Dans les années 1930, l’Arabie est ainsi le lieu d’une lutte d’influences, souterraine mais stratégique, entre les puissances européennes et les souverains locaux. De nombreux reporters français y sont envoyés, à la fois pour des « grands reportages » ethnoculturels sur la région ou pour des enquêtes plus ponctuelles sur des événements politiques, comme la guerre de 1934 entre le Yémen et le Hedjaz. Henry de Monfreid et Claude Blanchard pour L’Intransigeant, Albert Londres pour Le Petit Parisien, Joseph Kessel pour Le Matin et Xavier de Hautecloque pour Le Petit Journal évoquent l’influence des puissances étrangères, notamment britannique, sur la politique régionale. Ils tentent aussi de relever le défi qui consiste à exposer de manière claire et objective l’actualité de cette terre de légende, où tout semble se dérouler en coulisse, et où des obstacles d’ordre culturel et politique viennent constamment mettre en péril l’entreprise même du reportage.
 
5. Guillaume Bridet, MCF HDR (Paris 13-Sorbonne Paris Cité/CENEL-Pléiade) : L’Inde avec, sans ou contre les Anglais ? Quand Andrée Viollis répond à Pierre Loti et à Katherine Mayo

La grande reporter Andrée Viollis séjourne en Inde pendant cinq mois à partir de mars 1930 dans un but bien précis : rendre compte pour Le Petit Parisien du mouvement d’indépendance qui agite le pays au moment où se déroule en Angleterre la Conférence de la Table ronde. L’ouvrage qui rassemble ses articles et qui paraît à la fin de l’année 1930
relève du genre très en vogue à l’époque du grand reportage. Il est l’occasion d’une expérience qui l’oblige à considérer l’Inde comme une entité qui résiste à l’appréhension de la conscience (occidentale). S’efforçant d’éviter toute simplification et de dresser un tableau aussi complet et complexe que possible, il s’oppose de ce point de vue à d’autre ouvrages dont l’auteure prend le contrepied dès le titre : L’Inde contre les Anglais constitue en effet une variation explicite à partir du récit de voyage L’Inde (sans les Anglais) (1903) de Pierre Loti et de l’essai L’Inde avec les Anglais (1929) de Katherine Mayo. Le soutien de la journaliste progressiste qu’est Andrée Viollis au combat des Indiens pour l’Indépendance passe ainsi moins par des prises de position directement politiques que par une polyphonie énonciative qui fait entendre l’Inde dans sa complexité et par un jeu de différenciation par rapport à d’autres textes occidentaux plus favorables à l’entreprise coloniale.
 
6. Silvia Capanema, MCF (Paris 13-Sorbonne Paris Cité/CRESC-Pléiade) : Le reportage colonial dans un contexte post-colonial : la disparition du voyageur britannique Percy Fawcett en 1925 en Amazonie brésilienne dans le reportage d’Edmar Morel pour les Diários Associados (1947)

A travers l’analyse du reportage d’Edmar Morel, de ses conditions de production et de sa réception à son époque, ainsi que des multiples échos du « cas Fawcett » dans la presse brésilienne, cet article envisage les imaginaires construits autour des voyageurs européens et de leur contact avec les Indiens dans un contexte post-colonial. En effet, Percy Fawcett (1867-1925), un archéologue britannique qui aurait inspiré la création du personnage de fiction Indiana Jones – à en croire certains récits brésiliens –, disparaît avec son fils et un collègue en Amazonie brésilienne en 1925 lors d’une mission organisée pour trouver un village indigène inconnu. Les derniers à les avoir vus sont les Indiens Kalapalo. En 1947, le reporter Edmar Morel, connu à l’époque pour la pratique du « grand reportage » et du « reportage populaire », est envoyé par la plus grande entreprise de communication brésilienne du moment, les Diários Associados, pour « résoudre le mystère » de la disparition de Fawcett. Son reportage, qui propose de nouvelles énigmes, est publié dans la presse et donne lieu ultérieurement à un ouvrage signé par l’auteur lui-même (Et Fawcett n’est pas revenu), à une bande-dessinée et à une série de polémiques dans le milieu journalistique. Le texte nous révèle beaucoup sur les manières de penser de lépoque et sur la persistance des mythes liés au fait colonial.
 
7. Jacques Chevrier, PR émérite (Paris 4/CRLC) : Un reportage épistolaire du Lieutenant Anthelme Orsat au Soudan français (1890-1891)

Anthelme Orsat a participé en tant que lieutenant d’infanterie de marine à la troisième campagne du Lieutenant-colonel Archinard au Soudan entre 1890 et 1891. Pendant toute la durée de son engagement il a écrit à sa famille et ce sont ses lettres qui ont été réunies par François Descotes dans un ouvrage intitulé Des Alpes au Niger. Souvenirs d’un marsoin (Paris, F. Juven, 1898). Le récit de cette campagne, au cours de laquelle le Lieutenant Orsat a trouvé la mort, abonde en notations qui restituent au jour le jour la réalité et les péripéties d’une expédition coloniale, et font de lui, à son insu, l’équivalent de ce que l’on nomme aujourd’hui un reporter « embarqué ».

 
8. Yvan Daniel, PR (université de La Rochelle/CRHIA) : Premiers reporters dans la Chine ouverte, vrais et faux prédécesseurs d’Albert Londres

Les premiers reporters professionnels occidentaux en Chine sont britanniques et américains, puis français, dans les dernières décennies du XIXe siècle. Leurs reportages sur la Chine sont publiés dans la presse des concessions internationales (L’Echo de Chine, Le Temps), parfois repris dans la presse parisienne à l’occasion d’événements majeurs (expédition militaire internationale en Chine, révolte des Boxeurs, etc.). Avant eux, et encore jusqu’au début du XXe siècle avec eux, interviennent plusieurs figures de proto-reporters, diplomates, militaires, missionnaires qui, les seuls sur place, font parvenir à la presse leurs témoignages, souvent illustrés de dessins ou de photographies. Ils publient dans plusieurs secteurs : la presse de voyage ou illustrée (L’Illustration, Le Tour du Monde), la presse religieuse (Les Missions Catholiques) ou généraliste (Le Temps, Le Figaro…). Cette communication se propose d’examiner plusieurs figures de proto-reporters et de (premiers) reporters en Chine au tournant des XIXe et XXe siècles, ainsi que les caractéristiques imagologiques des représentations de la Chine qu’ils élaborent dans leurs articles. Certains de ces proto-reporters deviendront fort connus (Paul Claudel pour L’Echo de Chine, Pierre Loti pour Le Figaro), d’autres aujourd’hui oubliés surent pourtant en leur temps occuper les colonnes de la presse avec leurs papiers sur la « Chine nouvelle » ouverte à l’Occident. On verra aussi que, si certains reporters sont de véritables aventuriers, d’autres prétendent rapporter de Chine des témoignages inventés dans leurs bureaux parisiens.
 
9. Jean-François Durand, PR (Montpellier 3/RIRRA 21) : Eugène Aubin et le reportage politique (Maroc, 1902-1903)

En septembre 1902, Eugène Aubin (c’est son pseudonyme d’écrivain, de son vrai nom Coullard-Descos) est nommé premier secrétaire de la légation française à Tanger, dans un contexte difficile de contestation de la légitimité de la monarchie alaouite et de rivalités coloniales franco-anglaises. Il est le témoin du conflit qui opposa Bou-Hamara et le jeune sultan Abdelaziz pour le contrôle de la ville de Fès (où il séjourne six mois à la tête d’une mission diplomatique) et de l’ensemble du Makhzen. En 1902 et 1903, il publie plusieurs articles qui tiennent du reportage politique dans le Journal des Débats, la Revue des Deux-Mondes, la Revue de Paris, avant de les réunir en volume en 1904 sous le titre Le Maroc d’aujourd’hui, qu’on peut considérer avec Charles-André Julien comme un « livre fondamental ». Cette communication se propose d’étudier la vision politique d’Eugène Aubin (auteur en 1899 d’une étude très lue dans les milieux diplomatiques, Les Anglais aux Indes et en Egypte) et plus particulièrement sa manière, très vivante, toujours concrète et précise, d’exposer celle-ci à travers des choses vues, des croquis, la relation d’évènements contemporains saisis dans le vif de l’action. Eugène Aubin réussit dès lors une remarquable synthèse entre le reportage et un récit politique attentif aux rapports de force, aux questions d’influence, bref à tous les enjeux internationaux qui traversent un Maroc qui signe plus tard avec la France, en 1912, le traité de Fès.
 
10. Marc Kober, MCF (Paris 13-Sorbonne Paris Cité/CENEL-Pléiade) : Reportages d’écrivains japonais en Mandchourie et en Corée

Les écrivains Takami Jun (1907-1965), auteur d’un roman traduit sous le titre Haut le cœur, et situé dans le Japon et en Corée, dans les années 1922-1937, et Kaneko Mitsuharu (1895-1975), auteur d’un journal d’errance, traduit en français sous le titre Histoire spirituelle du désespoir, ainsi que le grand romancier Sôseki Natsumé (1867-1916), à partir d’un voyage effectué de septembre à octobre 1909 (Haltes en Mandchourie et en Corée), témoignent de la situation des Japonais installés en Chine, au-delà des territoires officiellement annexés (Taiwan, Corée). Ces écrivains dessinent un portrait saisissant des Japonais des tropiques, « colons » au statut incertain, dépendant des pouvoirs coloniaux occidentaux, mais bientôt affranchis de cette tutelle juridique par l’expansion militaire appuyée sur l’idéologie de la « sphère de coprospérité ». Ces auteurs anticipent certaines questions encore vivement débattues, comme la déportation des femmes prostituées pour l’armée japonaise, ou les exactions de l’occupant nippon en Chine.
 
11. Frédéric Mambenga, MCF (université de Libreville/RIRRA 21) : Reportages et récits coloniaux : brouillage des repères entre réalité et fiction chez Du Chaillu, Simenon et Gide

La colonisation européenne en Afrique noire fait intervenir deux types de temporalités : une première phase, dite phase de la découverte, marquée par la figure de l’explorateur, au service d’une puissance coloniale, d’un réseau scientifique, d’un journal, et une seconde phase, qui renvoie à la mise en valeur économique du territoire colonisé et qui a suscité souvent des écarts considérables sur le plan de la dignité humaine. Les deux périodes ont mis en évidence deux modes de représentation de la réalité coloniale : l’imaginaire littéraire, souvent par le biais de la fiction romanesque, et le reportage, confié en général à des hommes de terrain qui doivent rendre compte d’un voyage dans l’étrange qui, en général, brouille les repères du réels et de la fiction. Des écrivains européens, tels Gide et Simenon, sont confrontés à cette expérience ambiguë : romanciers, ils sont conduits à relater le monde colonisé par le reportage mais ils transforment aussi leur récit en univers romanesque. C’est également ce rapport déstabilisant auquel est confronté, un siècle auparavant, Paul Du Chaillu. On constate que le reportage et la fiction romanesque en situation coloniale opèrent une certaine mise en perspective de la réalité coloniale qui se fond dans une sorte d’irréel nourrissant l’horizon d’attente du lecteur occidental.

 
12. Anthony Mangeon, MCF HDR (Montpellier 3/IRIEC) : De l’ethnologie au « journalisme-en-librairie » : Léon-Gontran Damas, Retour de Guyane (1938) et autres écrits journalistiques

En 1934, Léon-Gontran Damas (1912-1978) se voit confier par Marcel Mauss et Paul Rivet une mission ethnographique en Guyane française, afin d’y étudier l’hostilité des Marrons et des Amérindiens à la présence occidentale. De ce retour au pays natal, Damas tire un brûlot dans la droite ligne de Gide (Voyage au Congo, Retour du Tchad) qui paraît d’abord dans la presse avant d’être édité par José Corti en 1938, parallèlement à trois reportages dans La France extérieure et coloniale et la revue Esprit. Nous étudierons ce texte méconnu en le confrontant à d’autres écrits journalistiques sur « la France équinoxiale ». Il s’agira, ce faisant, d’expliciter les positionnements paradoxaux de Damas, critique du colonialisme mais partisan d’une véritable « mise en valeur » de la Guyane, et hostile à l’assimilation politique mais défenseur d’une « assimilation pratique » qui consisterait à ouvrir largement les portes de l’Afrique noire à des colons antillais.
 
13. Anne Mathieu, MCF (université de Lorraine/ITEM) : Magdeleine Paz, une voix de reportrice contre la violence du système colonial

Journaliste française, écrivain et militante dans des mouvements politiques et de défense des droits de l’Homme, Magdeleine Paz (1889-1973) compte parmi les grands reporters de la presse écrite de l’entre-deux-guerres. À côté de ses reportages en Russie soviétique ou aux États-Unis qui paraissent ultérieurement en volume (C’est la lutte finale ! Six mois en Russie soviétique, Flammarion, 1923 ; Une grande grève aux États-Unis : Passaic, 1926, Librairie du Travail, 1927), ses reportages sur l’Afrique du Nord, l’Indochine ou encore la Martinique dissèquent le « système colonial » (Sartre) en s’employant à en montrer la violence intrinsèque. Reportages de journaliste mais aussi de militante, ses écrits s’inscrivent dans un combat qui est encore marginal à l’époque mais qui annonce les luttes anticolonialistes d’après-guerre.
 
14. Laure Michel, MCF (Paris 4/Littérature française XIXe-XXIe siècles) : Mohamed Dib reporter à Alger Républicain (1950-1951)

Peu de temps avant le déclenchement de la guerre d’Algérie, Mohammed Dib est chargé de plusieurs reportages pour Alger Républicain, journal progressiste, porte-parole à cette date de la lutte contre le régime colonial. À la même époque, Dib commence à rédiger sa trilogie réaliste, La Grande Maison, L’Incendie, Le Métier à tisser, dans laquelle il dévoile la progressive prise de conscience politique du peuple algérien. En observant la circulation des thèmes et des énoncés d’un genre à l’autre, en analysant les formes d’engagement qu’ils mettent en œuvre, on s’interrogera sur le partage établi par la critique dibienne entre une écriture journalistique militante et une écriture romanesque travaillée par la mise en cause des pouvoirs du langage.
 
15. Mâati Monjib, MCF (université Mohammed V/Institut des Études africaines) : Le calvaire de Lalla Batoul et la chute de l’empire chérifien

L’affaire du calvaire de Batoul Benaissa n’a jamais été évoquée par les historiens. Pourtant la presse française et anglaise, qui dispose au début du XXe siècle de correspondants à Tanger, notamment le Times et Le Temps, couvre abondamment le cas. C’est une affaire qui fit trembler le trône du sultan du Maroc Abdelhafid deux années après son accession à la magistrature suprême et deux autres années avant sa déposition par le Général Lyautey. L’affaire est déclenchée par le correspond du Times au Maroc vers la fin du printemps 1910, lorsqu’il publie l’information selon laquelle l’une des femmes de l’ancien pacha de Fez, aurait été arrêtée et qu’elle aurait subi des tortures indescriptibles au sein même de Dar el Makhzen. L’article et les rapports des services diplomatiques français et anglais donnent des précisions insoutenables quant aux moyens utilisés pour la faire parler. Mais quelles sont alors les raisons qui poussent Abdelhafid à s’attaquer à la famille de l’ancien pacha ? Et comment se fait-il qu’un fait aussi banal à l’époque se transforme en une affaire internationale où des dizaines de dépêches, de télégrammes et de rapports confidentiels sont produits et/ou publiés ? Comment ce « cas de droits de l’homme » (déjà) a-t-il été diplomatiquement instrumentalisé par les puissances coloniales pour servir des intérêts géostratégiques afin d’accélérer la mise sous tutelle de l’empire chérifien et la déposition du sultan « inutilement cruel » comme le dira François Mitterrand 80 ans plus tard parlant…du roi Hassan II.
 
16. André Plaud (Paris XIII) : Maupassant, envoyé « spécial » en Algérie.
 
17. Anne Renoult (BNF) : Indochine SOS d’Andrée Viollis : du reportage au livre (1931-1935)

Indochine SOS
est sans aucun doute le reportage le plus connu d’Andrée Viollis, c’est aussi l’un des reportages majeurs consacrés à la colonisation de l’Indochine par la France. Cette intervention s’attachera à expliquer la genèse de ce livre phare de la dénonciation anticolonialiste, depuis le reportage en 1931 dans le cadre du voyage du ministre des colonies de l’époque jusqu’à la publication du livre chez Gallimard à l’automne 1935 en passant par la pré-publication des notes de voyage dans la revue Esprit en décembre 1933, en montrant les difficultés rencontrées par l’auteur pour mener à bien ce projet, ainsi que l’écho qu’il a rencontré.
 
18. Guy Riégert (Montpellier 3) : Georges R. Manue, Suisse et légionnaire, journaliste et romancier : une vie et une œuvre au service de l’Empire français

Suisse engagé très jeune dans la Légion étrangère, Georges R. Manue (1901-1980) devient par la suite un reporter et un romancier. Le projet de cette communication est de mieux faire connaître son œuvre et sa personnalité. Après un rude séjour au Maroc, d’abord au contact de la dissidence, puis dans les combats du Rif, Manue fait deux rencontres capitales de retour dans la vie civile : d’abord, celle du rédacteur en chef du Journal, qui l’engage, puis, celle d’André Malraux, qui le conseille à propos de son prochain voyage en Chine. Suivent des séries d’articles importantes : articles sur la Chine parus en 1927 avant d’être publiés en volume sous le titre Sous le signe du dragon et d’inspirer La Condition humaine ; articles en 1928 sur le chemin de fer du Congo-Océan, dans lesquels, contrairement à Albert Londres sur le même sujet, il défend sans nuance la colonisation. Mais il faudrait aussi ajouter ses romans dont l’action se déroule au Maroc et qu’anime une véritable mystique du devoir et de l’Empire, la revue pour la jeunesse qu’il dirige depuis Dakar pendant la guerre en soutien au régime de Vichy ou encore ses nombreux livres à la gloire de la Légion et de L’Empire français. Sous les armes comme par la plume, Manue a été un infatigable défenseur de l’Empire français.
 
19. János Riesz, PR émérite (université de Bayreuth) : Un regard allemand sur la France coloniale en 1938. Friedrich Sieburg et ses Visages de la France en Afrique (1939)

Friedrich Sieburg (1893‐1964) est un des grands chroniqueurs et journalistes de l’Allemagne et il a joué un rôle important dans la vie publique durant la République de Weimar, les années du nazisme et à l’époque de la République Fédérale que dirigeait alors Konrad Adenauer. Correspondant de la
Frankfurter Zeitung à Paris entre les deux guerres, il est également populaire en France à partir de son bestseller : Gott in Frankreich (1929) / Dieu est‐il français? (1930) et en Allemagne par ses grands reportages ou récits de voyage, publiés en feuilletons et en volumes, dont plusieurs aussi traduits en français. Parmi ces derniers nous retenons le volume, publié d’abord en grande partie dans le journal de Frankfurt, Afrikanischer Frühling (1938) / Visages de la France en Afrique (1939), livre remarquable à plus d’un titre par des aspects qui semblent loin de la doctrine politique et raciale des nazis : l’éloge de l’œuvre coloniale de la France en Afrique du Nord et de l’Ouest et la franche contradiction avec les idées raciales par rapport aux Africains qui dominent en Allemagne à l’époque. Notre communication essaiera d’analyser le contexte historique (par rapport aux relations franco-allemandes) et la réception dans les deux pays de cet ouvrage considéré par beaucoup comme le plus beau des récits de voyage de Sieburg.
 
20. Roland Roudil, docteur (Montpellier 3/RIRRA 21) : Jean-Richard Bloch à la découverte du monde connu

Suite à des problèmes de santé, Jean-Richard Bloch effectue en 1921 un voyage qui l’emmène au Sénégal. De retour en France, il publie une partie de ses notes dans la presse avant de les faire paraître en totalité en librairie ( Sur un Cargo, 1924 ; Cacahouètes et Bananes, 1929). La confrontation d’une Afrique imaginaire et d’une Afrique visitée, telle qu’elle se dessine dans ces textes, permet au lecteur d’approcher l’intention littéraire de Bloch. Mais le choix des articles ainsi que les modifications qu’il leur fait subir, quelques années plus tard, pour l’édition en volume sous forme de récit apportent des informations qui précisent son projet. Son attitude, très éloignée de celle d’un Albert Londres, n’est pas pour autant dépourvue d’intention critique à l’égard de la situation coloniale. Le point de vue qu’adopte ce type de récit, dont la précision photographique dans le détail agit sur le lecteur comme s’il découvrait un « monde connu » ainsi que les choix esthétiques, même éloignés de préoccupations didactiques, s’avérent ici tout aussi efficaces qu’un simple discours argumentatif.
 
21. Alain Ruscio, journaliste (indépendant) : Le reportage en situation coloniale ou post-coloniale. Expériences de bibliothèque et de terrain

Durant plus d’un siècle, les principaux périodiques envoient dans les colonies où flotte le drapeau français leurs « plumes » les plus célèbres. L’historien des regards coloniaux a énormément à apprendre des reportages journalistiques : sur les faits eux-mêmes, mais aussi sur les commentaires, significatifs de traits de mentalité propres à l’époque. J’ai, pour ma part, consacré des centaines d’heures à lire et à relire certains de ces reportages, de Paul Bonnetain à Andrée Viollis, pour n’évoquer que l’Indochine. Mais j’ai également, à un moment court, mais décisif, de ma vie, franchi la barrière, ayant été deux années journaliste (correspondant permanent de L’Humanité au Viêt nam et au Cambodge, 1978-1980), ce qui m’a permis d’observer de l’intérieur ce monde et d’opérer quelques comparaisons. Ma communication a pour but de transmettre les réflexions que j’ai pu tirer de mon expérience personnelle comme de mes lectures.
 
22. Jean Sénégas (enseignant) : Un reportage de Pierre Hervé (1949) : l’Afrique noire dans L’Humanité

1949 : crépuscule du monde colonial. Le fascisme (le racisme et le mépris de l’autre) éclaire le colonialisme, et on évoque le camp de concentration pour décrire l’oppression de certains chantiers. Excès scandaleux d’un système lui-même scandaleux ? En théorie, la constitution de 1946 a aboli les formes les plus extrêmes de l’exploitation coloniale. Mais, par définition, le colonialisme développe un échange inégal. En Afrique noire, il menace d’épuisement un sol fragilisé par la rupture qu’introduit la culture industrielle destinée à l’exportation (arachide, banane, café, etc.). Historiquement, ce système touche à sa fin. Mais pour quel avenir politique ? Une Union française, un seul État indépendant, ou deux, ou de nombreux petits États ? Pierre Hervé s’interroge et il ne peut que poser un problème que l’histoire n’a pas tranché. Et pas davantage le Rassemblement démocratique africain (RDA), aux prises avec une répression des plus sévères. Mais en s’interrogeant de la sorte, Pierre Hervé livre en fait bien davantage qu’un récit de voyage adapté au journal quotidien : un véritable essai politique.
 
23. Marie-Eve Thérenty (Rirra21, UPV) : « L’autre de l’autre ». Femmes reporters en contexte colonial dans l’entre-deux-guerres
 
 
NB. Janos  Riesz et Silvia  Campanema  ne pouront pas participer au Colloque de Montpellier, mais leur contribution figurera dabs les Actes.
 
 
Mails des participants
Slimane Ait Sidhoum : slias_2000@yahoo.fr
Sarah Al-Matary : almatary76@hotmail.com
Jean Arrouye : jeanarrouye@mac.com
Maéva Bovio : maeva_bovio@hotmail.com
Guillaume Bridet : g.bridet@free.fr
Silvia Capanema : silvia.capanema@gmail.com
Jacques Chevrier : jacqueschevrier@free.fr
Yvan Daniel : yvan.daniel@univ-lr.fr
Jean-François Durand : roq.durand@wanadoo.fr
Marc Kober : Marc.Kober@wanadoo.frmailto:michel.leymarie@univ-lille3.fr
Frédéric Mambenga : mamb.fredtom@gmail.com
Anthony Mangeon : anthony.mangeon@club-internet.fr
Anne Mathieu : anne.mathieu@univ-nancy2.f ou matan@infonie.fr
Laure Michel : laure.michel.graber@sfr.fr
Mâati Monjib : mmonjib@yahoo.fr
Christian Petr : christian.petr@wanadoo.fr
Anne Renoult : arenoult@hotmail.com
Guy Riégert : guy.riegert@dbmail.com
János Riesz : janos.riesz@gmx.de 
Roland Roudil : r-roudil@orange.fr
Alain Ruscio : alainruscio@aol.com
Jean Sénégas : Senegasmarchristine@yahoo.fr    

       


fg                         

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